Qu’est-ce que l’Art ?… Rencontre avec Pascale Lhomme, artiste et graphiste

Qu'est-ce que l'Art ? Une question simple à laquelle il est difficile de répondre. Artistes, philosophes, critiques, amateurs… s'efforcent de donner un point de vue, une vérité. S'écharpent parfois… L'Art, une activité qui remonte à la nuit des temps, qui appartient à l'espèce humaine. Factuel. info continue à rencontrer des artistes, à leur donner la parole, puisque l'Art est aussi un langage. Aujourd'hui, Pascale Lhomme, artiste, graphiste, éditrice...

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Qu’est-ce que l’art ? Qu’est-ce qu’un artiste ? Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? Quelques réponses, parmi des milliers d’autres.

L’art est un mensonge qui nous fait saisir la vérité, a dit Pablo Picasso. Dans chaque enfant, pense-t-il, il y a un artiste. Le problème est de savoir comment rester cet artiste en grandissant. Il a également dit que la peinture n’est pas faite pour décorer les appartements, c’est un instrument de guerre, offensif et défensif, contre l’ennemi. On pense bien sûr à Guernica…

Pour Mark Rothko, un des membres fondateurs et influents de l’expressionnisme abstrait américain, De tous les outils que l'artiste peut se forger par la pratique, le plus important est la confiance dans sa faculté d'opérer des miracles en cas de nécessité. Les tableaux doivent constituer des miracles. Leur achèvement marque la fin de l'intimité entre création et créateur. L'artiste se retrouve en dehors. Pour lui comme pour tous ceux qui approchent le tableau par la suite, ce doit être une révélation, la réponse inattendue et inédite à un besoin éternellement familier.

Courbet, lui, affirmait : Savoir pour pouvoir, telle fut ma pensée. Être à même de traduire les mœurs, les idées, l’aspect de mon époque, selon mon appréciation ; être non seulement un peintre mais encore un homme ; en un mot faire de l’art vivant, tel est mon but.

Pour Nietzsche, chez l’homme l’art s’amuse comme la perfection. Il est même, selon lui, la source suprême de la joie.

Tout dans la nature se modèle sur la sphère, le cône et le cylindre, il faut apprendre à peindre sur ces figures simples, on pourra ensuite faire tout ce qu'on voudra, a professé Cézanne.

Plus loin dans le temps, Léonard de Vinci. La peinture est une poésie qui se voit au lieu de se sentir ; et la poésie est une peinture qui se sent au lieu de se voir. Et ce trait d’humour : On demanda à un peintre pourquoi lui qui faisait des figures si belles qui ne vivaient pas, il avait fait des enfants si laids. Le peintre répondit que la peinture se faisait de jour et les enfants de nuit.

Autant d’artistes, autant de penseurs, autant de définitions de l’art, de l’artiste, de l’œuvre d’art…

Alain, philosophe : Tous les arts sont comme des miroirs où l’homme connaît et reconnaît quelque chose de lui-même.

Quant à Hegel, dans son Esthétique, première partie, il écrit que Le but de l’art, son besoin originel, c’est de produire aux regards une représentation, une conception née de l’esprit, de la manifester comme son œuvre propre ; de même que, dans le langage, l’homme communique ses pensées et les fait comprendre à ses semblables. Seulement dans le langage, le moyen de communication est un simple signe, à ce titre, quelque chose de purement extérieur à l’idée et d’arbitraire. L’art, au contraire, ne doit pas simplement se servir de signes, mais donner aux idées une existence sensible qui leur corresponde. Ainsi, d’abord, l’œuvre d’art, offerte aux sens, doit renfermer en soi un contenu. De plus, il faut qu’elle le représente de telle sorte que l’on reconnaisse que celui-ci, aussi bien que sa forme visible, n’est pas seulement un objet réel de la nature, mais un produit de la représentation et de l’activité artistique de l’esprit. L’intérêt fondamental de l’art consiste en ce que ce sont les conceptions objectives et originelles, les pensées universelles de l’esprit humain qui sont offertes à nos regards.

 Et les femmes-artistes, ou les artistes-femmes ?

