Le comté, une production qui s’interroge à son rythme

Factuel suit attentivement les évolutions de la filière comté. De son organisation économique et sociale démocratique basée sur la coopération à un cahier des charges régulièrement remis à jour, de son refus des robots de traite aux risques de prise de contrôle par l'industrie agro-alimentaire… Sans oublier l'impact environnemental du doublement de la production en 30 ans, les questions posées par le réchauffement climatique, les relations complexes avec les chercheurs et les environnementalistes. Nous proposons à la relecture une sélection d'articles ayant traité ces aspects au cours de ces dernières années.

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Dans une cave d'affinage. L'augmentation de la durée d'affinage a été proposée par la Confédération paysanne parmi d'autres propositions, comme la limitation de la taille des fermes, principe acté par le CIGC. (Photo d'archives DB)

Ça va tanguer pour la filière comté. Après Le Monde, le site d'information Arrêt sur Images a traité de sa responsabilité dans la dégradation de la qualité des rivières comtoises et le peu d'empressement des grands médias régionaux à en parler. Qui sait comment vont embrayer les autres médias, notamment ceux qui privilégient le spectaculaire à la réflexion ? On verra. Ils vont sans doute s'appuyer sur les travaux du laboratoire Chrono-Environnement de l'Université de Franche-Comté pour qui les sources de pollution sont certes multifactorielles, mais majoritairement d'origine agricole.

Un diagnostic en sept points

Menée entre 2012 et 2020, l'étude du labo Chrono-Environnement conclut être parvenue aux « résultats » suivants :
Les dysfonctionnements écologiques mis en évidence dans la Loue sont induits principalement par les causes suivantes.
1. Les excès d’azote dans les milieux aquatiques et l’accroissement des teneurs en bicarbonates sont la conséquence de l’intensification des pratiques agricoles
2. Les contaminations multiples par des produits phytosanitaires, des biocides et les substances actives issues des médicaments vétérinaires
3. Une part sans doute non négligeable de ces contaminations trouve aussi son origine au sein de la filière bois par le biais des traitements des grumes en forêt et en scierie, mais aussi dans les utilisations domestiques (insecticides en poudre, en aérosol, biocides en tout genre, produits de traitement des bois d’oeuvre...).
4. La collecte et le traitement des eaux usées ne sont pas impliqués au premier chef dans les contaminations azotées mais présentent des marges de progression pour réduire leurs contributions aux apports de substances toxiques et de bouffées de phosphore dans les cours d’eau
5. Une contamination par des concentrations parfois très élevées d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) lourds non solubles existe à l’échelle du bassin versant dans les différents types de prélèvements analysés et notamment dans les particules fines (sédiments et matières en suspension).
6. La nature karstique du substratum et le positionnement en tête de bassin accroît la vulnérabilité des cours d’eau, vis à vis des contaminants chimiques qui peuvent être transférés des sols vers les eaux et transportés très rapidement au sein des masses d’eau.
7. Les modifications physiques des cours d’eau et les altérations de la végétation de bordure – réduite et artificialisée – dégradent les habitats des poissons et des communautés vivant au fond et constituent des facteurs aggravants.

Pour nombre de Francs-Comtois, cela n'est pas une surprise, tant les indices étaient concordants : algues proliférantes, azote en excédent, épandages parfois hors des clous. Quelques uns boycottent le comté, se privant d'un fromage qu'ils aiment cependant, en raison de ce qu'ils considèrent comme des dérives de longue date. Certains sont en colère, d'autres argumentent. Dans la filière, les avis sont partagés. Les plus lucides sont bien obligés de constater que les chercheurs ont travaillé sérieusement, prudemment, et évitent de prendre l'agriculture de front. Comme si l'on craignait la réaction des éleveurs.

