Deux salariées du secteur médico-social réintégrées par les Prud’hommes de Lons-le-Saunier

Seize mois après la suspension de leur contrat de travail, le juge départiteur a suivi l'avocat des travailleuses sociales qui avait invoqué l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme qui protège notamment la vie privée. L'employeur a fait appel.

Le Conseil des Prud'hommes de Lons-le-Saunier, réuni en formation de départition, donc présidé par un magistrat professionnel - le juge Marc Monnier, a ordonné la réintégration de deux travailleuses sociales salariées suspendues par leur employeur depuis le 15 septembre 2021 parce ce qu'elles ne s'étaient pas vaccinées contre le covid. Il a en revanche rejeté la demande de paiement des salaires non versés depuis la suspension.

Les Prud'hommes se sont essentiellement appuyés sur l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CEDH). Le tribunal a notamment considéré que « la conséquence de la non vaccination peut être qualifiée d'importante voire lourde et sérieuse du fait du caractère alimentaire du salaire ». Cet argument avait été soulevé, parmi d'autres, par Me Fabien Stucklé (photo d'archives ci-dessus), avocat au barreau de Besançon, qui défend des dizaines de personnels de santé ou du médico-social suspendus.

Le tribunal a également estimé que dans cette affaire « il y a bien eu une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée », tout en précisant qu'il fallait se demander si cette ingérence était prévue par la loi, poursuivait un but légitime en lui étant proportionné, et si elle était nécessaire dans une société démocratique.

Les juges prudhommaux exposent donc leur raisonnement en pesant divers arguments et points de droit avant de souligner que « au jour du prononcé du jugement, la suspension du contrat de travail qui devait avoir un caractère provisoire [...] devient une suspension, en réalité, à durée indéterminée ». Et d'ajouter pour justifier la réintégration : « La conséquence qui perdure dans le temps apparaît excessive et disproportionnée au regard de la [CEDH] en l'absence de clause claire de revoyure, et sans que soient définis par la loi […] les critères permettant de disposer des données scientifiques précises et complètes sur la pandémie et de connaître la pertinence de la vaccination des salariés exerçant dans le secteur médico-social, permettant de s'assurer que les valeurs protégées l'emportent sur les valeurs auxquelles il est porté atteinte. »

Les juges écrivent aussi que l'employeur n'a fait que suivre les obligations de la loi du 5 août 2021, afin de justifier leur refus de l'annulation rétroactive de la suspension des contrats de travail : cette hypothèse aurait entrainé « des conséquences manifestement excessives, tout comme la demande de rappel de salaire. »

Ce jugement fera-t-il jurisprudence ? On verra s'il est ou non frappé d'appel. Tel quel, il considère que le droit du travail n'a pas été violé. Il prend par ailleurs acte que le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur la constitutionnalité de l'article 14, paragraphe 1 B de la loi du 5 août qui organise les suspensions ; « présume l'obligation vaccinale conforme à la Constitution » mais se déclare incompétent sur ce point relevant du « Conseil constitutionnel saisi dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité ».

Ajout du 18 février : l'association employeur des deux salariées a interjeté appel, sans avoir cependant appliqué le jugement des prud'hommes qui, semble-t-il, était exécutoire...

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