On en parle moins, on les connait moins. Est-ce parce qu’à l’instar des femmes qui écrivent, ou des femmes qui lisent, elles sont dangereuses ? Un livre important vient de paraitre, consacré à Nadia Léger, née en 1904 en Biélorussie, « femme de » Fernand Léger. Une femme à l’étrange destin. Une militante, une résistante, une peintre du réalisme socialiste. Elle est, entre autres, la créatrice de mosaïques monumentales qui représentent Lénine, Ekaterina Fourtseva, Marx…

Le cinéma a fait connaître Frida Kahlo à un large public. Pour créer son propre paradis, il faut puiser dans son enfer personnel, a-t-elle dit. Elle a aussi tenté de définir son travail de création. Certains critiques ont tenté de me classer parmi les surréalistes, mais je ne me considère pas comme telle (...) En fait, j'ignore si mes tableaux sont surréalistes ou pas, mais je sais qu'ils sont l'expression la plus franche de moi-même (...) Je déteste le surréalisme. Il m'apparaît comme une manifestation décadente de l'art bourgeois. Une déviation de l'art véritable que les gens espèrent recevoir de l'artiste (...) J'aimerais que ma peinture et moi-même nous soyons dignes des gens auxquels j'appartiens et des idées qui me donnent de la force (...) J'aimerais que mon œuvre contribue à la lutte pour la paix et la liberté ...

Sophie Taeuber Arp (1889-1943) artiste, peintre, sculptrice et danseuse suisse, a participé aux mouvements dada puis surréaliste avec son époux, Jean Arp.

Meret Oppenheim s’est engagée activement dans les mouvements féministes dans les années 70. Elle affirme tant dans son travail que dans de nombreuses manifestations que «l’esprit est androgyne».

« Qui enlèvera la tristesse aux arbres? / Pourquoi le ciel leur donne-t-il de la fumée de violettes? / Comment ta chute peut-elle prévenir la suivante? / Il existe des réponses à ces questions.»

Frédérique Lucien. Propos rapportés par Claudine Grammont dans le catalogue d’expo corps et décors, au musée Matisse, à Nice. Frédérique Lucien « s’est, dit-elle, engagée dans la couleur », et le découpage : « Le moment de la découpe, précise Frédérique, est celui du geste en tension, de la concentration, qui se rapproche alors de la calligraphie. Il faut laisser aller le mouvement, et que le mouvement aille jusqu’au bout de la forme. Dans la découpe, ajoute-t-elle, le matériau se tient »

Elle rapporte à l’atelier ces quelques éléments du vivant qu’elle vient de glaner : deux tiges de monnaie de pape, sèchent sur la table, des têtes de pousses pieds, comme des ongles, « petite choses qui font leur chemin. A un moment, je vais être en mesure de les dessiner ».

Quelques anecdotes, autour de la "définition" de l’œuvre d’art, avant de passer à plus sérieux

Si l’art est un langage, universel qui plus est, que nous dit l’artiste italien Piero Manzoni avec son œuvre réalisée en 1961, œuvre composée de 90 boites de conserve cylindriques, hermétiquement scellées sur ses excréments ? Merda d’artista. Traduire par Merde d’artiste. Les boites sont étiquetées, numérotées et signées. Dimensions (Diam × H × L) : 6 × 4,8 × 6 cm. Sur l’étiquette, en italien, en français, en anglais et en allemand :

Merde d'Artiste

contenu net gr 30

conservée au naturel

produite et mise en boite

au mois de mai 1961

Ce qu’il faut bien appeler – aussi – un pot de merde, peut se vendre jusqu’à 300 000 dollars, au nom de l’art conceptuel. Il parait que certaines boites ayant eu des fuites et dégageant une odeur pestilentielle, il a fallu les jeter…

Il y a peu, à Miami, lors de la Foire d'art contemporain, une banane (une vraie banane) scotchée sur un mur blanc avec de l'adhésif gris, s'est vendue 120 000 dollars. L'œuvre d'art en question étant périssable par nature, elle a été, aussitôt vendue, mangée. Puis remplacée par une autre banane… Une œuvre d'art épluchable, digérable, remplaçable… au final transformée en excréments qui pourront être mis en boite. Lorsque la boite cèdera, (comme on a vu que cela peut arriver) l'œuvre d'art pourra être transformée en compost… qui favorisera la croissance d'un autre légume, d'un autre fruit, lui même accroché sur un mur blanc, à l'aide d'un adhésif gris...