Les représentants de ces derniers n'ont cependant pas tous fait l'autruche. Se doutant qu'ils allaient être mis en cause, ils ont été de toutes les commissions, de tous les débats, ont participé aux conférences officielles dès leur mise en place sous l'égide de Claude Jeannerot (PS) après son élection à la présidence du Conseil général du Doubs en 2004. Ils n'ont jamais nié que l'agriculture avait sa part dans les pollutions, mais se sont souvent évertué à la relativiser, mettant l'accent sur les autres sources : assainissements défectueux, industries, sylviculture, ménages, jardiniers….

Bref, ils ont cherché à diluer leurs responsabilité dans un « nous » où ils seraient au même niveau que les autres. Mais patatras, l'étude au long cours de Chrono-Environnement est sortie du bois, relayée par l'association SOS Loue et rivières comtoises. Elle met l'accent sur l'excès, modéré mais constant, d'azote « conséquence de l'intensification des pratiques agricoles » ; les contaminations aux pesticides, biocides et médicaments notamment vétérinaires ; les pesticides utilisés par la filière bois ; les bouffées de phosphore des stations d'épuration ; les hydrocarbures aromatiques polycycliques venant des enrobés et du trafic routiers ; des modifications des cours d'eau et des altérations de la végétation des bords de rivières…

Loin de nous le projet d'accabler l'agriculture, encore moins les agriculteurs dans leur ensemble. Pas question d'hystériser le débat, mais de poser les termes d'une critique argumentée. D'abord, il faut reconnaître que les paysans de la zone comté sont plutôt mieux organisés qu'ailleurs. Ils ont aussi joué le jeu des échanges, des études. Ils ont proposé des pistes, certaines ressemblant à des tentatives d'atermoiement, comme la cartographie ou l'agriculture de précision qui permettraient de ne pas épandre plus de lisier qu'il n'en faut. Cela est d'ailleurs apparu comme une façon de différer l'action, car chacun sait bien si son sol est mince ou épais, les géologues sont passés par là et la mémoire des générations passées ne s'est totalement éteinte… D'autres étaient plus sérieuses, mais se heurtent aux réalités économiques, sociales et culturelles. Allez dire à quelqu'un ayant bâti son activité, sa vie professionnelle, sur la croissance et le développement qu'il doit arrêter !

Finalement, c'est la pandémie qui a provoqué, comme ailleurs, un début de décroissance de la production. La baisse drastique des marchés d'exportation et de la restauration, combinée au risque de saturation des places d'affinage, a conduit à baisser la production de 8%. Cette mesure collective a pu être prise parce que la filière est dotée de la capacité de le décider, grâce à une organisation dérogatoire au dogme de la concurrence libre et non faussée, lui permettant de planifier. Autrement dit, côtés structures, le comté est en avance sur la sortie de l'ultra-libéralisme.

Reste que cela n'a pas été suffisant pour faire face aux problèmes environnementaux qui découlent directement d'une inscription dans l'ordre économique mondial, d'une expansion commerciale irraisonable. Les recherches, réflexions et propositions sont surtout venues de l'extérieur, du monde associatif, de l'université, pour analyser et explorer des alternatives. Elles sont sur la table, notamment la proposition des ONG de passer la filière en bio sur dix ans, de produire moins mais mieux. L'ouverture culturelle dont ont su faire preuve les paysans qui ont commencé à dialoguer avec les scientifiques et les militants doit se poursuivre et s'accentuer.

Pour éclairer ces pistes, Factuel a écrit de nombreux articles. En voici quelques uns qui embrassent largement la plupart des thèmes qui sont aujourd'hui au coeur du problème :

Le comté va réduire sa production, 30 mars 2020,

Des ONG s'invitent dans la révision du cahier des charges de l'AOP comté, 14 juin 2019

Les AOP fromagères entre euphorie économique et responsabilité environnementale, 12 avril 2019

« Organisez la décroissance, ou le réchauffement le fera pour vous ! », 25 janvier 2019

L'AOP comté, enjeu du scrutin des chambres d'agriculture, 18 janvier 2019

La démonstration de force des éleveurs de l'AOP comté contre le robot de traite, 8 mars 2016

Rivières comtoises : près de 2000 manifestants à Saint-Hippolyte, 17 mai 2014

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