Saint-Claude : La fraternelle appelle à l’aide

L'association qui anime la Maison du peuple a besoin d'argent. Elle a mis en oeuvre un plan d'économies avant de se tourner vers ses amis et les collectivités. L'enjeu est la pérennité d'une structure de diffusion culturelle unique dans un secteur en difficulté économique qui a vu naître il y a 134 ans un monument du mouvement coopératif et mutualiste.

La fraternelle. Un lieu de diffusion culturelle, trois salles de cinéma, un théâtre, un club de jazz réputé, des résidences d'artistes, des actions sociales, scolaires, éducatives... Et une Maison du peuple musée ouvrier...

On ne présente plus La fraternelle de Saint-Claude tant elle semble faire partie du paysage des utopies concrètes chères aux Franc-Comtois. Cette construction, le bâtiment de 1910 mais aussi l'organisation sociale, reste cependant fragile car les temps sont durs aux initiatives collectives qui ambitionnent de travailler à l'émancipation humaine. Le lieu a déjà connu des tempêtes. Dans les années 1980, la grande distribution triomphante a eu raison de la coopérative d'approvisionnement à l'origine d'une aventure commencée il y a 134 ans. Les orientations prises depuis une trentaine d'années ont marqué un tournant culturel qui irrigue tout le Haut-Jura et attire de bien plus loin.

Aujourd'hui, les animateurs de l'association La fraternelleavec un f minuscule, qui a repris en 1984 les actifs de la coopérative La Fraternelleavec un F majuscule que le Cercle ouvrier de Saint-Claude avait fondé en 1881, font à nouveau face au gros temps. Il est évidemment financier. Les activités sont équilibrées, expliquent les dirigeants. Elles vont du théâtre au cinéma, de D'Jazz au bistro aux résidences d'artistes, des séminaires aux expositions en passant par de multiples actions éducatives, explique Laétitia Mérigot, en charge de la communication. En revanche, la charge de l'entretien du bâtiment plombe les comptes, dans le rouge depuis quatre ans. Le déficit était de 13.000 euros en 2012, il a atteint 58.000 euros en 2013 et 168.000 euros en 2014 et devrait être ramené à 100.000 cette année : « on vise un déficit de 50.000 euros en 2016 et le retour à l'équilibre en 2017 », disent le président Hervé Duquet et le nouveau directeur Christophe Joneau, vendredi 6 novembre lors d'une conférence de presse à laquelle ont assisté près de cent personnes : bénévoles et salariés, sympathisants de la cause, élus locaux, candidats (Verts et PS) aux élections régionales...

Un plan d'économies

Comment en est-on arrivé là ? Essentiellement en raison du coût de fonctionnement du bâtiment de 4000 m2, de sa réhabilitation entre 2011 et 2014, de l'investissement dans la numérisation de la salle de cinéma. Bien que largement subventionnée, la réhabilitation de 1,4 million a nécessité la mobilisation de 20% de fonds propres via un emprunt bancaire. La numérisation a été financée par l'emprunt et une subvention du CNC indexée sur la fréquentation qui a diminué l'an dernier, à Saint-Claude comme dans le pays. Au total, le poste remboursement des emprunts représente 45.000 euros par an. Le remboursement de l'emprunt ayant permis les travaux du magnifique théâtre à l'italienne, en 2000, s'est terminé l'an dernier. Mais les 15.000 euros de subventions accompagnant les trois emplois aidés, transformés en CDI, ne sont plus là.

Pour faire face, La fraternelle s'est engagée dans un plan d'économies. Après une augmentation de 22.000 euros de la masse salariale en 2104, les salaires ont été bloqués cette année. Les contrats de cession avec les artistes qui résident et/ou exposent à La fraternelle ont été renégocié. « Tous ont compris que leur travail était en jeu », dit Roger Bergeret, administrateur délégué aux archives. Mais c'est insuffisant et l'association se tourne « vers ses partenaires » et son réseau de sympathisants pour appeler à l'aide. 

