Trois femmes et un confinement/ Jour 2

Et puis tout d’un coup tout s’arrête. Ce n’est pas moi qui cale. C’est toute la France, c’est toute l’Europe. C’est même mondial. C’est une panne généralisée du système. Et là, on se rend compte à quel point on est fatigué. Tout à coup il n’y a plus une voiture dans les rues, c’est le silence. Tout à coup, on entend les oiseaux chanter… alors que le frigo n'a jamais été aussi rempli.

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JOUR 2 – MIMI

 Le mécanisme s’est déclenché quand, ce matin tôt, avant qu’Anouk et Nina soient levées, j’ai ouvert la porte de mon (petit) frigo. Il était affreusement plein. Comme jamais il ne l’a été. Début de crise d’angoisse. D’habitude, mon frigo est esthétiquement presque vide. C’est un choix, les frigos remplis jusqu’à la gueule me mettent au bord de la panique. D’autres sujets, ou plutôt objets de panique domestique, me sont revenus en mémoire. Je ne supporte pas la planche à repasser. La dernière que j’ai achetée, parce que m’étais exhortée à plus de normalité, a fini chez ma voisine, ravie d’en hériter, heureusement surprise par son look un peu design. Le look n’a pas suffi à ce que la planche à repasser trouve sa place chez moi. La cocotte-minute me déprime. J’ai le souvenir de feu une cocotte totalement cramée avec un poulet dedans, cramé lui aussi. Les deux ont fini à la poubelle. En parlant de poubelle, encore un objet que j’abhorre. L’épluche pommes-de-terre, dit économe, ne tient pas plus d’une semaine. Chez moi, il disparait.

J’ai coupé court à cette remémoration de ce qu’il faut bien appeler mes névroses, pour admirer, quand même, le rangement du frigo fait par Anouk et Nina. Surtout Nina. C’est la reine du rangement intelligent du frigo ! Avec sa mère, elles sont aussi des pros des courses. Quand elles sont arrivées, il y avait, dans le frigo, une grosse salade lavée et artistement répartie dans plusieurs sacs à congélation venus je ne sais d’où, parce que je n’ai pas de congélateur.

-          Ah oui, s’est contentée de dire Anouk, dubitative devant l’ampleur du problème.

-          Wesh ! a commenté Nina. On a du boulot devant nous !

Aujourd’hui, le frigo est plein et bien rangé.

Lors de notre « réunion de crise » afin de savoir comment nous allions nous organiser, nous avons donc décidé qu’elles seules s’occuperaient de faire les courses, d’élaborer des menus… Je constate que ce confinement provoque des retours sur soi, un processus d’introspection… Que ça parte de la vue d’un frigo plein, je ne l’aurais pas imaginé.

 JOUR 2 – ANOUK

Ce matin, quand je me suis réveillée, j’étais un peu déboussolée. Quel jour sommes-nous ? Mercredi ? Jeudi ? Je me suis dit que c’étaient sans doute les premiers signes d’une perte de repaire, qui n’allait pas aller en s’arrangeant. Pour le reste, je me demande si je suis la seule à éprouver, outre l’anxiété, la fatigue, le contrecoup, je me demande si je suis la seule à éprouver un sentiment un peu surprenant : le soulagement.

Je projette peut-être sur d’autres ce que je ressens, pourtant, il me semble que j’ai perçu cette même petite pointe de soulagement autour de moi, le week-end dernier déjà, et en début de semaine. Et je crois qu’il s’explique. Dans mon entourage, tout le monde s’estime, à juste titre, chanceux. Alors bien sûr, il y a des soucis, les enfants qui vont mal, un divorce, un boulot qui menace de disparaître, un amoureux qu’on aime moins, ou plus, ou trop… Mais on aurait honte de se plaindre, alors on court, on accepte les délais trop courts, on accepte les factures trop élevées, on accepte les dîners qu’on devrait refuser parce qu’on est crevé, on dit oui aux amis parce que rien n’est plus beau que l’amitié, on oublie qu’on n’a plus vingt ans, mais on a raison, parce qu’on en a moins, du temps, et on le sait depuis pas longtemps, alors on dit oui à tout, on s’en fout, on est vivants.

Et puis tout d’un coup tout s’arrête. Ce n’est pas moi qui cale. C’est toute la France, c’est toute l’Europe. C’est même mondial. C’est une panne généralisée du système. Et là, on se rend compte à quel point on est fatigué. Tout à coup il n’y a plus une voiture dans les rues, c’est le silence. Tout à coup, on entend les oiseaux chanter… Tout à coup on se dit que lundi on restera chez nous, et mardi, et mercredi et jeudi. Ce n’est pas comme des vacances. Les vacances aussi il faut en profiter, les rentabiliser. Alors que là, on fait comme on peut, et c’est agréable, c’est nouveau : on a le droit de faire comme on peut. Et on ne sait pas pour combien de temps. Alors, s’il n’y avait pas la peur pour nos proches, la tristesse pour tous les plus précaires qui souffrent encore plus que d’ordinaire, s’il n’y avait pas plusieurs fois par jour des pensées admiratives et angoissées pour toutes celles et ceux qui sont en première ligne, et qui sont beaucoup, mais alors beaucoup plus fatigués que nous… S’il n’y avait pas les Italiens pour nous rappeler qu’on va être durement frappés. Alors oui, derrière tout cela, on s’autoriserait un léger sentiment de soulagement, et l’espoir que quand la vie reprendra, nous saurons, individuellement et collectivement, laisser dans notre nouvelle existence une petite place pour les oiseaux, pour la douceur, pour la solidarité, mais aussi, tout bonnement, une petite place pour l’ennui.

 JOUR 2 – NINA

 Début du deuxième jour, Mimi m'a réveillée en rentrant en trombe dans ma chambre pour que l'on puisse mettre en place nos « nouvelles règles » (super début de journée). Donc au programme durant le confinement : lever a 9 heures, deux heures de révisions le matin et deux heures l'après-midi, dessin et petites balades. On est sorties faire un tour et acheter des m&m's, munies de nos attestations. J'ai téléphoné à ma copine et après, les enfants dont je m'occupe habituellement m'ont appelée pour me dire que je leur manquais (Trop chou)! L'ennui commence déjà à se faire sentir et j'ai hâte de pouvoir retourner sur les terrasses parisiennes avec mes copines ! Il va falloir prendre son mal en patience !

 

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