La fête de la Confédération paysanne du Jura est souvent un joyeux événement. Jusqu'à ce dernier samedi de mai à La Pesse, à 1200 mètres d'altitude, la dernière édition datait d'avant le covid, autrement dit une époque qu'on pourrait imaginer lointaine. Mais en fait, pas tant que ça si l'on veut bien considérer qu'on a retrouvé les gens comme on les avait quittés... J'exagère un peu, bien sûr. Car depuis, et malgré les restrictions, la vie sociale ne s'est pas arrêtée, seulement peut-être légèrement décentrée, décentralisée, relocalisée.
On s'en rend compte en voyant des personnes croisées ici et là depuis trois ans, notamment dans les moments de mobilisation contre la réforme des retraites, les suspensions de soignants non vaccinés ou la baisse de la subvention du département à Solidarité Paysans, dans les rassemblements en faveur des Soulèvements de la terre ou pour entendre Edwy Plenel argumenter de la nécessaire vigilance face à l'extrême-droite et sa sémantique empoisonnée.
La ferme du Coinchet est campée au sommet d'un grand paturage bossu d'où l'on voit le Crêt de Chalam et la ligne des Monts Jura émerger des grandes forêts. Traileur de haut niveau, Cedric Mermet-Burnet la tient de sa famille et la fait vivre avec sa compagne Coraline Vincent. Ils élèvent une quarantaine de vaches montbéliardes dont le lait bio est transformé en comté et en bleu de Gex à la fromagerie des Moussières.
Depuis deux ans, un nouveau bâtiment en bois les accueille pour la traite et quand elles ne pâturent pas, ainsi que les plus jeunes génisses. Les autres jeunes bovins, une trentaine au total, sont logées dans l'ancien corps de ferme. La construction a coûté 800.000 euros dont 90% d'emprunt remboursable sur quinze ans. Cédric et Coraline ont proposé trois visites guidées aux visiteurs pour expliquer leur travail et commenter une exposition soulignant leur inscription dans l'agriculture paysanne.
Celle-ci met notamment l'accent sur l'autonomie de la ferme dont un critère est la transmissibilité. Un point crucial pour la Confédération paysanne dont le projet politique consiste à installer un million de paysans dans un pays qui n'en compte plus que 400.000. C'est ce que rappelle Nicolas Girod, paysan à Salins-les-Bains qui vient de quitter le porte-parolat national du syndicat après quatre ans à sillonner le pays. Dans une conférence-causerie sur la conduite de ferme en contexte de « dérèglements climatiques », il souligne que les petites structures sont plus transmissibles car financièrement plus accessibles aux jeunes qui souhaitent s'installer.
L'agronome Matthieu Cassez défend une décroissance de la taille des fermes plus ambitieuse que la taille maximale figurant dans le cahier des charges du comté. Le principe même d'une taille maximale va à l'encontre des traités européens, cela n'empêche pas sa pertinence dans le cadre d'une politique globale de maîtrise des volumes produits. Indiquant (bien) vivre à deux avec vingt vaches aux Moussières, Elise Grossiord, élue en chambre d'agriculture, montre qu'il faut changer de mode d'évaluation de la réussite : ce ne peut plus être la taille du tracteur ou produire toujours plus quitte à bouffer le voisin ou empêcher une installation. Pour cela, il faudrait changer une pratique des Safer consistant à ne pas démanteler une ferme à transmettre, même si elle est surdimensionnée.
Une programmation pas facile à envisager quand on constate que la Conf' reste minoritaire lors des élections professionnelles agricoles. Reste qu'une de ses grandes forces est d'avoir su réseauter avec nombre d'organisations qui ont fait de l'alimentation de qualité un enjeu politique articulé avec la santé, le partage de l'eau, la préservation de la biodiversité, la justice sociale. Tout cela se retrouve dans le projet de sécurité sociale de l'alimentation : une cotisation donnant droit à une nourriture conventionnée selon des critères sociaux, sanitaires et environnementaux. Mais aussi, fait remarquer l'humoriste Salim Nalajoie, une utopie en des temps où « la sécurité sociale tout court est attaquée... »
Il ne manque cependant pas d'utopistes pour défendre une idée dont le temps, ou plutôt le climat, est déjà là. Et la Confédération paysanne a historiquement montré qu'elle posait souvent la première les bonnes questions...