Combien étaient-ils ce lundi 7 mars à Vercel ? Un millier, comme l'a dit à la tribune un responsable syndical ? 800, selon un gendarme qui connaît bien la petite salle des fêtes qui jouxte le gymnase qui aurait sans doute permis d'accueillir tout le monde. Car on n'a pas pu faire entrer tout le monde. Le hall était lui aussi plein et l'on avait sonorisé à la hâte l'extérieur où les retardataires écoutaient les prises de parole sous la bourrasque neigeuse.
Quoi qu'il en soit, c'est une démonstration de force qu'ont effectuée les producteurs de la filière comté en se mobilisant massivement à l'appel conjoint de quatre syndicats agricoles en soutien à la coopérative de Pierrefontaine-les-Varans. La démonstration de l'adhésion à des valeurs et à des règles collectives qui permettent la maîtrise de la production, évitent l'effondrement des prix et font vivre des paysans encore relativement nombreux. Il y aura forcément un après 7 mars pour le comté et son organisation de filière autogestionnaire. Mobiliser en quelques jours 40% des producteurs de lait à comté est une preuve de leur attachement au règlement de l'AOP.
« Ce rassemblement n’est pas celui de quelques paysans complètement à côté de la plaque et délibérément réactionnaires ! »
Ce qui se joue avec l'affaire des robots de traite est donc une histoire de valeurs, d'orientation de l'agriculture, mais aussi une question juridique. Même si « la judiciarisation des relations n'appartient pas aux valeurs de la filière », souligne Alain Mathieu, président de la FDCLfédération départementale des coopératives laitières du Jura. En rappelant les détails d'une affaire commencé en 2007, passée par un stade amiable avant de prendre un tour procédural qui a vu un juge nommer un expert pour savoir si le robot est compatible avec le règlement de la filière, Daniel Cucherousset, le président de la coopérative de Pierrefontaine-les-Varans, a tiré une première conclusion : « le jugement du 17 décembre nous a dit qu'on devait collecter le lait, alors on le collecte mais il ne rentre pas dans la filière. On le met dans un tank séparé qui est ramassé par l'Ermitage ». Il regarde la foule devant lui et dit : « ce qui se passe aujourd'hui, on aurait pu le faire avant ».
Claude Vermot-Desroches, le président du CIGC, est enthousiaste devant le succès de la mobilisation : « Ce rassemblement n’est pas celui de quelques paysans complètement à côté de la plaque et délibérément réactionnaires ! C’est la rencontre des acteurs de la filière comté qui veulent que les valeurs de solidarité, de persévérance, d’exigence, de vision à long terme, prennent le dessus sur une fâcheuse tendance à suivre aveuglément ce que le soit disant modernisme nous propose de consommer.... C’est une communauté regardée par tout le Massif du Jura, par toute la France, mais aussi par quelques uns aux niveaux européen et mondial. »
« La traite au lait cru est un geste technique ! »
Il n'oublie pas de faire une leçon d'économie politique en songeant aux « producteurs de lait qui ne sont pas en AOP et vivent des moments terribles. Certains espéraient que l’arrêt des quotas laitiers et la croissance de la consommation mondiale allaient leur offrir un avenir radieux. Ils ont investi en conséquence, monté des projets de développement. Que de désillusions ! Aujourd’hui tout est laminé ». Avec la surproduction du lait que certains avaient prédite avec ses prix qui mettent les paysans dans la rue. Il rappelle que le comté a lui aussi connu des problèmes, mais le dernier remontant à 1998, « les moins de 42 ans n'ayant jamais connu la crise, c'est la moitié des producteurs qui risquent de ne pas avoir les bons réflexes au premiers problèmes économiques ».
Quel rapport avec le robot de traite ? Le cahier des charges est un tout cohérent, d'ailleurs il l'appelle « cahier des chances ». Et si le CIGC a interdit le robot de traite, c'est parce que « la traite au lait cru est un geste technique qui demande de vraies compétences » mais aussi parce que « la place de l’Homme et les savoir-faire priment ! » (Lire son discours entier sur le site du CIGC ici).
Producteur de comté bio et conseiller départemental, Thierry Maire du Poset, est dans la salle : « on ne peut pas avoir un lait payé 30 ou 50% plus cher que les autres sans quelques contreparties ». Le trésorier et le vice-président de la coopérative de Pierrfontaine-les-Varans, Laurent Henriet et Jean-Luc Cucherousset donnent des détails, expliquent qu'un associé du Gaec Jeanningros était administrateur : « il ne s'est pas représenté au renouvellement, on ne peut pas attaquer la coop et être au conseil ! Au début, ils ont été d'accord pour ne pas aller en comté et on a cherché un acheteur pour leur lait ».
« On ne pensait pas
mobiliser autant de monde »
Dans les conversations qui se nouent après les discours, on s'étonne que le jugement refuse un robot mais en accepte deux. C'était justement la suggestion faite par l'expert nommée par le tribunal : « la coopérative n'a pas fait de résistance abusive en refusant la collecte de lait au regard du cahier des charges », mais il ajoute « avec un robot de traite supplémentaire, le temps de traite serait divisé par deux ». C'est ce qu'ont fait les associés du Gaec Jeanningros en vendant le robot expertisé et en en rachetant deux autres...
Fabriqué à 1500 exemplaires, le tee-shirt floqué du slogan « ça va pas la traite ! » part comme des petits pains : ça aidera la coop à payer les frais de procédure. Les responsables syndicaux en sont presque tous affublés, mais pas Philippe Monnet, le président de la FDSEA. Il assume un ton modéré : « on a des adhérents en lait standard pour qui le robot de traite travaille bien... » Et le Gaec Jeanningros qu'il est allé voir samedi ? « Ils ont du mal à comprendre qu'un choix individuel n'est pas réalisable dans l'ensemble de la filière ».
Quand Claude Vermot-Desroches tout sourire se réjouit, lance à qui veut l'entendre à propos du rassemblement « c'est une vraie fête ! », Philippe Monnet pondère : « ça a été bien fait, ce sera utile ». Gérard Coquard, de la Confédération paysanne, est sur un nuage : « on ne pensait pas mobiliser autant de monde ». Constatant la « capacité de mobilisation de la filière », Alain Mathieu (FDCL Jura) est content de la « démonstration humaine psychologique ». Il écarte la dimension judiciaire : « le juge de paix, c'est le consommateur ». Daniel Cucherousset ne dit pas autre chose : « on va dans le sens de ce que demande la société ».