L’AOP comté, enjeu du scrutin des chambres d’agriculture

La Confédération paysanne pousse ses propositions visant à limiter drastiquement la taille des fermes tandis que la FDSEA se cale sur les maxima existant tout en défendant la filière... Une différence parmi d'autres : 6500 litres de lait par an et par vache maximum pour l'une, 8500 pour l'autre...

aop

Les élections dans les chambres d'agriculture arrivent dans leur phase décisive : les électeurs – paysans, anciens paysans, salariés agricoles – votent depuis le 15 janvier et jusqu'au 31 janvier. Les syndicats d'agriculteurs qui craignent l'abstention, déjà forte il y a six ans, tentent de mobiliser. Au congrès de la FDSEA du Doubs, mercredi 16 janvier à Saône, le vice-président de la FNSEA, le viticulteur ardéchois Jérôme Volle a placé la barre à 50% de participation, ce qui serait moins qu'en 2013...

Dans le Doubs et le Jura, la campagne se tient en pleine révision du cahier des charges du comté qui suscite des débats passionnés au sein même du CIGC (comité interprofessionnel de gestion du comté) où les syndicats sont représentés. A l'offensive, la Confédération paysanne entend profiter du scrutin pour faire avancer des propositions allant dans le sens d'une poursuite de l'extensification, qu'elle estime trop timide, de la production d'une AOP non seulement emblématique du massif jurassien, mais donnant aussi le ton d'autres fromages sous signes de qualité, dans la région et au-delà.

50 ares de pâturage par vache autour du point de traite

La Conf' avait déjà rendu publique une liste cohérente de mesures techniques (voir ici). Certaines ont été été totalement ou partiellement reprises par le CIGC lors de son assemblée générale de juin 2018 (voir ) mais la révision n'est pas terminée et d'autres points doivent encore être débattus avant qu'une proposition soit transmise à l'INAO, puis au ministère de l'agriculture, et enfin à la Commission européenne...

La Conf avait ainsi proposé que chaque vache ait accès à 70 ares7000 mètres carrés de pâturage à moins de 2 km du point de traite, 50 ares ont été actés. Ce point se justifie afin d'éviter que l'herbe ne soit fauchée pour être apportée aux animaux, ce qu'on appelle l'affouragement en vert. C'est cohérent avec l'image d'un fromage issu de vaches pâturant. C'est aussi une façon de limiter la taille des fermes : quel besoin d'acquérir ou louer des prés jusqu'à 12 km de l'étable avec de l'herbe tout près ? C'est aussi complémentaire du souhait de limiter la durée de l'affouragement en vert à 75 jours par an. Cette mesure a été adoptée, à une nuance près : la Conf la concevait à partir du 1er juillet, le CIGC a décidé le 1er juin.

Reste le plus gros morceau, la limitation de la taille des fermes. La Conf proposait un maximum de production de 820.000 litres de lait par an par cinq actifs, elle a dû déchanter, les FDSEA du Doubs et du Jura étant pour leur part opposées à la limitation. Le principe en a cependant été acté, mais la barre a été fixée à 1,2 millions de litres. Comme seules une vingtaine de fermes produisent plus d'un million de litres, la plus grosse étant à 1,6 million, cette limitation ne suffit pas à elle seule à empêcher la poursuite des restructurations.

Limitation à 1,2 million de litres : une vingtaine de fermes concernées sur 2600 

La limitation à 1,2 million de litres devrait cependant porter ses fruits, comme c'est le cas du GAEC des Lancieux qui produit 1,25 million de litres à Frasne. La décision a été prise de diminuer la production. Certes, ce sera de peu, mais Sylvain Marmier, l'un des coassociés, croisé à l'AG de la FDSEA du Doubs, explique être favorable à la mesure. Il n'en partage cependant pas tous les objectifs avancés par ses promoteurs, par exemple l'idée selon laquelle une plus petite ferme est plus aisément transmissible qu'une grosse.

Il met ainsi en avant le fait qu'un nouvel associé, arrivé pour remplacer le départ à la retraite de Benoît Marmier, a pu investir nettement moins que la moyenne pratiquée dans la filière, un euro par litre au lieu du double. C'est possible, nous dit Sylvain Marmier, parce que le revenu d'actif permet une pension correcte. Or, on entend souvent les paysans expliquer les forts coûts du foncier par les faibles montants des retraites agricoles qui obligeraient les cédants à vendre cher pour vivre correctement leurs vieux jours. Certains vont jusqu'à dire que ce sont les retraités qui déterminent le prix du foncier, et donc la politique d'installation des jeunes...

Reste d'autres arguments en faveur de petites fermes. La Conf, mais aussi Alain Mathieu, le président du CIGC qui ne dit pas s'il adhère à un syndicat, sont d'accord pour considérer que c'est un moyen d'avoir davantage de paysans pouvant s'impliquer dans les coopératives, donc que celles-ci demeurent de dimensions modestes, à tout le moins des structures de proximité.

35 ou 50 vaches pour le premier actif ?

En fait, il est question d'agir sur plusieurs leviers visant le même objectif. Pour influer sur la taille des fermes, la Conf souhaite plafonner le nombre de vaches et le volume de lait par actif. Le principe, que les FDSEA ne partageait pas, a fini par être accepté par le CIGC, mais reste encore à déterminer le niveau. La Conf proposait 35 vaches et 230.000 litres pour le premier actif, 25 vaches et 150.000 litres pour le second, 20 vaches pour les autres actifs, histoire de tendre vers 6.500 litres par an et par animal. Les FDSEA ont avancé 60 vaches par actif et une moyenne de 8.500 litres par an et par animal...

