Les enfants vieux

Suite de la publication des nouvelles reçues pour notre concours "Confiné et après" qui ont obtenues le plus grands nombre de votes du jury.

J-234

– Ça va commencer !

- J'arrive.

« Françaises, Français,  Mes chers compatriotes, Nous sommes  en train de vivre des jours difficiles. Nous ressentons tous en ce moment la peur, l'angoisse pour nos parents, pour nous même face à ce virus redoutable, invisible, imprévisible… »

-Ça y est, il commence à causer !

- C'est bon, c'est bon, j'arrive.

« … C’est pour cela que le confinement le plus strict doit encore se poursuivre jusqu’au mardi 11 mai. […] Le 11 mai prochain, mes chers compatriotes, sera donc le début d’une nouvelle étape. Elle sera progressive, les règles pourront être adaptées en fonction de nos résultats car l'objectif premier demeure la santé de tous les Français. »

Bah voilà, enfin, se dit Alain. Plus qu’un petit mois à attendre. C’est que ça commençait à faire long ce confinement. Il les comptait les jours. Chaque matin, avant même le traditionnel passage aux toilettes, un petit bâton dans son cahier spiralé. Son épouse, Katel, trouvait ça assez anxiogène, ce petit rituel. Le déconfinement annoncé, Alain se leva de son canapé, ouvrit le tiroir de la commode et compta le nombre de bâtons. Il hésita à tracer les jours restants d’avance. « Ça va porter la poisse » se dit-il. Il referma le cahier, le tiroir et rejoignit Katel dans le salon. Il s’assit tranquillement dans son fauteuil. Le « débrief » du discours de Macron commençait. La béatitude ambiante l’énerva assez vite. Une tisane et au lit. Avec ce soir, un optimisme, certes relatif, mais bien présent pour un futur un peu plus réjouissant.

J-206

C'était le grand jour. Alain ne voulait rien organiser avant d'être sûr. Pas confiance en Macron. Katel, elle, trépignait. Il la rejoignit dans la cuisine pour le petit-déjeuner. Katel avait le sourire.

– Bon, ben voilà, maintenant, c’est sûr, on va pouvoir voir les petiots.

– Ouais.

– J’ai regardé sur la tablette, ça fait bien moins de 100 kilomètres.

– Ah bah tiens, fallait bien la « tablette », ça ne fait même pas 50 bornes.

– Je l’appelle ?

– Si tu veux.

– On les invite.

– Si tu veux.

Katel partit donc téléphoner à leur fille. Alain essaya d’écouter d’une oreille lointaine ce qu’il se disait. Ça ne dura pas longtemps et Katel réapparut dans la cuisine. Son visage était fermé.

– Elle ne veut pas.

– Comment ça, « elle ne veut pas » ?

– Elle dit qu’on est vieux, qu’il faut nous protéger, qu’il faut qu’on fasse attention.

– C’est quoi ces conneries ?

– Elle dit qu’il faudrait qu’on reste un peu confiné.

– Hein, « un peu » confiné ?

– Bah, tu sais, comme maintenant, juste faire les courses et une petite balade.

- . . .

– Faut pas qu’on voie trop de monde elle dit.

- . . .

J-205

5h40.

Katel gigota dans le lit. Alain, ça le réveilla. En même temps, il n'avait pas bien dormi. Macron le déconfinait et voilà que sa fille voulait le conserver sous cloche.

– Eh Katel, t’as pas bientôt fini tes gesticulations ?

– Je repense à Amélie.

– Quoi Amélie ?

– Bah tu sais, elle ne veut pas qu’on voit les petiots.

– Ouais, je sais…

– On fait quoi ?

– Je l’appellerai demain.

J-201

– Alors tu l’appelles ?

– Oui, c’est bon je vais le faire.

Alain repoussait cette échéance. Il sentait bien que ça allait être désagréable ce coup de fil.

– Allô ?

– Amélie ? C’est Papa.

– Ah salut Papa, comment tu vas ?

– Bien bien. Dis, ta mère, elle aimerait bien voir les petiots.

– Oui oui, on sait, mais ce n’est peut-être pas hyper prudent.

– On fera attention, ne t’inquiète pas pour nous.

– Maman, je la connais, elle ne pourra pas s’empêcher de faire des câlins à Lucas et Ninon. Surtout Ninon.