11.000 euros de dons

Mobiliser les amis a déjà commencé. Une centaine a déjà apporté 11.000 euros sous forme de dons. Environ 1500 personnes avaient signé lundi 9 novembre un appel sous forme de pétition en ligne. Les partenaires sont de deux types : les structures avec lesquelles coproduire des actions, et les collectivités publiques. L'engagement de travailler encore davantage en réseau avec les premières vient en réponse à une question de Gaël Coulon qui assiste dans le public à la conférence de presse : alors qu'arrive bientôt la grande région fusionnée dans laquelle le Haut-Jura sera encore plus périphérique, « quels seront les rapports avec la Suisse et Rhône-Alpes, aussi bien pour les financements que pour les programmations ? »

« Il y a davantage de partenariats que de projets. Ça fait des années qu'on travaille avec Jazz Contreband de Genève et le Pays de Savoie, avec le conservatoire d'Oyonnax », répond Hervé Duquet qui constate que les subventions sont « figées géographiquement », que la définition des soutiens des communautés de communes est « difficile » pour des raisons juridiques. En Franche-Comté intramuros, les partenaires sont nombreux, proches comme avec le Parc naturel régional du Haut-Jura, ou lointains comme avec le Centre chorégraphique national de Belfort...

Relations tendues avec la Ville

Quant à l'Etat et aux collectivités, ils apportent environ 30% d'un budget annuel d'un million d'euros. Le département du Jura a doublé la sienne ces dernières années, la portant à 70.000 euros. La région l'a fait passer de 40 à 50.000 euros en 2012. L'Etat est engagé sur diverses actions, de l'action culturelle (35.000 euros) au contrat de ville et aux subventions fléchées, et même sur le futur Contrat d'éducation artistique territorial 2016-2018 (voir ici le projet 2014-2015). La ville, qui verse 50.000 euros et touche 18.000 euros de taxe foncière,  est un peu tirée par la manche : « C'est faible compte-tenu de l'activité », lâche Hervé Duquet. 

Avec la municipalité san-claudienne, les relations sont délicates, « souvent tendues » depuis le retour à l'hôtel de ville de Jean-Louis Millet en mars 2014. Ancien maire MPF de 2001 à 2008, il a été élu conseiller départemental en mars dernier avec le soutien explicite du FN. Surtout, entre la droite locale et la Maison du peuple qui abrite La fraternelle, il y a un monde de différence. « Aujourd'hui », explique Hervé Duquet, c'est encore plus dur. Ils sont très rarement là. Quand on les rencontre, on passe pour être les pires des gestionnaires... On est dans les notions de service public avec la Ville, on discute d'ouvrir le cinéma en été. Mais si on le garde ouvert pour les scolaires et les touristes et qu'il fait beau, on n'a personne. S'il pleut, il y a du monde... Avec la mairie, on travaille sur le social. On veut travailler avec eux, il y a beaucoup à faire ensemble : un euro d'argent public investi dans La fraternelle est plus intéressant qu'un euro dans un événement culturel... »

La fraternelle est « un livre d'histoire »

Dans le public, l'ancien maire communiste, Francis Lahaut, « apprécie modérément le parallèle avec [son] mandat : j'ai toujours été très présent. En 2001, j'ai fait participer la Ville à hauteur de 10% des investissements. Durant mon second mandat, nos investissements ont débouché sur d'autres participations financières... » Il dit surtout qu'entre Millet et lui, il y a « deux visions totalement différentes de la culture », et proclame : « La fraternelle est une espérance ».

Ce faisant, Francis Lahaut défend un point de vue largement partagé par ceux qui font vivre La fraternelle en invoquant son implication dans une certaine conception du « service public », deux mots qui reviennent plusieurs fois. Directeur depuis la rentrée, Christophe Joneau, pianiste de jazz et ancien directeur des Loisirs créatifs de Dole, dessine un projet pour une fraternelle « tournée vers l'avenir » et « contribuant à l'attractivité du territoire : dans une zone impactée par la crise, avec une démographie en baisse », elle est à voir comme un attout « majeur ». Il argumente en direction de ceux qui s'intéressent à l'aménagement du territoire : « la situation de La fraternelle est emblématique de nombreux lieu de diffusion en milieu rural. Comment imaginer attirer des investisseurs ou des touristes sans La fraternelle, sans diffusion culturelle ni activités ? Il y a très peu de lieux en France avec ce potentiel et cette interdisciplinarité ». Frédéric Poncet, candidat PS aux régionales, est bien d'accord : « La fraternelle participe au développement économique ».

De fait, La fraternelle est unique. « C'est un livre d'histoire... Elle ne peut pas périr », dit l'historien Roger Bergeret. Or, cette histoire est un enjeu d'aujourd'hui : « Nous sommes le produit d'un pays, d'un territoire, d'une tradition de solidarité : les fruitières, les mutuelles, le socialisme utopiques. C'est sur ce terreau qu'est née La Fraternelle en 1881, il n'y a pas de rupture avec La fraternelle qui est l'une des plus vieillies association de France. Au départ, ce fut une coopérative d'alimentation. Ses buts étaient d'améliorer la condition matérielle et morale des ouvriers. Henri Ponard a fait adopter les statuts de 1896 qui prévoient que les bénéfices ne sont pas versés aux coopérateurs, mais à un fonds de réserve inaliénable qui servira à la prévoyance, la sécurité, la retraite. C'est un cycle vertueux de l'économie : les salariés achètent les biens dont ils ont besoin à la coopérative qui constitue ainsi un capital social permettant de constituer d'autres coopératives... »

4000 adhérents en 1920

Il y eut un magasin, de la production alimentaire, une imprimerie où furent tirés le Jura socialiste et L'Ouvrier diamantaire, puis, sous l'Occupation, la presse clandestine... En 1920, il y avait 4000 adhérents. Aujourd'hui, les archives ont été numérisées avec l'aide de syndicats belges. Des universitaires sont venus à Saint-Claude faire des recherches. Pas étonnants que plusieurs aient manifesté leur solidarité, soulignant au passage la force de « l'École de Saint-Claude ». Parmi eux, le recteur de l'académie de Besançon, Jean-François Chanet, qui n'oublie pas qu'il est historien : « c'est inconcevable que La fraternelle soit menacée, c'est un patrimoine irremplaçable, un lieu à valeur pédagogique ». La société Voltaire a annoncé « participer aux efforts en cours » 

L'amélioration de la situation peut-elle passer par la constitution d'une SCICsociété coopérative d'interêt collectif ?, interroge Pierre Grosset, également candidat sur la liste PS. Les dirigeants de l'association ne sont pas chauds. « C'est en réflexion, ça voudrait dire partager ce lieu, y compris sur la gouvernance, avec les collectivités. C'est joli sur le papier, mais quand des collectivités s'impliquent dans une SCIC, elles sont moteurs, or, là, c'est la fraternelle le moteur », dit Hervé Duquet. Roger Bergeret « redoute » la perte d'indépendance qui pourrait résulter de l'investissement d'une collectivité dans une SCIC : « elle aurait tendance à nous considérer comme un partenaire ». Une prise de distance qui montre la crainte de l'emprise du politique. Même si certains propos de campagne font plaisir à entendre, comme celui de Brigitte Monnet (tête de liste EELV) : « la culture dérange, la culture fait résister, il faut sanctuariser le budget de la culture ».

Sanctuariser le budget de la culture, c'est exactement ce qu'avait dit Jean-Philippe Lefevre, numéro 2 sur la liste LR-UDI, non à la Maison du peuple de Saint-Claude où il n'était pas ce jour-là, mais dans sa ville de Dole le 29 septembre dernier...

 

 

 

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