« Au bord de l'épuisement, nous avons pu mesurer les limites de notre liberté... » C'est en ces termes que la petite rédaction, franc-comtoise, de Lutopik explique dans l'éditorial que son vingtième numéro est aussi le dernier. Sonia Pignet et Guillaume Clerc, respectivement directrice de la rédaction et directeur de la publication, expliquent leur décision par un « faisceau de causes » qui décrivent, en creux, les multiples tâches qui concourent à la fabrication d'un journal : « Entre la gestion des abonnés et des points de vente, le recueil d'informations, la coordination des dossiers, les déplacements, l'écriture, la relecture, l'édition, la mise en page, l'alimentation du site internet, des réseaux sociaux, l'administratif, les salons et autres foires où nous essayions de nous faire connaître les week-end, nous n'avions plus beaucoup d'occasions de souffler... »
Les consommateurs de presse ne s'en doutent pas toujours : ce qu'ils ont entre les mains ou sous les yeux n'est que la partie émergée d'un iceberg de travail dont l'essentiel est invisible. Ils savent plus ou moins confusément que ce qu'ils lisent a réclamé de recherche, d'engagement, de talent, de réflexion... Ils savent moins ce qui s'est tramé sous la ligne de flottaison, l'énergie dépensée pour que la chose prenne forme et soit disponible à l'achat...
En matière de presse, la crise structurelle du système coopératif de distribution inventé aux lendemains de la Seconde guerre mondiale, un service public, pénalise les petits éditeurs, notamment ceux sans ou avec peu de ressources publicitaires. C'est une des raisons pour lesquelles Lutopik alimentait lui-même les points de vente.
« Si on définit le service public par la seule nature de la prestation,
on ouvre la voie à la libéralisation »
Les services publics, c'est justement le thème du dossier de ce dernier numéro. Ou plutôt « la casse des services publics » pour reprendre le titre du sujet qui ouvre ce dossier et fait à grands traits un historique de l'évolution de l'après-guerre à nos jours en passant par les étapes qu'ont constitué les privatisations de la téléphonie, de l'énergie ou du rail...
Suit un long entretien avec Gilles Jeannot, directeur de recherche à l'Ecole des ponts Paris-Tech et co-auteur de Revenir au service public ?, expliquant que « si on définit le service public par la seule nature de la prestation, on ouvre la voie à la libéralisation ». A contrario, « l'offre publique des services publics permet de capitaliser collectivement les gains associés au monopole, permet des péréquations entre parties non rentables et rentables, de maintenir sur tout le territoire des conditions d'emploi et de travail décentes pour des agents attachés à la qualité des prestations... » Evoquant l'eau, la concurrence, il aborde également l'impact du numérique... Passionnant !
Deux exemples concrets sont apportés, d'abord en milieu rural avec une enquête sur « la privatisation de l'accueil » consécutive à la création de « maisons de services au public » dans le Doubs, entre Baume-les-Dames et Montbéliard. Avec des bouts de ficelle, celles-ci pallient tant bien que mal au manque généré par la fermeture de services publics... Ensuite en milieu urbain abandonné : un quartier nord de Marseille..;
Reportage sur le Samu de l'environnement, sujet sur le fichage génétique, présentation des « médias de lutte », bande dessinée sur le combat de la famille d'Adama Traoré, complètent ce numéro d'un magazine qui venait de trouver sa devise : « le magazine des luttes et des utopies ».
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