L’éruptive passion d’un prof jurassien

Enseignant en SVT puis formateur d'enseignants à Lons-le-Saunier et Besançon, Patrick Marcel publie La Fièvre des volcans, petits épanchements sur le feu des origines et les mystères telluriques... Un petit livre de découvertes de voyages qui dit l'essentiel avec émotion, érudition et simplicité.

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Qu’est-ce qui conduit des hommes et des femmes à se rendre au plus près des ateliers du feu alimentés par Vulcain-Héphaïstos ?

Qu’est-ce qui les conduit à descendre au plus près des champs de lave incandescente ?

Qu’est-ce qui les conduit à mettre leur vie en péril dans des expéditions parfois – souvent – difficiles ?

Qu’est-ce qu’ils trouvent dans la fréquentation de ces ingénieuses constructions de la nature que sont les volcans, souvent meurtriers et destructeurs ?

« Le feu enfermé dans le foyer fut sans doute pour l’homme le premier sujet de rêverie, le symbole du repos, l’invitation au repos », a écrit Bachelard, se lançant dans une interprétation psychanalytique de la fascination des hommes pour cet élément, symbole du changement et du renouvellement. Cela nous rappelle l’oiseau mythologique qui renaît de ses cendres.

Patrick Marcel, agrégé de sciences naturelles, professeur de sciences de la vie et de la Terre en lycée pendant une quinzaine d’année, formateur d’enseignants à l’École supérieure du professorat et de l’éducation de Lons-le-Saunier, et à celle de Besançon, volcanologue amateur, quitte régulièrement son métier et part chasser, ou arpenter les volcans. Il est accompagné d’autres aventuriers, ou scientifiques… dopés aux sensations fortes. Ensemble, ils foulent des terres ardentes ignorées et craintes par la plupart des mortels. Ces milieux désolés, d’accès souvent périlleux, régulièrement parcourus par des flots incandescents ou prisonniers d’une chape de gaz toxiques, sont hostiles à la vie.

Patrick Marcel en revient avec des images, des films dont : Les éruptions de LAVE (2013), Chasseurs de volcans (2013), qui accompagne l’ouvrage du même nom paru en 2017 chez Omniscience, et Nyiragongo (2017).

Il en revient avec le souvenir de rencontres humaines exceptionnelles, avec des Russes, des Islandais… Avec Maria, Cette mère de famille, rescapée de l’éruption, voyant que nous nous passionnons pour le passé du volcan, commence à nous raconter sa propre histoire :

[…]

Et si voyager sur les volcans n’était qu’un prétexte à ce genre de rencontres ? Et si la richesse de l’aventure était liée à sa dimension humaine ?

Il en revient également avec des constats scientifiques, des enseignements, des conseils…

C’est ainsi que les sciences se construisent, de bricolages géniaux en modèles conceptuels, d’allers-retours permanents entre considérations théoriques et observation. L’image du volcanologue de terrain, avec son heaume et sa combinaison brillante, aussi romantique soit-elle, n’est qu’un reflet caricatural d’un métier qui s’exerce surtout dans les bureaux des facultés, devant un microscope polarisant ou un ordinateur.

« Enfin j’ai vu l’Etna ! »

En exergue de son récit, publié dans la belle collection « Petite philosophie du voyage » des éditions Transboréal, une longue citation de Joseph-Antoine de Gourbillon donne le ton. Elle est extraite du Voyage critique à l’Etna en 1819 (1820).

Enfin j’ai vu l’Etna !

Pendant quatre jours et trois nuits, j’ai foulé le colosse ignivome.

Je sors, au moment même, du grand laboratoire, où, comme dit Spallanzani, la nature travaille en secret à ses opérations chimiques.

[…]

En moins de quatre-vingt-dix-sept heures, j’ai tenté tout ce qu’on peut tenter ; j’ai fait tout ce que l’on peut faire ; j’ai vu tout ce que l’on peut voir ; j’ai souffert tout ce qu’on peut souffrir. La fatigue, la soif, la terreur, la chaleur la plus forte, le froid le plus intense, je les ai sentis tour à tour ; souvent même ils m’ont frappé ensemble.

[…]

Mais après tout, j’ai vu l’Etna ; et dussé-je en mourir, ou bien aller nu-pieds, je ne puis regretter, ni mes pas ni ma chaussure !

Inscrit dans une lignée d’hommes de tempérament

Patrick Marcel, lui, s’est découvert une passion pour les volcans au cours d’un voyage en Islande à la fin des années 1980.

