La délectation d’écrire de Mohamed Jaouar

Publié grâce à un financement participatif, le premier roman de ce Bisontin, Le pays où les vaches n'avaient pas de queue, est un polar situé dans un univers bouleversé par l'extraction du gaz de schiste par fracturation hydraulique au nord des USA. Écolo et sentimental, social et bien tourné, critique et jubilatoire.

mohamed-jaouar

Le Pays où les vaches n'avaient pas de queue est un roman policier, social et écolo qui prend son lecteur et ne lâche qu'à la dernière page. Il a tous des ingrédients du polar. L'enquête sur le meurtre de deux Noirs, un père et sa fille adolescente rescapés des inondations de La Nouvelle Orleans et réfugiés dans le Nord-Dakota près du Canada, est vite classée par la police surbookée de Williston, petite ville submergée par la fièvre de l'exploitation des gaz de schiste. Une militante de la cause noire, épouse d'un magnat de l'immobilier, fait appel à un jeune couple de détectives de l'état voisin du Montana.

Leur contre-enquête les fait explorer un monde en pleine mutation, rencontrer des personnages embarqués dans le brusque tourbillon qui a vu la société agricole céder sous les dollars des compagnies pétrolières. Ils fouinent parmi les chercheurs de fortune, arpentent les bars, rencontrent l'indifférence et la compassion, trouvent des pistes, s'appuient sur un pilier de comptoir qui en connaît un rayon. Ce faisant, ils se retrouvent confrontés à eux-mêmes, à leurs personnalités pas forcément faites pour le mariage qu'ils se sont promis.

« Je ne me souviens plus du nom de l'artiste, vous m'excuserez... »

Mohamed Jaouar n'a jamais mis les pieds aux États Unis d'Amérique, mais peu importe. Ce qui compte à ses yeux est de situer son intrigue dans cet univers où tous les repères ont basculé, découvert en lisant un grand reportage du Monde Diplomatique qui a inspiré son titre : Au Dakota du Nord, les vaches perdent leur queue. Les éléments benzène, méthane, chloroforme, butane, propane, toluène et xylène utilisés dans la fracturation hydraulique polluent les sols, les bêtes et les humains. Ce ne sont pas les autorités sanitaires locales qui les trouvent, mais un expert indépendant venu d'ailleurs, explique le journaliste Maxime Robin.

En fait, c'est un marigot intéressant pour un roman. La littérature fait le reste. Et Mohamed Jaouar s'en sert avec un talent d'écriture certain, un brin d'ironie pince sans rire, une délectation visible. On reconnaît L'Hallali du cerf de Gustave Courbet lorsque les détectives pénètrent dans un salon de leur hôte : « D'immenses tapisseries et de nombreux tableaux étaient accrochés aux murs, dont un spécialement qui interpella Flavie. Il représentait un cerf rattrapé par des chiens lors d'une chasse à courre et qui semblait pousser son dernier cri... (...) Henry se retourna pour admirer une dernière fois ce tableau de chasse et ayant lu la signature du peintre crut bon de dire : "impressionnant ce tableau de John Carter". Maxwell sourit en précisant que ce n'était qu'une copie, faite par un ami à lui, d'une œuvre célèbre qu'ils eurent la chance de voir avec sa femme lors d'un de leurs nombreux séjours en France. "Je ne me souviens plus du nom de l'artiste, vous m'excuserez..." »

« Comme fouille-merde y'a pas meilleur que moi »

Il y a Max, l'ancien journaliste baraqué qui fait le coup de poing à l'occasion et propose ses services : « comme fouille-merde y'a pas meilleur que moi ». Ce délicat personnage sait aussi être provocateur et perspicace, comme lorsqu'il ne dément pas s'inspirer les méthodes de la Stasi : « Je suis contre mais dans leur manière de faire, on peut dire qu'ils obtenaient des résultats "les rouges", après bon... On peut pas comparer. Ils avaient des micros partout, ils savaient déjà tout en quelque sorte, comme si c'était des Google ou Facebook avant l'heure. A la différence que maintenant, les gens dévoilent leur putain de vie privée gratuitement et en plus ils trouvent ça cool. On vit vraiment dans un monde de moutons croyant gouvernés par des incultes aveugles. »

Un marigot, une enquête, une intrigue, du suspens... De la duplicité, de l'équivoque, du maquillage... L'alcool coule souvent dans les gosiers, notamment celui du shérif ; les formules trash font mouche ; le coupable, forcément suspecté avec quelques autres par le lecteur, est débusqué sur le fil... L'amour, discret et subtil, s'interroge sur son sens, ne s'étale pas. C'est aussi un beau portrait de femme solide et active, colonne vertébrale du récit.

  • 255 pages, 15 euros. Dans les librairies bisontines L'Intranquille, Forum et Cultura. Ou en contactant l'auteur : momozitoune@free.fr

 

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !