Les Kesaj Tchavé, l’énergie tzigane

Mardi au Sénacle, les Kesaj Tchavé se sont arrêtés le temps d’une représentation pour le public bisontin, invités par Radio Sud et l’association Espoir et fraternité tziganes de Franche-Comté. Sur scène, 27 jeunes Roms slovaques ont chanté et dansé avec une indéniable énergie, menés par le non moins énergique joueur de balalaïka Ivan Akimov. Voilà 20 ans que ce dernier consacre sa vie à ces jeunes tsiganes, pour qui il a notamment créé un lycée dans sa région des Tatras en Slovaquie.

img_9163

Dix minutes après le début du spectacle, les portes du Sénacle sont rouvertes en grand. C’est qu’il fait chaud dans cette petite salle de Besançon qui accueille ce soir là la troupe des Kesaj Tchavé. Les jeunes filles en robes volantes tournent sans fin sur elles-mêmes tandis que les garçons font des claquettes et tapent des mains à une vitesse folle, accompagnés par un petit groupe de chanteurs et chanteuses, un clavier, une guitare, un percussionniste et leur prof, Ivan Akimov, qui tour à tour joue du balalaïka, assène des coups de baguette sur une plaque de métal posée sur une chaise pour donner le rythme, vérifie d’un œil que tout se passe bien et donne quelques instructions aux jeunes artistes. L’énergie intense qui se dégage du groupe compense les quelques approximations chorégraphiques. Il faut dire que ces artistes là n’ont pas tous l’habitude de la scène.

Les membres des Kesaj Tchavé, qui signifie les enfants de la fée en romani, sont recrutés dans les colonies tziganes du nord-est de la Slovaquie. Ce soir-là, le plus jeune a 9 ans et les plus âgés une petite vingtaine d’années. Pour certains, c’est leur première représentation. Ils ne sont qu’une petite partie des enfants qu’Ivan et sa femme Helena ont pris sous leurs ailes. Depuis 20 ans, le couple s’est en effet donné pour mission de venir en aide aux jeunes Roms, relégués dans des bidonvilles en périphérie des villes. Musicien professionnel, Ivan Akimov a passé une grande partie de sa vie à écumer les cabarets russes à Paris, sa balalaïka en main. A son retour au pays, c’est donc tout naturellement qu’il a choisi la musique comme vecteur d’émancipation.


« Sans faire de miracles, la musique permet de faire des choses, d’entrer en contact, de créer du lien », nous explique Ivan. C’est une composante importante du lycée qu’il a créé avec Helena, installé au coeur des quartiers tziganes de Kezmarok. « En France, je jouais de la musique tziganes. A mon retour en Slovaquie, marié à une femme rom, je me suis bien sûr intéressé à eux. Mais il n’y avait plus de romantisme, que la détresse des gens ». Dans ce lycée « 100 % rom » du fait de sa situation géographique, les jeunes apprennent le slovaque, mais aussi le romani qu’ils connaissent mal, bien que ce soit leur langue natale. Les devoirs finis, les élèves se retrouvent dans un petit local pour répéter chants et danses, découvrant ainsi tout un pan d’une culture parfois oubliée.


Depuis l’ouverture du lycée, 16 élèves ont obtenu leur baccalauréat. « Certains poursuivent leurs études à l’université, d’autres travaillent, mais tous ont acquis un nouveau statut grâce à l’école ». Trois ou quatre fois par an, les Kesaj Tchavé partent en tournée, notamment à l’étranger. L’occasion pour la troupe de découvrir un autre univers que le bidonville. « Apprendre à serrer la main, à dire bonjour, aller au restaurant, c’est riche d’enseignements pour ces gamins », souligne Ivan Akimov. Et surtout, « on se rend compte qu’on est partout extrêmement bien reçus. Les gens ne sont pas si méchants qu’on le croit. Çà fait du bien dans cette morosité ambiante ». Lors de leurs voyages, il n’est pas rare qu’ils fassent étape chez des Roms installés en France. « On est toujours choqués par la mendicité, on ne connaît pas ça chez nous. Je porte un regard très critique sur la condition des Roms en France ». Si les conditions de vie diffèrent un peu selon les pays, les Roms français et slovaques partagent cependant le même fardeau : relégués dans les périphéries des villes, oubliés par les pouvoirs publics, leurs enfants sont rarement scolarisés. Tous vivent dans une grande précarité et subissent un racisme anti-tzigane très prégnant.


Le talent des Kesaj Tchavé et l’humanisme des Akimov leur ont ouvert de nombreuses portes. Invitée en 2014 par les Ogres de Barback à faire leur première partie à l’Olympia, accueillie à plusieurs reprises au sein du crique Romanès, la troupe s’est fait un nom. Le plaisir de ces jeunes à être sur scène est flagrant. On perçoit derrière les sourires les heures de travail nécessaires pour en arriver là, et leur apprentissage de la fierté d’être tzigane. Lorsqu’ils entonnent leurs chants qui parlent d’amour, de musique et des difficiles conditions de vie, criant en cœur « Je suis tzigane, je n’ai pas choisi », entraînant le public dans leurs danses, l’énergie est communicative. Et on rejoint Ivan : la musique permet de faire de belles choses.

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !