Nous écrivions à la rentrée de septembre que Factuel était en difficulté (voir ici). Nous voici aujourd'hui au bout du chemin, à la fin d'une belle aventure partagée avec vous. A la fin d'une histoire audacieuse, généreuse, exigeante, enthousiaste, épuisante... Pour dire vrai, nous n'avons jamais eu vraiment les moyens de nos ambitions éditoriales, pariant hardiment qu'ils viendraient en avançant. Nous avons osé, bousculé la hiérarchie des sources, inventé des formes inédites, proposé souvent, révélé parfois... Nous n'avons pas su convaincre suffisamment de monde de s'abonner. Nous avons éprouvé l'hostilité de grands médias régionaux dont certains ont interdit à leur rédaction de nous citer. Nous avons fait de la corde raide pendant neuf ans. Cette dernière année aurait pu être celle du sursaut. Elle aura été la plus difficile.
Il y a un an, nous avions, comme beaucoup, comme vous sans doute, souffert de la première année de la pandémie, des confinements, des restrictions de sortie, du ralenti imposé à la vie sociale. Prenons par exemple notre concours de nouvelles. Lancé juste avant le début de la crise sanitaire par La Bande à Factuel, notre partenaire associatif, ce concours a distingué des lauréats, honoré des textes de qualité, après que le jury a dû plusieurs fois différer ses délibérations. Cependant, aucune remise générale de prix n'a pu être organisée, même s'il y eut une bien sympathique lecture publique concoctée par l'association Page 27 au cœur de l'été, à Vevy, sur le premier plateau du Jura.
Il y a un an, notre projet de constituer une équipe rédactionnelle commençait à prendre forme et cinq journalistes talentueux oeuvraient plus ou moins intensément, mais régulièrement pour Factuel. Mais des orientations professionnelles différentes et surtout matériellement plus sécurisantes, en auront eu raison. Cette équipe comprenait le repreneur potentiel du journal. Faute de l'assurance d'un revenu correspondant à ses responsabilités, il n'a pas donné suite. Ces départs ont eu des conséquences délétères sur l'offre éditoriale, et donc sur les abonnements.
Dans le même temps, nous investissions dans un nouveau site peu après avoir créé une version papier trimestrielle qui devait aussi servir de vitrine. L'avons nous fait dans le bon tempo ? On pourrait répondre oui tant l'un et l'autre nous semblaient nécessaires et ont été plutôt bien accueillis. Mais on doit aussi considérer la face cachée de ces deux projets : ils nous ont coûté davantage de temps et d'énergie que prévu, notamment au détriment du journalisme.
Le temps et l'énergie nous ont aussi été pompés par l'installation dans la durée de la crise sanitaire qui s'est vite doublée d'une crise politique, sociale et culturelle. Elle aura entraîné la quasi impossibilité pour La Bande à Factuel d'organiser les événements de promotion du journal, d'animation de notre communauté de lecteurs et d'amis.
Le résultat de tout cela se traduit en chiffres dans un bilan économique négatif. Avec un déficit comptable de 1650 euros, il n'aura certes manqué qu'une vingtaine d'abonnés au dernier exercice pour être équilibré. Mais le plus important n'est pas là. Factuel devait passer le cap de la transition-transmission après le départ en retraite de son fondateur - l'auteur de ces lignes. Cette opération a échoué dans un contexte on ne peut plus difficile. Et ce ne sont pas vingt abonnements qui nous manquaient dans cette perspective, mais au bas mot vingt fois plus !
Aujourd'hui, nous prenons la décision d'arrêter notre production éditoriale professionnelle et notre activité commerciale. Factuel va rester sur la toile. Ses contenus réservés et ses archives passeront dans quelque temps en accès libre. Les blogueurs qui le souhaitent pourront continuer à écrire. Des textes continueront à être publiés, mais à un rythme plus lent, moins régulier.
Aujourd'hui, nous formons des voeux pour que 2022 ne soit pas ce qui nous est promis par les oiseaux de mauvais augure qui ont transformé l'espace public en jeux du cirque. Nous adressons nos chaleureux remerciements à toutes celles et tous ceux qui ont apporté leur pierre à notre fragile édifice, que ce soit par le texte, le dessin ou la photographie, que ce soit en payant un abonnement ou en en parlant autour de soi, en nous critiquant ou - plus souvent - en nous encourageant.
Chères lectrices et chers lecteurs de Factuel, un cycle s'achève. Continuez à lire et à faire vivre la presse et l'édition indépendantes. Défendez les journalistes professionnels de base et les lanceurs d'alerte (la plus part sont sincères et honnêtes) non pour eux-mêmes mais parce qu'ils sont, avec les créateurs et les chercheurs, les symboles de la liberté d'expression et du droit de regard citoyen sur les choses communes. Notre pays, notre région, notre époque en ont tant besoin.