La passion ne l’a plus quitté, il est même aujourd’hui responsable pédagogique de L’Association volcanologique européenne, (LAVE) qui s’est donné pour objectif de partager les connaissances sur les volcans du monde entier.

La fièvre des volcans, sous-titré Petits épanchements sur le feu des origines et les mystères telluriques, un récit-témoignage, est un des volets de cette démarche. On y lit le compte-rendu d’expériences très personnelles, sur le terrain, on y lit aussi comment les volcans font partie d’un imaginaire ancré dans de très anciennes croyances, ou traditions… capables de donner du sens à l’inexplicable. Le récit commence par un clin d’œil appuyé au célèbre volcanologue Haroun Tazieff. Comment ne pas penser aussi à Pierre Bichet, compagnon de volcans de celui que ses amis surnommaient Garouk ?

Patrick Marcel s’inscrit dans cette lignée d’hommes de tempérament.

Il appartient à la drôle de tribu des fous de volcans, prêts à tout pour s’approcher au plus près des entrailles palpitantes de la planète. Il s’est même fait traiter de volcano-junkie.

La volcanophilie, une maladie ? La réalisation d’un rêve, né d’une lecture ?

Mes collègues se questionnent sur la nature de ma volcanophilie, suggérant une forme de pathologie. Si c’est une maladie, j’espère qu’elle est incurable. Mais il s’agit peut-être d’une passion. Au sens classique, la passion désigne des phénomènes où la volonté est passive face aux impulsions du corps. Au sens moderne, c’est une inclination exclusive vers un objet, un état affectif durable et violent où se produit un déséquilibre psychologique. […]

Les volcans sont plutôt un formidable moteur qui me pousse à me dépasser, à affronter l’inconnu, à vaincre mes peurs…

[…]

Rien d’autre n’aurait pu m’inciter à affronter des parois instables et à lutter bec et ongles contre la gravité, que cette formidable envie de côtoyer la lave. Dans le cratère congolais, j’ai vécu tout simplement les moments les plus intenses de ma vie… En touchant le fond, j’ai atteint mon sommet ! Quarante ans plus tôt, dans mon immeuble de la banlieue lyonnaise, je rêvais à la lecture des expéditions d’Haroun Tazieff sur ce même volcan.

Quand le rêve devient réalité

J’actionne la poignée du descendeur. Attendre, avant de bouger les pieds, d’être suffisamment suspendu dans le baudrier. […] Je dois rester concentré sur chaque geste, oublier que je suis en train de descendre le long d’une paroi instable dans le cratère d’un volcan actif. Je dois faire abstraction du brouillard acide qui m’assèche la gorge, en provenance du lac de lave qui gronde en dessous. Ce n’est pas le moment de me laisser envahir par la peur du vide. J’arrive au niveau de deux échelles métalliques fixées dans la roche : les échelles de Tazieff, utilisées par le célèbre volcanologue quarante ans plus tôt. Je me souviens de les avoir vues dans le livre qui relate ses missions scientifiques sur le volcan congolais, Niragongo ou le Volcan interdit, quand j’avais douze ans.

[…]

Lors d’une cure à Hawaii, j’assiste aux débordements d’un des lacs de lave du Kilauea et aux plongeons fumants des coulées dans l’océan Pacifique. Puis je goûte à l’Indonésie, qui devient une destination régulière. Java, Sumatra, les Moluques du Nord : les volcans y explosent à tout-va. Du Mexique au Chili pour les destinations américaines, au Kamtchatka dans l’Extrême-Orient russe, les volcans m’ont mené sur tous les terrains, excepté l’Antarctique où le lointain Erebus ne restera peut-être qu’un rêve inaccessible.

Des monstres ignivomes

Les colères des volcans sont redoutables. Ils crachent le feu, ils envoient des bombes, ils tuent.

Patrick Marcel est sur l’Etna.

À 11 heures, un bruit de tonnerre provenant du cratère fait sourdre en nous une bouffée d’espoir. […] La montée en puissance des explosions accompagne notre marche jusqu’à l’altitude de 2900 mètres.

[…]

Nous sommes à 500 mètres du cratère. De nombreuses dépressions en entonnoir jalonnent le sol de lapilli : ce sont les impacts des bombes volcaniques des précédents épisodes.

[…]

Soudain, une ombre fugace venue du ciel s’abat dans un bruit mat à 4 mètres de notre groupe : une bombe volcanique en provenance directe du cratère vient de se fracasser à nos pieds.

[…]

Sur l’île de Montserrat, l’île d’émeraude des Caraïbes, l’éruption d’un volcan sème la désolation, en 1997. Les premières alertes annonçant la catastrophe s’étaient faites entendre en 1995… elles se sont intensifiées, inexorablement…

Montserrat, l’île d’Émeraude, était jusqu’en 1995 réputée pour ses plages, ses reliefs couverts d’une végétation luxuriante, son golf et la vie colorée de sa capitale Plymouth. Aujourd’hui, ce n’est qu’un immense champ de cendres… Un volcan oublié s’est rappelé au bon souvenir des hommes, et le visage de l’île s’en est trouvé bouleversé.

[…]

Environ six mille personnes, soit plus de la moitié de la population, ont dû s’exiler dans les îles voisines ou en Angleterre, et un grand nombre a été relogé dans la zone nord de Montserrat. L’éruption a cessé en 2013.

[…]

Nous visitons Plymouth, la ville fantôme, avec en toile de fond la silhouette menaçante du volcan sous un ciel de plomb. Nos pas s’impriment dans plusieurs centimètres de cendres fines. Nous entrons dans une villa : sur le mur du salon, un calendrier indique la date du 25 juin 1997. Sur l’artère principale, nous visitons le hall du Grand Hôtel investi par les dépôts volcaniques entrainés par les eaux de ruissellement. […] Dans l’ancien centre-ville, une structure conique surmontée d’une croix attire notre attention. Nous comprenons, stupéfaits, qu’il s’agit de la pointe d’une des tours de la cathédrale, seule partie de l’ancien lieu de culte qui émerge de la couche minérale, épaisse ici de plus d’une dizaine de mètres.

[…]

En 1902, en Martinique, une éruption du volcan de la montagne Pelée fait 29.000 morts en quatre minutes.

Deux hommes réchappèrent de la catastrophe : le cordonnier, Léon Compère, et Louis-Auguste Cyparis, qui fut protégé par l’épaisseur des murs du cachot où il purgeait une peine. Embauché par le cirque Barnum, il fut présenté comme « Le seul objet vivant qui survécut dans la cité silencieuse de la mort » !

Des volcans, des dieux et des hommes

Les manifestations souvent terrifiantes… et magnifiques, de ces créations de la nature que sont les volcans, ne pouvaient que donner lieu à des explications empruntées à la mythologie, à l’époque où les hommes ne savaient pas les expliquer de façon rationnelle, scientifique.

Est-ce que parce que l’homme en est absent que, depuis la nuit des temps et dans toutes les civilisations confrontées aux phénomènes telluriques, les volcans flirtent avec le divin ? Ils peuvent être les demeures de dieux puissants et destructeurs, comme dans les mythologies grecques et romaine. Les religions monothéistes ne les oublient pas non plus. Ceux des régions chrétiennes deviennent diaboliques, infernaux, méphistophéliques.

[…]

Pour les animistes, les volcans sont doués de sentiments qui révèlent généralement un tempérament impétueux tant leur nature exprime ce type de caractère.

[…]

Ces conceptions animistes imprègnent nos propos quand nous évoquons les volcans. Ne dit-on pas à leur sujet qu’ils sont en colère, qu’ils se réveillent, crachent, éructent et grondent, avant de se rendormir.

[…]

La plus célèbre des divinités associées à un volcan habite dans la grande île d’Hawaii. Il s’agit de Pélé, déesse du feu, des éclairs, des volcans et de la violence.

[…]

Les fumerolles sulfureuses qui émanent des cratères du Kilauea sont la respiration de Pélé : la divinité au caractère de cochon a en plus mauvaise haleine !

[…]

Au XIIe siècle, le chapelain Herbert de l’abbaye de Clairvaux suggérait une communion hypogéesous la terre d’un autre ordre, qui fut largement diffusée par les moines cisterciens : les deux volcans connus les plus actifs du moment, l’Hekla en Islande et L’Etna en Sicile, étaient considérées comme les deux portes officielles de l’Enfer ! Une façon de donner aux hérétiques une idée concrète de ce pandémonium qu’ils devaient tant redouter, et de figurer une image terrestre des tourments éternels. La voilà, la croix dont sont accablés les volcans du monde chrétien, cette assimilation au feu perpétuel du séjour de Satan.

Homère, Empédocle, Jules Vernes...

Patrick Marcel n’oublie ni Jules Vernes et son Voyage au centre de la Terre, ni la mésaventure d’Empédocle, ni le monde de Sauron de Tolkien, ni la Sicile de Maupassant. Sans oublier les multiples aventures d’Ulysse, dans le magnifique récit d’Homère, L’Odyssée. Et c’est bien à une sorte d’Odyssée des temps modernes à laquelle il nous convie .

