La Diagonale d’Aristide : le roman d’un Bisontin qui fait des parallèles

Jean-Louis Legalery signe un récit puisé aux souvenirs de son père, misérable orphelin victime de la vengeance sociale des bourgeois de Saint-Etienne qui ne pardonnaient pas à un artisan meneur de grève son soutien à Aristide Briand, Breton devenu député socialiste de la Loire. Un hommage qui articule judicieusement grande histoire et histoire populaire.

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Avec La Diagonale d'Aristide, Jean-Louis Legalery signe un court et dense premier roman où s'entrechoquent l'Histoire et l'histoire d'une famille populaire, et plus particulièrement de son père. Très jeune orphelin, Pierre Dutailloux n'est pas encore adolescent lorsque éclate la guerre de 14. Il doit travailler pour aider sa mère à faire vivre la famille. Débrouillard, farceur, gaffeur, courageux, il fait des dizaines de métiers.

De petits boulots de toutes sortes - dans l'artisanat, la restauration, le commerce, l'industrie - en emplois plus durables, il se met à la gymnastique qui arrive d'Angleterre via le club des Coquelicots. Le service militaire dans les Alpes lui fait découvrir le football où il excelle très vite. Il intègre le Sporting de Saint-Étienne, ancêtre du grand club de l'ASSE, joue à haut niveau, gagne enfin bien sa vie, devient entraîneur... puis journaliste à L'Auto, l'ancêtre de L'Équipe...

Des références géographiques et affectives variées,
un imaginaire puisé à l'expérience...

Écrit à partir des notes du père de l'auteur, l'ouvrage est aussi le récit de multiples aller-retour entre Saint-Étienne et Guingamp. Ce sont certes deux villes de foot, ralliées au gré des nécessités et des aléas, mais aussi celles de ses origines, le service militaire du père ayant permis la rencontre de la mère bretonne. Ces voyages, davantage provoqués par la misère que par le désir d'agrément, conduisent aussi à Paris. Ils construisent des références géographiques et affectives variées, un imaginaire puisé à l'expérience de la ville et de la campagne, de l'usine et de la truite pêchée à la main, des récits d'un vieux capitaine au long cours, de la violence d'un frère ainé qui tourne mal...

Cette ligne entre le Forez ouvrier et la Bretagne rouge, en fait une diagonale traversant le pays, passe par Nantes, la ville natale d'Aristide Briand, onze fois président du conseil, 26 fois ministre, et rapporteur de la fameuse loi de Séparation des Églises et de l'État. Que vient faire ce politicien symbole de la IIIe République, apprécié puis critiqué par Jaurès, dans cette histoire ? Il subjugua par ses idées progressistes et son éloquence le père de Pierre Dutailloux, artisan passementier stéphanois qui milita pour sa première élection comme député de la Loire en 1902...

« Tous ces manants allaient payer maintenant »

Cet engagement est peu payé de retour. L'artisan mène une grève pour obtenir de meilleurs prix des soyeux, mais le nouveau parlementaire, plus souvent à Paris qu'à Saint-Étienne, oublie de soutenir ceux qui l'ont aidé à être élu... « Chez les soyeux, ce Briand ne faisait pas rêver, pas du tout. Chez les soyeux, on faisait commerce la semaine et on priait le dimanche, on ne séparait pas l'Église de l'État, et on voyait d'un très mauvais œil ce socialiste, arrivé de nulle part, qui donnait de très mauvaises idées d'égalité au peuple et qui faisait peser une menace sur un commerce prospère et sur une vie bien réglée (...) Tous ceux qui avaient fait la claque pour lui, tous ces manants allaient payer maintenant. Et en particulier cette grande gueule de Louis Dutailloux qui avait lancé la grève des passementiers (...) Certes son velours de grande qualité n'avait pas d'équivalent dans la ville, mais il lui fallait une leçon... »

La leçon ? Il ne peut plus vendre sa production : « les portes se ferment les unes après les autres, semaine après semaine. C'est le même refrain partout, comme un mot d'ordre, de "très bonne qualité ce velours mais on en a suffisamment", mensonge éhonté pour masquer une vengeance sociale et politique (...) Derrière les compliments, l'assassinat social. » La suite ? Les commandes se tarissent, vient la gêne, puis la misère. Il devient cantonnier et succombe à une crise cardiaque pendant l'hiver 1906.

Pierre n'a pas quatre ans. Jusqu'à la mort de Briand en 1932, il en voudra à l'illustre politicien qu'il rend responsable de la disparition de son père. Briand fera irruption dans sa vie, et dans le roman de Legalery, par le biais de clins d'œil de l'histoire et d'anecdotes permettant de tisser les liens ténus et tenaces entre la grande histoire et celle des citoyens ordinaires.

Porté par une écriture précise et une belle langue classique, La Diagonale d'Aristide est un digne hommage rendu à un père, autant qu'un témoignage replaçant une bribe de mémoire ouvrière dans l'histoire. Ce n'est pas rien.

 

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