– Oui, enfin bon, on est grands. Si tu t’inquiètes pour nous, faut pas je te dis.

– En fait, moi, je veux bien mais c’est surtout Fabien. Tu sais comment il est.

- . . .

– Bon, je vais essayer de lui parler, je te rappelle demain.

J-198

– Allô ?

– Papa ?

– Bah oui, qui veux-tu que ce soit ?

– Bon, j’ai parlé à Fabien. Il veut bien mais seulement en extérieur et on fait attention.

– Ça veut dire quoi « On fait attention » ?

– Bon, ben, on évite les bisous, les câlins. On fait attention quoi.

– Ça veut dire qu’on ne pourra pas porter Ninon ?

– Oui.

– Rassure-moi, on pourra jouer au ballon avec Lucas ou même ça ton Fabien il veut pas ?

– Papa…

– Tu diras à ton Fabien qu’on n’est pas ses gosses.

– Papa…

– Oui, oui, c’est bon. On n’a pas le choix de toute façon ?

- . . .

– Vous venez samedi ?

– Oui, ok.

– Matin ?

– Oui parfait.

Vous restez manger ?

– Non, non, on va rentrer.

– Ah oui, c’est vrai, « faut pas prendre de risque »…

– Papa…

– Bon, à samedi.

– À samedi.

Alain essaya de se calmer. Que sa fille s'inquiétât pour eux, avec Katel, c'était somme toute normal mais que son gendre décidât pour eux, c'était de trop.

– Katel ? !

- . . .

– Katel ?!!!

– Oui

– J’ai eu Amélie.

– Attends j’arrive.

- ...

- Alors ?

- Ils viennent samedi.

- Chouette, c'est super ça.

- T'emballe pas, ils ne viennent que le matin.

- Ah bon. C'est déjà ça.

- Et il ne faut se voir qu'en extérieur, pas de bisous, pas de câlins, et gna gna gna.

- C'est  Fabien ?

- Oui, elle nous l'a bien choisi tiens.

J-195

– Eh merde, ils annoncent de la flotte pour demain.

– Tu appelles Amélie pour voir ce qu’ils en pensent ?

Alain, il le savait bien ce qu'ils allaient en penser, surtout l'autre.

– Amélie, c’est Papa.

– Ah justement, j’allais t’appeler. Ils annoncent de la pluie pour demain.

– Bah oui, c’est bien pour ça que je t’appelle. Alors on fait quoi ?

– J’ai vu avec Fabien et je pense qu’on va repousser à la semaine prochaine.

– Ok, ok. Tu diras à Fabien d’arrêter de chanter sous la douche pour qu’on évite la flotte ce coup-ci.

– Papa…

J-187

Nous y voilà. Le samedi d’après. Alain et Katel levés à 6 heures, tout était prêt à 7 heures. Ils ne voulaient surtout pas rater les retrouvailles. Ils avaient bien sûr sorti le grand jeu. L’autre allait encore dire qu’ils exagéraient, que les bonbons, ce n’était pas bon pour eux, que les cadeaux, il y en avait beaucoup trop pour qu’ils en profitent vraiment, que c’était du gâchis. Un vrai pisse-froid, le gendre. Alain, il n’était pas d’humeur. Il voulait juste passer une bonne matinée avec sa fille et ses petits-enfants. L’autre, il avait intérêt à rester discret. À part  ses jérémiades habituelles, c’était généralement ce qu’il faisait. Alain se demandait ce que sa fille lui trouvait. Mais bon, en tant que paternel, il prenait sur lui. Jusqu’au jour où il ne la trouverait plus heureuse.

– Ah ça y est, je vois la voiture.

Alain rejoignit Katel à la fenêtre et une petite boule au creux du ventre apparut.

- Maman, Papa, ils sont où vos masques ?

Alors là, Alain et  Katel,  ils  étaient  sur  le  cul.  Amélie,  Fabien et même Lucas, cinq ans, avec  un masque. Et voilà que Ninon  se fit asperger de gel hydro-alcoolique.

– Tu veux vraiment qu’on mette un masque ?...

– Bah oui, c’est la base. Si vous n’en avez pas, on en a dans la voiture.

– Amélie a raison. C’est prouvé que si chacun met un masque, ça réduit les risques de transmission de 99 %.

