« J’ai froid jusqu’au bout des rémiges »

Le chanteur bisontin Pascal Mathieu a plusieurs fois croisé la route d'Anne Sylvestre qui nous a quittés récemment. Elle suivait son travail depuis le milieu des années 1980 et le Printemps de Bourges. En 2004, elle fut la marraine du « Festival des Mots qui Sonnent et des Musiques Emparolées » qu'il avait créé au Théâtre Bacchus à Besançon. Il raconte pour Factuel ce compagnonnage artistique.

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Nous n'étions pas intimes, ni même amis au sens strict du terme, mais je l'aimais vraiment beaucoup.

je l'ai connue par ses chansons pour adultes (Petit bonhomme, Clémence en vacances, Maryvonne, Depuis l' temps que je l'attends mon prince charmant, La faute à Eve). J'avais été séduit par les textes bien sûr, la poésie qui en émanait, le second degré, l'humour dans la formulation et l'audace des thèmes abordés, mais aussi par la voix immédiatement identifiable, cette brisure délicate qui surgissait avec son poids d'émotions, la singularité de son univers, de ses mélodies, et peut être même le classicisme des arrangements...Une forme classique qui porte des propos d'une totale modernité.

Je l'ai vue pour la première fois sur scène au tout début des années 80 accompagnée par un contrebassiste, et me suis pris ce soir là une réelle leçon d'écriture. Moi qui déjà me voulais chanteur, j'ai compris qu'il allait me falloir faire de sacrés efforts.

Puis j'ai été chanteur et il y a eu les Printemps de Bourges 1986 et 1987 et je pense que c'est dès cette époque là qu'elle m'a eu à l’œil.

Je ne me souviens pas de notre première rencontre et trouve ça rétrospectivement sidérant. J'ai la sensation qu'elle est apparue comme ça au fil des concerts à Paris où l'organisateur du jour me disait : « Anne Sylvestre sera là ce soir » ou « Anne aurait bien aimé être là, mais elle voulait découvrir tel artiste qui ne passe que ce soir ». Je l'ai revue sur scène plusieurs fois, dans des grandes salles toujours combles. Des moments d'immense tendresse entre une artiste et son public, un public étrangement varié.

Je pense qu'elle aimait bien ma liberté, et moi j'admirais la sienne, car non seulement elle faisait ce qu 'elle voulait, sortait ses disques au rythme qui lui convenait, quand ils étaient prêts, mais en plus elle avait réussi ce qui pour moi est un exploit, en l’occurrence être à la fois porteuse de sens et populaire.

Elle m'avait aussi invité à des spectacles collectifs autour d'elle à La Potinière, salle de spectacle qui devint peu après La Pépinière, plusieurs lundis de suite en après-midi, avec le jongleur Jérôme Thomas, Marianne James à l'époque de l'Ultima Récital, il y avait aussi Shirley et Dino....Elle n'avait de cesse de vouloir mettre en lumière celles et ceux qui lui semblaient de sa famille poétique ou tout simplement qui la faisaient marrer. Car elle avait beaucoup d'humour, un humour qui devenait parfois grinçant dans les mondanités.

Elle a été la marraine d'un petit festival que j'avais imaginé en 2004 à Besançon : « le Festival des Mots qui Sonnent et des Musiques Emparolées ». Il m'avait fallu quinze jours pour oser l'appeler et lui demander si elle voulait bien par sa présence soutenir l'initiative. Elle avait accepté tout de suite, et veillé tard tous les soirs avec nous, chanteurs, musiciens, amateurs de poésie, bref toute la tribu du verbe. Je crois qu'elle aimait vraiment ces ambiances, les rencontres. Elle aimait découvrir des artistes car elle se réjouissait sincèrement du talent des autres.

Elle ne se prenait pas au sérieux, au point de faire ma première partie au Limonaire à Paris. C'était une surprise de Noëlle Tartier (que j'aimais également beaucoup) qui tenait ce lieu magique. Je savais qu'il y aurait une première partie, une nouvelle formation appelée « Le Trio Désespéranza », c'est tout. Je me suis rendu compte le moment venu qu'il s'agissait d' Anne Sylvestre, Michel Buhler et Gérard Morel qui reprenaient des chansons hilarantes de Roger Riffard. Ambiance terrible, fous rires... Une soirée inoubliable pour moi.

Quand nos chemins ne se croisaient pas, et il y eut de longues périodes comme ça, je me faisais toujours cueillir à un moment donné et à l'improviste, par une chanson d'elle que je ne connaissais pas et qui m'arrivait aux oreilles. Et ça risque de continuer longtemps car je suis loin d'avoir fait le tour de sa création.

J'ai partagé la scène avec elle une dernière fois en 2017 grâce à Yves Jamait qui nous avait conviés à un « Bar à Jamait » à Lillebonne près d'Etretat, avec Chloé Lacan, Bernard Joyet et Gérard Morel. Pendant les balances, en entendant « La nuit s'éteint » l'une de mes dernières chansons, elle m'a dit qu'un couplet sur la lune lui faisait penser à une autre de mes chansons datant de 1986, et m'a récité sans se tromper le quatrain en question. Non seulement sa mémoire contenait son œuvre immense, mais elle trouvait de la place pour y garder des extraits de la poésie des autres.

Couchés très tard et retour en train le lendemain. Elle a tenu à me faire profiter de son taxi entre la gare du nord et la gare de Lyon. Je garderai en mémoire son visage fatigué et souriant à l'arrière de ce taxi.

Nous n'étions pas intimes, ni même amis au sens strict du terme, mais je l'aimais vraiment beaucoup.

 

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