Presse en ligne : l’indépendance, plus qu’un état d’esprit

Se tenant tous les ans à Paris, la Journée de la presse en ligne a démarré par un petit événement social : après avoir signé la convention collective des journalistes, le syndicat (patronal) de la presse indépendante d'information en ligne a invité les principaux syndicats de journalistes. Quand les éditeurs de presse sont du métier, ça change tout !

spiil

C'est le genre d'information qui ne fait pas la une des journaux. Le secteur des médias fait rarement l'objet d'un traitement journalistique. Il fut un temps où, pour avoir des nouvelles des mouvements au sein du capital du Monde, il fallait lire Libération ou Le Figaro. Et inversement. Quand le Crédit mutuel racheta l'ensemble des quotidiens régionaux de Metz et Strasbourg à Grenoble et Avignon en passant par Lyon et Dijon, mieux valait compter sur les quotidiens nationaux ou l'audio-visuel public pour l'apprendre. Alors quand un syndicat d'éditeurs de presse signe la convention collective des journalistes, on ne s'étonnera pas que cela ne fasse pas les grands titres.

C'est ce que vient donc de faire le Spiil, le syndicat de la presse indépendante d'information en ligne, dont Factuel.info est un adhérent. En droit, cela ne change pas grand chose, cette convention collective s'appliquant déjà car elle dite « étendue ». C'est une des rares conventions de métier. Signée par la plupart des syndicats d'éditeurs de presse et les syndicats de journalistes, elle s'appuie sur plusieurs particularités juridiques méconnues de l'exercice du journalisme salarié. La première relève du code du travail qui a trois pages spécifiques pour les journalistes à qui il reconnaît notamment le droit à une « conscience » opposable à son employeur. Et renchérit très sensiblement les conditions d'une rupture de contrat de travail dont le journaliste peut en outre être à l'origine, la plupart du temps en cas de changements d'actionnaire majoritairend . La seconde relève du code civil dont la jurisprudence a fait des journalistes des auteurs : leurs productions sont des œuvres protégées par le fameux droit d'auteur.

L'indépendance du capital

Si la signature de la convention collective des journalistes par le Spiil ne bouleverse pas le droit, elle constitue un signal fort. C'est le signe que les éditeurs de journaux en ligne indépendants entendent faire des journalistes et de leurs syndicats des interlocuteurs privilégiés. A l'heure où les patrons des grands médias sont des financiers ou des industriels cherchant à investir dans des moyens d'influence, le Spiil montre qu'il fait de la production honnête de l'information l'alpha et l'oméga de sa raison d'être. Autrement dit, l'indépendance revendiquée repose sur deux principes nécessaires.

Le premier est celui de l'indépendance du capital de l'entreprise : « la majorité de l'actionnariat doit avoir son activité principale dans la presse, cela exclut les industriels des autres secteurs », a ainsi expliqué Maurice Botbol, patron d'Indigo publications et ancien président du Spiil, lors d'une table ronde justement consacrée à l'indépendance lors de la Journée annuelle de la presse en ligne, vendredi 9 décembre à Paris. Cette définition stricte empêche de considérer comme indépendants des entreprises comme TF1 dont l'actionnaire de référence est le groupe de BTP Bouygues, L'Express ou Libération qui ont été rachetés par le patron de SFR Patrick Drahi, L'Est républicain et Le Progrès désormais propriétés du Crédit Mutuel, ou encore macommune.info qui appartient au promoteur immobilier bisontin Fabrice Jeannot...

« Un message fort adressé à la profession »

Le second principe est celui du respect des journalistes et des rédactions. C'est ce qu'ont expliqué les représentants des trois principaux syndicats de journalistes en ouverture de la Journée de la presse en ligne. « La signature de la convention collective est une très bonne nouvelle, un message fort adressé à la profession », indique Vincent Lanier, premier secrétaire du SNJ. Secrétaire général du Snj-CGT, Emmanuel Vire, met pour sa part l'accent sur le renforcement du paritarisme mis à mal dans la presse par un patronat de plus en plus éloigné du secteur : « Nous avons soutenu le Spiil pour qu'il soit présent dans le paritarisme alors que la profession de journaliste perd 500 cartes de presse par an ».

Notant que « le droit est souvent une fiction », Isabelle Bordes (CFDT journalistes) pointe les difficultés qui demeurent, par exemple les « offres d'emploi de journalistes auto-entrepreneurs par des adhérents du Spill ». Ce statut fait en effet perdre aux journalistes toutes les protections du code du travail : du salaire aux conditions de rupture et donc à l'indispensable « indépendance ». De fait, tant chez les syndicalistes que parmi les dirigeants du Spiil, on reconnaît des points de désaccord.

« Co-construire les règles du jeu »

Il en va ainsi de la définition du photo-reporter. A Alexis Nekrassov, responsable des affaires sociales au Spiil, qui verrait bien une classification d' « opérateur de smartphone », Emmanuel Vire dit son opposition : « un rédacteur faisant des photos avec un iPhone et photo-reporter de métier, ce n'est pas pareil, il en va de la qualité de l'information » alors que les « photo-reporters chutent de 10 à 15% chaque année... » Bref, cette signature de convention collective, explique Vincent Lanier, c'est « une étape vers mieux : une grille de qualifications professionnelles et un barème de piges ».

Jeunes dans le paysage médiatique, les journaux en ligne arrivent pour certains à maturité. C'est ce que suggère le président du Spiil, Jean-Christophe Boulanger, en s'adressant aux syndicalistes : « On est votre allié pour co-construire les règles du jeu, on y a intérêt vis-à-vis de la concurrence déloyale, par exemple sur les contenus hors cadre. Sur les auto-entrepreneurs, on va demander à nos adhérents de respecter la loi ».

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