– Oui oui, c’est bon. Katel en a fabriqué pendant le confinement, on va les mettre. Par contre, Monsieur le scientifique, c’est aussi dit que ce n’est pas conseillé pour les enfants de moins de 10 ans. Donc ok pour le masque mais Lucas, on veut le voir pour de vrai.

– Alain, le masque n’est efficace que s’il est porté par les deux personnes.

– C’est bon Fabien, Papa a raison. Si tous les adultes ont un masque, Lucas peut l’enlever. Ça sera quand même plus pratique pour jouer.

Pan le gendre. Au moins, Alain, il avait obtenu ça. La matinée s’était globalement bien passée. Katel avait même pu tenir Ninon dans les bras et faire des petits câlins à Lucas. Alain avait bien remarqué qu’à chaque fois que les enfants étaient un peu trop près d’eux, Fabien se crispait. Il avait aussi remarqué la main d’Amélie qui se posait sur la cuisse de Fabien en signe d’apaisement. Alain glissa un petit merci à sa fille au moment du départ. Petit clin d’œil complice de sa fille en retour. Oui, finalement, bonne matinée, très bonne matinée même.

J-170

– Allô Papa ?

– Oui.

– C’est Amélie.

– Je reconnais ma fille quand même. Qu’est-ce qu’il y a ?

– Tu as entendu Macron ?

– Ah oui, les gosses retournent à l’école.

– Oui, et moi aussi du coup.

– Vous allez en faire quoi de la petite ?

– C’est bien pour ça que je t’appelle, on est un peu coincés…

– Et Fabien, il ne peut pas s’en occuper ?

– Avec la petite, c’est un peu compliqué pour travailler.

– Ah bah, tiens. Ça n’a plus l’air de le déranger ton Fabien,  de nous confier les gosses. Ça me fait bien marrer.

- . . .

– Bon, bon, pas de problème. Tu nous la poses pour la semaine ?

– Oui, on s’est dit que c’était plus simple.

– Vous passez le dimanche avec nous ?

– Non, on viendra juste en fin d’après-midi, après la sieste.

– Ok, à dimanche.

Alain avait en effet écouté Macron. Il avait cette impression bizarre de jouer à « Jacques a dit », à chaque allocution. Alain savait bien qu’il ne décidait pas tout tout seul le Président, mais sa manière d’annoncer les choses pouvait donner cette impression. Comme tout le monde, il sentait qu’il y avait des décisions un peu contradictoires et que cette histoire d’école qui réouvre pour quinze jours, c’était bien sûr pour que les parents retournent bosser. Mais voilà, les vieux allaient recommencer à s’occuper de leurs petits-enfants, petits-enfants qui retournaient à l’école avec tous leurs autres camarades. Les enfants, les vieux, deux populations, une problématique : s’en occuper pour libérer les travailleurs tout en faisant croire qu’on se préoccupe de leur santé.

J-149

Les vacances étaient là. Doucement mais sûrement, tout le monde recommençait à vivre sans trop se soucier du virus. Enfin se disait Alain, ça manquait. Le village reprenait vie, les gens se parlaient à nouveau. La place centrale était animée, les sourires étaient revenus. Même le soleil était de la partie.

J-97

La rentrée approchait et voilà que le virus recommençait à circuler. Comme par hasard se dit Alain. Pendant les vacances, il fallait consommer, le coronavirus se faisait discret. Maintenant, il fallait retourner bosser, les gens étaient priés d’arrêter de déconner. Alain et Katel étaient plutôt tranquilles, leur région n’était pas trop touchée et ils avaient bien profité de leurs petits-enfants pendant les vacances. Il regardait maintenant l’avenir proche avec appréhension, se demandant si le même cirque n’allait pas recommencer.