Dans Voyage au centre de la Terre, les héros du roman de Jules Verne pénètrent dans les entrailles de la planète par le Snæfellsjökull, volcan islandais au sommet glacé. Après un trajet ponctué d’incroyables rebondissements, leur aventure se termine en apothéose au Stromboli, dont le magma joue un rôle d’ascenseur vers la surface.

Quant à Empédocle, ce philosophe haut en couleur, poète et homme de science, nul ne sait quel sort l’Etna lui a réservé. … Il y a environ deux mille cinq cents ans, il s’était installé sous les cratères fumants pour, paraît-il, percer les mystères du volcan. Théoricien de la conception du cosmos, pour lui la matière est constituée des quatre éléments que sont l’eau, la terre, le feu et l’air, sur lesquels s’exercent des principes d’attirance (l’Amitié) et de répulsion (la Haine).

[…]

On n’a pas retrouvé son corps, mais seulement l’une de ses sandales d’airain sur le bord d’un cratère. À partir de là, les spéculations sont allées bon train : se serait-il suicidé en se jetant dans le volcan et laissant volontairement une sandale pour signer ce geste ? Aurait-il voulu cacher sa mort pour faire croire qu’il avait rejoint le ciel comme un dieu, avant que le volcan ne recrache sa chausse, déjouant ses plans et révélant sa vanité ?

Bachelard, déjà évoqué plus haut, disait aussi « Le feu couve dans une âme plus surement que sous la cendre. L’incendiaire est le plus dissimulé des criminels. » L’auteur de La poétique du feu nomme cette inclination de l’esprit… le complexe d’Empédocle.

Des volcans sympathiques, des volcans antipathiques, des volcans gris, des volcans rouges…

Ils ont donc une personnalité distincte, et des couleurs.

Certains volcans cachent mieux leur jeu que d’autres. Un ami, grand coureur de volcans, a une façon bien à lui de distinguer les « sympathiques » et les « antipathiques ». Le Galeras, en Colombie, fait partie pour lui de la seconde catégorie. Il n’a pas pu s’empêcher de monter voir son profond cratère. Tout semblait calme sous le linceul de cendres grises comme en 1993 quand, sans aucun signe précurseur, le volcan explosa, tuant le groupe de volcanologues venu y prendre des mesures.

[…]

Sur un tel volcan, le sentiment de crainte vient de ce qu’on pressent. Le danger est là, tapis sous les millions de tonnes de roche de l’édifice. Loin du regard des hommes, les forces telluriques sont en action. Le magma généré dans le manteau terrestre se stocke dans des réservoirs profonds sans trouver d’accès facile vers le haut.

[…]

Puis arrive la seconde fatidique, quand la pression des gaz devient plus forte que celle exercée par les roches du dessus. L’explosion est d’autant plus violente que la quantité des gaz accumulés est importante. Le danger s’incarne soudain sous la forme d’un volumineux panache chargé de cendres qui pousse comme un champignon dans le ciel. La montagne préexistante est décapitée, pulvérisée, et une pluie de débris brûlant s’abat sur la région.

[…]

L’activité effusive des rouges est facile à approcher, et les explosions y sont modérées. Ils sont francs du collier et se laissent admirer sans rien cacher. Les gris sont imprévisibles : leur calme apparent peut soudain basculer en une explosion sauvage.

Une autre image du volcanologue

Aujourd’hui, les volcanologues bardent les volcans actifs de capteurs qui complètent leurs observations directes.

[…]

Tels des médecins au chevet d’un malade fiévreux, ils l’auscultent et surveillent ses paramètres vitaux. L’anticipation des éruptions permet alors aux volcanologues de proposer l’évacuation, dont l’efficacité dépendra du niveau de préparation des autorités et des populations concernées par cette éventualité.

[…]

Patrick Marcel, en contemplant l’étendue du lac Toba, à Sumatra, occupant le plus grand cratère du monde : un super volcan dont l’éruption, il y a soixante-quatorze mille ans, a failli anéantir toute l’humanité, pense à ceux qui l’ont précédé.

Il conclut en écrivant que nous sommes tous les descendants de la poignée de survivants du cataclysme volcanique, nous sommes tous les enfants de Toba. Et nous portons en nous cet héritage, source en même temps d’attirance et de crainte lorsque jaillit la clarté du volcan.

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