Le livre de Laurent Mauduit Main basse sur l'information est très convaincant. Il est surtout très éclairant sur les quelques dernières années au cours desquelles quelques milliardaires ont quasiment achevé de prendre le contrôle des grands médias d'information générale et politique du pays.
L'affaire commence bien avant l'histoire racontée par Laurent Mauduit, dans les années 1980 avec la création en 1986 de La Cinq avec un certain Sylvio Berlusconi, pas encore saisi par la politique mais déjà entrepreneur de presse. L'année suivante, la droite revenue au pouvoir privatise la chaîne alors publique TF1 et l'attribue au magna du BTP Francis Bouygues qui l'a transmise à son fils Martin.
Dans le même temps, de façon plus discrète, moins spectaculaire, de nombreuses opérations de rachats conduisent à des fusions, des concentrations dans la presse écrite. Seules les pages spécialisées de quelques journaux nationaux en parlent, parfois l'audiovisuel public quand un mouvement social rend visibles les conséquences sociales d'une opération. Seuls les syndicats de journalistes crient dans l'indifférence des directions des rédaction et des responsables politiques contre le pluralisme qu'on assassine quand un éditeur fusionne des journaux concurrents sur un même département, comme les Vosges ou la Saône-et-Loire, une même région comme l'Aire urbaine Belfort-Montbéliard-Héricourt...
Perspective historique
sur le Second empire
et l'entre deux guerres mondiales
Aujourd'hui,la boucle est quasiment boulée et la plupart des grands médias d'information, qu'ils soient de masse ou des références historiques, sont tombés dans l'escarcelle d' « une dizaine d'oligarques parisiens », explique Laurent Mauduit dans une convaincante synthèse faisant le point sur l'état des connaissances sur le sujet. Il traite essentiellement l'audio-visuel et la presse écrite nationale, proposant une perspective historique judicieuse en mettant l'accent sur le Second empire et l'entre deux guerres mondiales, périodes où, déjà, les plus grands journaux étaient contrôlés par des grandes fortunes avec l'assentiment du pouvoir politique.
Mauduit narre avec une certaine gourmandise le rôle d'Alain Minc, qu'il a bien connu au Monde, dans, justement la rachat du quotidien par le trio Bergé-Niel-Pigasse et le rôle d'agent double qu'y joua un certain Emmanuel Macron. Censé conseiller la rédaction, le désormais candidat à l'Elysée, alors encore à la banque Rothschild, « avait pris secrètement langue avec le chef de file du camp d'en face », rapporte Marc Endeweld dans son livre L'Ambigu Monsieur Macron que Laurent Mauduit cite en évoquant une « histoire saisissante qui n'a pas eu la publicité qu'elle méritait ». L'anecdote, qu'il serait trop long d'évoquer ici, témoigne surtout du fait que la presse est bel et bien l'enjeu de forces économiques et financières qui en ont fait leur jouet.
« Comment traiter des paradis fiscaux
avec un patron dont les affaires
se sont longtemps jouées entre Guernesey et Zermatt ? »
Laurent Mauduit raconte comment Vincent Bolloré a pris Canal +, comment il a auparavant tenté de prendre TF1 avec l'aide d'Alain Minc... Comment il tente, et parfois réussi, de censurer des sujets qui le contrarient ou pourraient contrarier ses partenaires d'affaires. L'auteur explique comment Patrick Drahi, patron de SFR, a pris le contrôle de L'Express et de Libération qui font service minimal, voire moins, quand éclate l'affaire Panama papers : les lecteurs sont implicitement priés de s'informer ailleurs. « Comment ces journaux vont-ils pouvoir traiter à l'avenir des paradis fiscaux avec un patron dont les affaires se sont longtemps jouées entre Guernesey et Zermatt ? », interroge le journaliste.
Laurent Mauduit assure que « si la presse et la télévision sont à ce point malmenées, c'est que la France n'a pas une véritable culture démocratique ». Avec Pierre Rosanvallon, il estime que bonapartistes et césaristes en sont notamment responsables, jusque et y compris l'époque gaulliste et son prolongement sarkoziste. Dans sa conclusion, il regrette que François Hollande n'ait pas « attaché son nom à une nouvelle grande loi garantissant le droit de savoir des citoyens à l'heure numérique » comme la loi du 29 juillet 1881 avait proclamé pour la première fois en France la liberté de la presse.
Pourquoi pas renationaliser TF1 ?
« Paradoxalement optimiste », Mauduit pense que l'heure de la « refondation » approche et plaide pour l'instauration d'un freedom of information act à la française, garantissant un droit d'accès à toutes les informations des entreprises aidées par l'Etat ou sous contrat avec lui ; ce pourrait être le renforcement des protections accordées aux lanceurs d'alerte (...), donner aux rédactions un pouvoir d'approbation ou de révocation des directeurs de l'information (...), en finir avec les intrusions des actionnaires privés ou de l'actionnaire public (...), en finir avec le CSA qui ne régule rien quand il n'est pas de mèche avec ceux qu'il devrait sanctionner (...), redonner sens au service public, pourquoi pas en renationalisant TF1 ? »