J-79

Le masque, le masque et le masque. Alors qu’en début de crise, il ne servait à rien, maintenant il fallait le mettre tout le temps même dans une rue où il n’y avait pas un chat. Alain, il l’oubliait régulièrement quand il partait faire ses courses. Une fois sur deux, il devait faire demi-tour pour aller en récupérer un. Il ne s’y faisait pas, c’était comme ça. Les sourires lui manquaient. Même les non-sourires des gens qui faisaient la gueule le matin lui manquaient. Il était assez convaincu de l’efficacité du port des masques mais il avait peur que ça devienne l’accoutrement du futur. Comme tout le monde, il se demandait si le virus était vraiment de retour. Le savant-fou, celui à la tête de druide, celui qui faisait régulièrement son show à la télé, disait que le virus avait muté, qu’il n’était plus aussi dangereux. En même temps, le druide-savant-fou qui pensait sauver le monde avait son institut dans la ville où justement la situation commençait à déraper sérieusement. En plus les indicateurs avaient quand même l’air de repartir à la hausse.

J-71

La France et ses cinquante  nuances  de  rouge.  Il  trouvait ça ridicule, Alain, ces zones super-rouges, rouges écarlates… Le gouvernement voulait faire peur, c’était évident. Le vert-jaune-orange-rouge, c’était plus clair. Là, on ne comprenait plus rien. Ce qu’il comprenait bien par contre, c’était qu’on supprimait toutes les distractions et qu’on ne touchait surtout pas à ce qui pouvait contrarier l’économie. Enfin l’économie, pas toute l’économie. Celle du spectacle, du loisir, de la restauration, ça ne semblait pas si important que ça. Des amis d’Alain lui avaient envoyé des images d’amphis de fac bondés ou de RER B dégueulant de voyageurs. Il se méfiait des images trouvées sur les réseaux sociaux mais quand même… Il avait été surpris qu’on allège le protocole dans les écoles et en même temps qu’on le durcissait partout ailleurs. C’était comme si le virus savait où il avait  le droit d’aller. Et encore une fois, il fallait faire attention  aux vieux. Sauf que les vieux, c’était de solitude qu’ils allaient  mourir à force. Une demi-année déjà que les relations étaient maltraitées par ce virus. La rue recommençait à devenir anxiogène. Les petits pas de côté pour s’éviter, les regards suspicieux, Alain les sentait de plus en plus et ça le mettait chaque fois en rogne. Quelques jours auparavant, au supermarché, il avait même entendu une maman dire à sa fille de ne pas s’approcher du « vieux monsieur qui avait l’air fragile ». Il en avait marre Alain qu’on fasse attention à lui. La mélancolie guettait.

J-32

– Allô Alain ?

– Oui.

– C’est Fabien.

– Tout va bien ?

– Lucas tousse et a la goutte au nez. Avec les nouvelles mesures, l’école ne veut pas le prendre. Vous pourriez vous en occuper avec Katel ?

– Oui, c’est bon. Tu nous le déposes ou tu veux qu’on vienne ?

– Je préférerais que vous veniez si ça ne vous dérange pas trop.

– Ok, on est là dans une petite heure.

La région était maintenant bien touchée par le virus. Nouvelles restrictions et le gouvernement avait dû logiquement s'atteler au problème des écoles, collèges, lycées crèches et universités. Alain ne comprenait pas ces tergiversations. Les universités étaient maintenant fermées. Les écoles et crèches devaient prendre la température des élèves et n'acceptaient même plus le moindre nez qui coule. Autant dire qu'en plein mois de novembre, c'était le cas de beaucoup d'enfants. Les grands-parents étaient à nouveau fortement sollicités. C'était comme s'ils n'étaient pas des vieux comme les autres. Qu'eux, il fallait moins les protéger. Enfants, vieux, réunis pendant que le monde continuait à tourner comme il le pouvait.

J-16

Les régions Ile-de-France, PACA et Occitanie étaient reconfinés et les déplacements de plus de 100 kilomètres ré-interdits. Véran l’avait annoncé à l’instant. Vu l’état de la région Bourgogne Franche-Comté, et pas uniquement d’ailleurs, Alain sentait que leur tour allait arriver dans peu de temps.

J-0

– Ça va commencer !

– J’arrive.

« Françaises, Français,  mes chers compatriotes, nous sommes  en train de vivre des jours difficiles. Nous ressentons tous en ce moment la peur, l’angoisse pour nos parents, pour nous même face à ce virus redoutable, invisible, imprévisible… »

– Ça y est, il commence à causer !

– C’est bon, c’est bon, j’arrive.

« C est pour cela que nous allons devoir reconfiner les autres régions à partir du lundi 7 décembre pour une durée de quinze jours...

– Oh le con, il nous reconfine.

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