Salles de concert et festivals se démènent pour rallumer le son en 2021

Du Bœuf sur le Toit à Lons-le-Saunier aux Eurockéennes de Belfort, en passant par la Rodia de Besançon, Echo System à Scey-sur-Saône ou le Terminus à Morteau, des concerts résonnent en temps normal dans les quatre coins de la Franche-Comté. Mais dans les salles de musiques actuelles comme dans les festivals ou cafés-concerts, les notes de pop, rock, métal, rap, slam, électro tardent à se faire entendre depuis le début de la pandémie. Après les dernières réponses incomplètes du ministère de la Culture et dans un profond sentiment d’injustice, les organisateurs trépignent et se réinventent, prêts à accueillir de nouveau les artistes, les techniciens, mais surtout, le public.

Quand est-ce que le public pourra de nouveau assister à un concert debout ? Photo : Festival de la Paille / Jérôme Saillard

Le couperet est tombé ce jeudi 18 février, à la suite d’une rencontre entre les acteurs du spectacle musical et la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot. Si le ministère affirme vouloir « une saison de festivals » en 2021, il soumet celle-ci à deux paramètres, précisés dans un communiqué : « une jauge maximale de public de 5 000 spectateurs, avec distanciation, sur un même site et pour un même événement » et « des modalités d’accueil du public en configuration assise ». Ces deux paramètres pourront être révisés dans un sens ou dans un autre en cas d’amélioration ou de dégradation de la situation sanitaire. Rien sur les salles de musiques actuelles ni sur les cafés-concerts, pourtant désormais habitués à ajouter un bandeau « Annulé » ou « Reporté » sur leurs affiches. Les réponses apportées, très attendues, demeurent donc incomplètes et soumises à une grande incertitude. Le ministère le reconnaît et promet des « points d’étape réguliers » afin d’adapter ses protocoles suivant l’évolution de la situation.

Concerts annulés sur le site du Moloco.

Entre ses 4 Scènes de musiques actuelles (SMAC), ses salles de concert, ses cafés-concerts ou encore ses dizaines de festivals, la Franche-Comté diffuse, en temps normal, de la musique live toute l’année. Depuis un an, le silence est d’autant plus lourd. « Nous n’avons aucune visibilité », répètent les organisateurs de ces événements. Les nouvelles mesures annoncées restent succinctes. À Echo System, SMAC de Scey-sur-Saône (70), le dernier concert a eu lieu le 28 février dernier. La programmation d’été, puis celle d’automne, et maintenant celle d’hiver, ont été annulées. Même combat au Moloco, où 30 dates ont été annulées ou décalées durant le premier confinement. « Certains concerts ont déjà été reportés cinq fois », illustre David Demange, directeur et programmateur de cette SMAC, à Audincourt (25). Comment travailler dans une telle incertitude ?

Programmer, déprogrammer, reprogrammer, re-re-programmer

Après le choc du premier confinement, l’espoir renaît pourtant rapidement. Dès le printemps 2020, les structures redoublent d’ingéniosité et d’inventivité : organisation de concerts dans des lieux patrimoniaux, captations vidéos, prestations en livestream, émissions de télé, résidences artistiques, rencontres dans les écoles… « Nous avons imaginé plein d’événements “Covid compatible” », se félicite Claire Fridez, directrice du Moulin de Brainans. En parallèle, tous ces acteurs travaillent sur leur programmation estivale et préparent celle de fin d’année 2021. Les protocoles sanitaires changent alors régulièrement : « On ne nous demandait pas de distanciation, puis une distanciation d’un siège, puis de deux sièges, des sens de circulation, pas de masque puis un masque… », énumère Claire Fridez. Alors elle s’adapte, comme ses collègues. Même si la majorité des événements sont annulés, certains peuvent avoir lieu, en extérieur. Le Terminus, café-concert de Morteau, parvient même à proposer, durant l’été, une petite « animation musicale, mais pas un concert, car il était interdit d’être debout », détaille « Burns », le patron.

Configuration assise au Moulin de Brainans / Fab Mat

Le deuxième confinement arrive comme un nouveau choc. « On nous a coupés dans notre élan », regrette Claire Fridez. Depuis, tous avancent avec beaucoup de prudence, sans toutefois tirer un trait sur leur programmation. À Echo System, « on fonctionne mois par mois là où généralement on prévoit d’un trimestre à un autre ».

« Pour chaque concert, on pose une option 1, 2, 3, sur une période de six mois, explique de son côté Simon Nicolas, à la Rodia de Besançon, donc tout est blindé ». Ce calendrier l’inquiète : « Les “grosses machines” ont trusté toutes les dates, car ces artistes reportent intégralement leur tournée. Y aura-t-il encore des créneaux pour de plus petits groupes ? ». Au Moulin de Brainans, Claire Fridez n’a d’ailleurs pas besoin de chercher de nouveaux artistes : les reports suffiront à combler les dates. Mais pour l’instant, les structures annoncent peu d’événements : « Annoncer et déprogrammer, ça demande davantage de travail, et c’est beaucoup plus frustrant, pour le public comme pour les équipes », justifie Caroline Castillo, à Echo System. Pour plus de réactivité et pour réaliser quelques économies, la communication se digitalise, en restant presque exclusivement sur les sites et les réseaux sociaux.