Lors des derniers débats, les chiffres de 50 puis 40 vaches ont été avancés, mais la Conf a refusé et la décision a été remise à plus tard. « Ça devait être acté au CA de décembre, mais les FDSEA ne lâchent pas », explique Julien Comte, paysan à Nans-sous-Sainte Anne et adhérent de la fruitière d'Arc-sous-Montenot et Villers-sous-Chalamont. « On a rencontré le bureau du CIGC et la FRCL, ce qui a fait reculer le moment de la décision ». Rien ne dit cependant qu'elle sera prise lors du prochain CA, en février, soit après les élections de chambres d'agriculture durant lesquelles chacun campe forcément sur ses positions. « Beaucoup d'éleveurs trouvent que 50 vaches, c'est beaucoup. Ça rend possible un GAEC de 90 vaches à deux, c'est quasiment une petite usine », ajoute Julien Comte.

Les petites fermes sont viables, pour peu qu'elles soient autonomes, assure la Conf qui organisait deux fermes ouvertes, à Loray (près d'Orchamps-Vennes) et Salins-les-Bains les 10 et 11 janvier pour défendre son projet pour l'AOP comté. A Loray, Stéphanie et Didier Guyot-Jeannin élèvent ainsi 37 vaches laitières et produisent selon les années entre 225.000 et 250.000 litres de lait à comté, soit moins que leur quota de 285.000 litres. Ce droit à produire équivaut à 4.600 litres par hectare, soit le niveau préconisé par l'actuel cahier des charges. La répartition des terres le permet aisément, avec « 65 ares d'herbe par vache à moins de 1,5 km » de l'étable, et un objectif à moyen terme de ne plus faire d'affouragement en vert.

Maintenir un réseau dense de fromageries

En indiquant faire de la limitation un point de blocage, voire de rupture en menaçant de quitter le CIGC, la Conf est-elle dans une posture de campagne électorale ? Elle cherche en tout cas à mobiliser sur ses positions des paysans attachés à une certaine façon de concevoir leur métier, empreinte de prudence et de modestie malgré les très bons prix du lait qui entraînent les plus téméraires dans des investissements qui pourraient s'avérer risqués en cas de retournement de tendance. « Un lait à 600 euros la tonne nous fait plus peur qu'un lait à 350 euros car les investissements sont au taquet », confirme François Vuillemin, président de la caisse locale de Crédit agricole de Pierrefontaine-les-Varans.

La Conf' veut aussi limiter la taille des fromageries dont le principe figure déjà dans le cahier des charges de l'AOP. Elle entend cette fois instaurer un seuil maximal à 7 millions de litres de lait transformé. Il s'agit là d'un autre moyen de freiner la restructuration par le haut, mais pas d'empêcher le regroupement de petites coopératives. L'objectif, partagé par toutes les organisations professionnelles régionales, est le maintien d'un réseau dense d'ateliers de transformation.

Combiné à la limitation de la zone de collecte du lait dans un rayon de 25 km, cela permet de préserver la variété gustative des productions. Chaque amateur de comté sait bien que les fromages ne diffèrent pas seulement selon la durée d'affinage, mais aussi en fonction de la période de l'année, de la particularité du terroir ou du savoir-faire spécifique du fromager. Un important nombre d'emplois qualifiés et bien répartis géographiquement est également en jeu. De ce point de vue, il s'agit aussi de rendre irréversible un modèle économique et social aux antipodes des usines à lait du Grand Ouest.

« Le cahier des charges que nous réécrivons est
un contrat avec la société et les consommateurs »

Au point d'équilibre entre toutes les composantes de la filière comté, tentant de rester à équidistance des différentes positions syndicales ou professionnelles, le président du CIGC, le Jurassien Alain Mathieu est forcément un homme de synthèse, comme ses prédécesseurs Claude Vermot-Desroches ou Yves Goguely. On ne lui fera rien dire qui n'aurait été acté par l'interprofession. Il défend cependant ce qui paraît faire consensus : « un modèle de filière » compatible avec la « transmissibilité » des fermes et la « structuration des fruitières ».

Il défend la nécessité d'un « temps d'adaptation » pour les fermes qui ne rentreraient pas dans les clous du prochain cahier des charges, met en avant « le temps que le décret soit signé par l'Union européenne », ce qui peut nous conduire à 2020 ou 2021... Il constate que cela a déjà commencé : « on voit des échanges de parcelles pour s'adapter à la règle des 50 ares par vache ». Il ajoute à ce point d'évolution du cahier des charges des arguments à destination des consommateurs, comme l'amélioration des bilans carbone...

Il sait aussi qu'on attend le comté sur le respect des règles que se donne la filière. Quand la Conf' assure que le nombre de producteurs suspendus, voire exclus, de l'AOP a augmenté ces dernières années, Alain Mathieu ne balance pas : « Oui, il y a eu des suspensions, mais ça a toujours été cas ». Il n'en dit pas davantage et sourit. Il sait que certains agriculteurs plutôt productivistes sont dans le collimateur, mais préfère mettre l'accent sur les autres, manifestement plus nombreux parmi les 2600 exploitations de la filière : « sans la limitation de la taille des fermes, des gens ne se seraient plus reconnus dans l'AOP... Mais je ne crois pas à une poignée de personnes détenant la vérité et l'imposant ».

Intervenant au congrès de la FDSEA du Doubs, il reste sur des principes : « le cahier des charges est un outil précieux, exigeant, reconnu, sérieux. On a le devoir de le perpétuer. Celui que nous réécrivons est un contrat avec la société et les consommateurs : il faut mettre dedans ce qui nous paraît acceptable... »

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