L’Art a ses grands noms, la liste est longue... ses faussaires (Wolfgang Beltracchi, Fernand Legros…) ses imposteurs et ses farceurs

Chez les farceurs, la peinture de Joachim Raphaël Boronali, un peintre italien né à Gênes qui ne demandait qu’à être connu. Son tableau Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique, est exposé au Salon des Indépendants en 1910. Des journalistes le rebaptisent Coucher de soleil sur l’Adriatique.

En réalité, il s’agit d’un énorme canular. Le tableau, à l’initiative de Roland Dorgelès, journaliste et écrivain, a été peint par un âne, plus précisément par la queue remuante d’un âne trempée dans différents pots de peintures, tandis que l’animal, (Boronali, anagramme de Aliboron) était gavé de friandises.

 Ce petit préambule sur la question de l’Art, sur la recherche de ce qui nous touche ou ne nous touche pas, de ce qui nous parle ou nous reste inaudible… nous a déjà conduits vers Courbet, vers Yan Peï-Ming, vers Hodler, vers Henri Traforetti, vers Vladimir Anishchenko, vers les artistes de l’atelier d’Art libre comtois…

 Vers Pascale Lhomme

                                                                                Pascale Lhomme dans son atelier

Aujourd’hui, vers Pascale Lhomme, dont l’atelier se trouve à L’Arsenal, dans ce bel ensemble baptisé Hôp Hop Hop ! Il y a peu, on pouvait voir une partie de son travail dans la salle d’exposition de ce lieu bisontin. Elle a ouvert les portes de son atelier pour Factuel.info. Elle nous a expliqué comment elle travaille, comment elle crée… Artiste, graphiste, micro-éditrice, Pascale Lhomme est diplômée des Beaux-Arts de Besançon. Elle poursuit un travail expérimental en investissant le champ du livre d’artiste et de l’installation. Le collage, la photographie, le graphisme et le détournement d’objet sont les moyens d’expression qu’elle sollicite le plus souvent en les faisant cohabiter de multiples façons.

                                               Pascale Lhomme dans la salle de sa dernière exposition à Hôp Hop Hop ! 

 Le papier, témoin et mémoire

Tout d’abord, un véritable amour pour le papier sans doute hérité de son père, qui travaillait à la papeterie de Novillars. À cette époque, on y fabriquait du papier cristal, de différentes couleurs. Il arrivait que le père de Pascale Lhomme en ramène des échantillons que la future artiste gardait précieusement. Elle en aimait la texture, les couleurs, le bruit quand on le touche ou qu’on le froisse. Elle continue à garder tous les papiers qu’elle peut trouver, parce que pour elle, ils sont le témoignage d’une époque, une mémoire du passé. Ils servent de support à certaines créations, ils sont langage sur lequel ces créations reposent, se détachent, appellent notre œil, font tout à coup battre notre cœur un peu plus fort.

Pascale Lhomme parle du papier comme d’un être vivant, avec tendresse, respect et admiration. Ce choix premier est fondateur de son acte de création. Tout ce qui est papier l’intéresse, qu’il soit luxueux, ordinaire, vieux, recyclé… Elle le traque, le déniche dans des endroits inattendus, mélange l’ancien et le contemporain. Une histoire d’amour entre elle et le papier dont elle aime le côté tactile, les différents formats… Une fois qu’elle a trouvé celui ou ceux qui conviendront à ce qu’elle souhaite dire, elle travaille à la recherche d’une bonne adéquation entre le thème et le support. Son propos n’est pas d’uniquement accrocher des toiles, mais d’installer un dialogue multiple avec de multiples supports. Supports qui peuvent être des objets de récupération, des photos, des tissus… ces différents supports étant mis en relation entre eux, mais également avec d’autres créations.

Papier, livres, livres d’artiste, femmes…

Qui dit papier, dit aussi parfois livres. Pascale Lhomme réalise de délicats livres d’artistes, pour lesquels elle peut faire appel à d’autres créateur-trices quand il s’agit de compléter le dessin par un texte. « L’objet livre, explique-t-elle, devient lui-même un espace architectural, un lieu d’accueil et de déambulation...une succession d’instants. » 

                                                                   "Matin mémoire" Livre leporello.                                                                                                                                                          Photographies de Pascale Lhomme, Textes de Frédérique Cosnier.                                                                                                                                       Éditions le Mécano-2019

Les matériaux de prédilection de Pascale Lhomme concernent essentiellement le papier et ses dérivés. Ses processus d’intervention sur cette matière première sont divers : collage, dessin, gravure, photo, impression. Ses sources iconographiques sont multiples : dictionnaires, revues en tout genre, imprimés scientifiques, catalogues promotionnels, livres d’art, œuvres personnelles.

Image et écrit, un dialogue constant

Ces manipulations donnent naissance à des œuvres autonomes, qui peuvent nourrir un projet d’édition, la création de livres constituant une part importante de la pratique de l’artiste. L’image et l’écrit sont en dialogue constant, la typographie, le rapport au format, le choix du support, la notion de reproduction à tirage limité ou non, son déploiement dans l’espace sont des préoccupations récurrentes. 

Espaces mixant textes, dessins, éléments textiles, balancements entre décoratif, confection tout azimut de textures, stickers, zones crayonnées, objets empruntés, esquisses sous le mode de la note ou cartographie abstraite : Pascale Lhomme organise des variations avec des objets fantaisie, travaille la séquence, assemble motifs et bricolage de formes dans un esprit handcraft.

                                    

                                                             Œuvre sur papier, de Pascale Lhomme

Une femme doit avoir de l’argent et un lieu à elle si elle veut écrire de la fiction

Ses recherches portent également sur l’identité féminine à travers le choix de textes d’auteures, sur la notion d’espace et d’instant, de ligne imaginaire séparant deux zones géographiques se distinguant par un graphisme particulier, sur la notion graphique de mémoire et d’écriture. Une référence forte : Virginia Woolf, et son essai Une chambre à soi, que Marie Darrieussecq a préféré traduire par Un lieu à soi, dans lequel l’écrivaine anglaise écrivait : « Une femme doit avoir de l’argent et un lieu à elle si elle veut écrire de la fiction. » En ce qui concerne le livre d’artiste, Pascale Lhomme s’applique à réaliser un travail tout en finesse sur le texte, l’image du texte… cela passe par une réflexion qui prendra en compte le format, la nature de la typographie et sa scénographie avec le public. Rien n’est laissé au hasard, tout fait sens.

Le papier peut aussi devenir sculpture, et même sculpture vivante. Grace à un savant travail de découpage, le papier, peint d’un motif recto et verso, raconte des histoires différentes selon la façon dont on le manipule. Une autre façon de recréer le geste de tourner les pages d’un livre.

 Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?

                                      

                                               Création de Pascale Lhomme, à partir d'un entonnoir en verre

Chaumière où du foyer étincelait la flamme,/Toit que le pèlerin aimait à voir fumer,/Objets inanimés, avez-vous donc une âme/Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? poétisait Lamartine.

La mémoire, le travail de mémoire est un thème important chez Pascale Lhomme. Outre les papiers anciens, elle emprunte des objets à la réalité, qu’elle détourne de leur usage initial pour en faire œuvre de création originale, travaillant ainsi à une archéologie poétique de l’objet.

 Quand la sculpture devient photo, puis devient tableau, puis devient...

 

 La petite sculpture de quelques centimètres carré, posée sur un tissus bariolé deviendra photo, puis tableau, blanc sur blanc, puis...

 Tout le travail, chez Pascale Lhomme, est délicat. Derrière cette délicatesse, la pensée de l'artiste se profile sous de multiples facettes. Regardant ses créations, notre imaginaire est conduit à franchir des étapes dans l'appréhension de ce que voit notre œil, de ce que touchent nos doigts quand ils feuillettent un livre avec précaution… Au bout des étapes, notre propre interprétation qui, à notre tour et à notre insu, nous conduit à être nous-même même créateur.

Les trois sculptures… et ce qu'elles sont devenues

Ce fameux miracle, dont parle si bien Rothko, qui disait aussi : On ne peut préfigurer, ou représenter d'avance, ni l'action, ni les acteurs. Au début, on s'embarque dans l'inconnu. C'est seulement à la fin que, soudain, on s'aperçoit qu'ils ont exactement l'ampleur et le rôle voulus. Les idées que l'on avait dans la tête depuis le début ont ouvert une porte sur un autre univers.

 

                        Créations de Pascale Lhomme, en partant de petites sculptures de quelques centimètres carrés. Tirage jet                                                              d’encre pigmentaire sur Epson, papier Ultra Smooth Hahnemühle 305g, contrecollé sur Dibond 2mm.                                 65cmx87cm

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