Du côté des festivals, les stratégies varient d’une association à une autre. Pour elles, le report de quelques mois et la programmation à quelques semaines d’un événement sont beaucoup plus complexes, voire impossibles. Bien avant les annonces de ce jeudi soir, certains avaient déjà dévoilé l’intégralité de leur programmation. D’autres ont préféré attendre, par prudence là encore. Mais la plupart croient – ou croyait – à leur édition 2021. Ce vendredi, les doutes restent prégnants.

Assis, jauge réduite : des conditions non viables et non souhaitables pour beaucoup

Même après les mesures annoncées par la ministre, les inconnues restent nombreuses : et si la situation s’améliore ? Si elle se dégrade ? Les bars et les points de restauration de ces lieux pourront-ils rouvrir ? Qu’en est-il des concerts en salle ou en terrasse, dans les SMAC ou dans les bars ? Dans ce climat d’interrogations qui perdure depuis des mois, les organisateurs avaient déjà envisagé plusieurs scénarios. Aux Pluralies, festival pluridisciplinaire à Luxeuil-les-Bains (70), tout a été imaginé avec des restrictions sanitaires poussées à leur maximum : une jauge réduite à 800 voire 500 personnes au lieu de 2 500, des concerts assis, pas de restauration… De quoi, a priori, maintenir leur édition 2021. Le Moloco, lui, a reconfiguré complètement sa salle, pour pouvoir accueillir des spectateurs assis. « Nous avons installé des gradins et créé une salle panoramique à 360°, avec un décor numérique », décrit David Demange, qui tenait à « offrir une autre expérience » à son public, même assis.

Mais tous les lieux n’ont pas de telles possibilités. Pour des festivals comme les Eurockéennes – plus de 30 000 spectateurs par jour –, la Paille – environ 12 000 – ou Rencontres et Racines – autour des 15 000 – la jauge de 5 000 spectateurs apparaît irréalisable. Et une jauge réduite implique nécessairement un manque à gagner, dans la mesure où la billetterie représente une part non négligeable des recettes des festivals, mais aussi de certaines salles et cafés-concerts.

« Avec une jauge réduite, on ne pourra pas financièrement programmer les mêmes groupes qu’en jauge normale », avance le directeur du No Logo, festival censé se tenir en août à Fraisans (39). Même si leur équilibre financier est atteint avec 14 000 spectateurs par jour, Florent Sanseigne et son équipe ont travaillé sur un scénario à 5 000 personnes, en annonçant seulement huit artistes qu’ils seront en capacité de faire venir dans une telle configuration. Même réflexion du côté des Pluralies, où des artistes « moins chers » ont été privilégiés, dans des conditions techniques plus sommaires.

Au café-concert Le Troquet / DR

Leurs homologues dans les SMAC font face aux mêmes problématiques : « Dans la grande salle de la Rodia, on peut accueillir 1 100 personnes debout, mais seulement 250 assises, expose Simon Nicolas, donc économiquement, il y a plein d’événements que nous ne pourrons pas envisager. On ne va pas programmer un artiste à 10 000 euros pour 120 personnes », schématise le chargé de communication. Même si des sommes bien plus modestes sont en jeu dans les cafés-concerts, la logique est identique. Rarement bénéficiaires sur ces soirées, les patrons des bars perdraient d’autant plus d’argent en invitant des groupes coûteux si le nombre de clients est divisé par deux, voire plus. « Et s’ils sont assis, ils ne consomment pas », ajoute Baptiste Thénot, propriétaire du Troquet, à Lons-le-Saunier.

La contrainte du « assis » n’est d’ailleurs pas seulement économique. Peut-on imaginer un concert de métal ou d’électro sans pouvoir danser ? « Le rejet de la posture debout condamne de nombreuses esthétiques », s’alarme David Demange. Or, écarter certaines formes de musiques n’est pas dans l’esprit des SMAC, qui ont une « obligation d’éclectisme », rappelle le directeur du Moloco. Quoi qu’il en soit, au BockSons ou encore au No Logo, un festival sur une chaise est inconcevable : le rock pour les premiers, le reggae et la dub pour les seconds, ça s’écoute avec tout son corps !

« Je ne vois pas comment cette configuration assise est possible », tranche Sébastien Piganiol, directeur du Festival de la Paille. Il doute de la capacité logistique de garder des festivaliers assis durant toute une journée de concerts. « J’ai l’impression que le but de mon métier est devenu d’organiser des événements auxquels les gens ne s’amusent pas. C’est tout l’inverse de ce que je suis censé faire », déplore Victor Landard, le programmateur du Bœuf sur le toit, salle de Lons-le-Saunier. « Nous n’avons pas envie de cautionner ça, renchérit Sébastien Piganiol. Si je fais mon festival avec 5 000 personnes, assises, sans bar ni restauration, je ne le considérerai pas comme “sauvé”. » Pour cette raison, lui et certains de ses homologues, à l’image de Florent Sanseigne, veulent encore y croire et se battre pour une édition 2021 debout.

Des aides pour survivre, mais après ?

Toutes les structures se disent toutefois prêtes à s’adapter, même à des mesures drastiques, « comme elles l’ont toujours fait ». À toutes ces contraintes s’ajoute néanmoins un doute : celui du public. Sera-t-il au rendez-vous ? Baptiste Thenet, qui a fermé les portes du Troquet depuis plusieurs mois, a besoin de « reprendre confiance » avant d’organiser de nouveau des concerts hebdomadaires. Financièrement, il ne peut plus prendre de risques. « Je n’ai plus de trésorerie », confie-t-il. Il ne se plaint pas pour autant : les différentes aides de l’État, comme le fonds de solidarité, lui permettent de payer ses charges – emprunt, loyers, URSSAF, etc. – et de se verser un salaire en tant qu’auto-entrepreneur. Le chômage partiel est également venu au secours de certaines structures.

La Sacem ou encore le Centre National de la Musique ont aussi déployé des fonds exceptionnels auprès des plus gros organisateurs. Quant aux collectivités, Région, départements, communautés de communes et villes, elles sont très majoritairement restées présentes. En rencontrant les différents acteurs régulièrement, elles ont « pris leur pouls » et incité les préfectures à l’autorisation de certaines activités. Par ailleurs, leurs subventions ont été maintenues intégralement en 2020, malgré l’absence d’événements dans certains cas. La Région a mobilisé un fonds associatif de 5,6 millions d’euros qui a en grande partie bénéficié aux acteurs culturels. Des doutes subsistent cependant pour 2021. Les subventions de villes comme Besançon ou Montbéliard sont revues légèrement à la baisse, au regard d’une programmation quasi absente au premier trimestre et parce que les dépenses ont été moindres l’année dernière.

Au niveau de la région, la vice-présidente de la commission culture Laurence Fluttaz garantit que « les subventions des festivals seront versées au prorata des dépenses engagées ». Mais la situation de ces derniers est plus fragile : beaucoup perçoivent peu de subventions publiques, et dépendent essentiellement voire intégralement de leurs festivaliers. Là aussi, les stratégies sont différentes : Rencontres et Racines, festival à Audincourt, a remboursé tous les billets de 2020 et « repart de zéro » ; au No Logo, on pouvait garder sa place pour 2021. « Nous avons aussi organisé une campagne de merchandising, car notre chiffre d’affaires a baissé de 96 % entre 2019 et 2020 », rapporte Florent Sanseigne. Les dépenses engagées sont limitées au maximum, au cas où.

« On nous a placés sous respirateur artificiel »

« On nous a placés sous respirateur artificiel », s’inquiète Antonin Borie, patron de l’Antonnoir, à Besançon. Bien qu’il organise des concerts, le statut de discothèque de son établissement l’a empêché de rouvrir, même quelques semaines durant l’été. Malgré le chômage partiel, deux de ses serveuses en CDI ont démissionné, parties trouver du travail en Suisse. Quant à son prêt garanti par l’État, il craint de ne pas pouvoir le rembourser. « Il faudrait que l’État le prenne en charge, avance-t-il, sinon, nous devrons répercuter ce surplus sur nos prix… ». Même les structures subventionnées ne sont pas sereines : « Nous dépendons d’un écosystème qui, lui, est dans la merde », s’effraie Simon Nicolas, de la Rodia, faisant référence aux artistes, techniciens, restaurateurs… « Combien ne se relèveront pas ? » se désespère Antonin Borie, qui assure que beaucoup de ces personnes quittent le secteur, car « il faut bien bouffer ».

« Nous savons que les grosses boîtes de production tiendront, poursuit Simon Nicolas, mais nous avons à cœur de travailler avec de plus petites. Nous craignons une uniformisation de la proposition artistique. » SMAC, cafés-concerts et festivals jouent en effet un rôle primordial dans la diversité artistique et dans l’émergence d’artistes. Les garder fermés encore trop longtemps ou leur imposer des mesures drastiques reviendra à restreindre cet éclectisme. « Ceux qui vont s’en sortir, ce sont les Aya Nakamura et les Maître Gims », s’insurge Antonin Borie. Et à l’Antonnoir comme sur les autres scènes franc-comtoises, le public a été habitué à ouvrir ses oreilles sur des sons bien plus variés.

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !