Sokrat Gasparyan, la sensibilité au bout du crayon

En France depuis un an après avoir quitté son pays, l'Arménie, où il est victime de la corruption, il a formé un recours contre le rejet de sa demande d'asile. Ce dessinateur talentueux en est à sa troisième exposition à Besançon...

sokrat

Il émane de ses portraits une légèreté grave. Légèreté du trait, finesse du geste, gravité du moment que Sokrat Gasparyan choisit d'arrêter, de suspendre. Que le sujet soit d'après nature ou né de son imagination, comme ces cinq dessins au stylo, faits en avril, qui ouvrent l'exposition qui se tient au FJT des Oiseaux jusqu'au 26 juillet. Le premier montre une femme rencontrée au CCAS qui « dormait en mangeant... Son visage était attirant, intéressant, je l'ai dessiné d'un coup, en quelques secondes... »

Les quatre autres sont du « même jour à la même heure ». La sensualité est à peine esquissée, suggérée, murmurée... D'un seul trait, minimal, essentiel, naît une attitude du corps, un mouvement que l'on pressent. Tirés de l'imagination, « peut-être » d'un souvenir. Ils disent « la beauté, la vie, la continuité de la vie... »

La continuité de l'art, d'une tradition arménienne où le Génocide a toute sa place, où la censure soviétique a laissé la place à la liberté même si « on ne peut pas dessiner n'importe quoi aujourd'hui ».

Personnages concrets...

Les thèmes de Sokrat sont aussi sociaux. Il a dessiné un SDF, un « personnage concret » d'après une photo « trouvée sur internet ». Ce faisant, il veut « monter la misère ». On la voit aussi dans ce visage de femme d'un certain âge minutieusement travaillé : « J'ai été attiré par ses yeux grâce auxquels ont peut imaginer sa situation, elle aussi SDF... »

Il n'y a pas que des sans abri, comme en témoigne cette Arménienne de ses connaissances, dessinée d'après photo. Là aussi un souvenir. Il y a aussi cette étonnante figure à géométrie variable. De loin, c'est un visage de femme, taciturne, à peine esquissé, sous un foulard. Une amie de Sokrat y a vu la mort... Il est formel : « non ». De près, c'est un paysage urbain de gratte-ciel et d'avenues. Est-ce une avenue de la période stalinienne ? Il sourit : « j'ai dessiné sans y penser, j'ai commencé par le voile, mais je ne voulais pas qu'il reste vide... »

Plus loin, une lithographie travaille la perspective d'une ville. Parmi trois médaillons de femmes, on reconnaît Marie Curie...

Un pays gangrené par la corruption

Pour Sokrat, l'art du dessin est un métier. Son métier, celui qu'il a appris en Erevan dont il est diplômé. Mais il a fui son pays, gangrené par la corruption, certains disent la mafia. La France l'a retiré en juillet 2010 de sa liste des pays sûrs, mais l'a remis en novembre 2011, au grand dam des défenseurs des droits de l'homme. (Amnesty International ici, et FIDH ) alors que la liberté de la presse progresse mais reste fragile selon RSF (ici et .

Le pays est miné par la guerre du Haut Karrabach, par la violence politique. « Aujourd'hui, il y a le président et tout le monde qui obéit, il a divisé le pays, il n'y a pas de justice, des assassins sont en liberté », dit Garegin Ayvazyan. En France depuis une dizaine d'années, cet ancien comptable devenu chauffeur de poids lourd, a été naturalisé en 2011. « J'ai vécu la période soviétique, je suis de droite, j'ai rejoint l'UMP. Jacques Grosperrin m'a aidé à faire venir mon fils... »

« Il rêve en français... »

Garegin Ayvazyan a pris Sokrat sous son aile, l'accompagne dans ses démarches, précise le vocabulaire quand le français de l'artiste est trop hésitant. Il raconte ce qui l'a conduit à son départ d'Arménie : « Sokrat a voulu ouvrir une école d'art, mais pour la financer, il a commencé par ouvrir un magasin de bricolage. Quand ça a commencé à marcher, des hommes de main d'un général sont venus lui dire de prendre à sa charge cinq personnes d'une famille d'anciens combattants du Haut-Karrabach. C'est une forme de racket, mais ça se fait et il a accepté. Il n'y a pas une personne avec un petit business à qui ça n'arrive pas. Puis ils sont arrivés à quinze et Sokrat a dit : je ne peux pas... Après son refus, il a été tabassé... Il a été obligé de partir. »

Pour Garegin, Sokrat sera « utile à la France... » A Besançon, il a commencé à intégrer le circuit de la création, a participé au festival Bien urbain avec le collectif Tricyclique Dol. Il a animé des ateliers de dessin pour des structures sociales, a exposé sur les marchés de l'art de Battant et Granvelle. « Il rêve en français », sourit une amie qui le soutient et l'aide à trouver des lieux.

Sur le plan administratif, il est débouté du droit d'asile par l'Ofpra et une OQTF plane au dessus de sa tête. Il a formé un recours contre la décision de l'Ofpra.

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