Il y a 40 ans, la libération de Gérard Jussiaux

Le 12 février 1976, le dernier des 26 prisonniers de l'affaire des comités de soldats, alors secrétaire de l'union locale CFDT, sortait de prison après dix semaines d'incarcération. Retour sur un épisode mouvementé de l'histoire des relations contrastées entre le pays et son armée, dont le cœur est à Besançon, au 19e régiment du Génie.

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Il y a quarante ans, le jeudi 12 février 1976, Gérard Jussiaux sortait de la prison de Fresnes. Il avait été arrêté le mercredi 3 décembre 1975 à son domicile par cinq policiers venus de Dijon. Que lui était-il reproché ? Secrétaire de l'union locale CFDT de Besançon, il avait accompagné la transformation en section syndicale du comité de soldats qui s'était créé au printemps précédent au sein du 19e régiment du Génie de Besançon. Un autre militant CFDT, Jean-Claude Valentini fut aussi arrêté le même jour et emprisonné jusqu'au 18 décembre : il avait prêté son appartement pour des réunions clandestines de soldats.

La CFDT était particulièrement visée par une information judiciaire contre X ouverte le 27 novembre par la Cour de sûreté de l'Etat sur ordre du ministre de la Justice, Jean Lecanuet, à la demande de son collègue de la Défense, Yvon Bourges. C'est ce que précisait un communiqué du Premier ministre Jacques Chirac rappelant « l’article 84 du code pénal qui prévoit la détention criminelle à temps de 5 à 10 ans pour quiconque aura en temps de paix participé en connaissance de cause à une entreprise de démoralisation de l’armée ayant pour but de nuire à la défense nationale. »

Le gouvernement frappe en lâchant du lest

Des tracts du comité de soldats avaient été imprimés sur les ronéo du syndicat. Ses locaux de la rue Champrond, dans le quartier Battant, avaient également accueilli le 6 novembre une conférence de presse annonçant la constitution du comité en section syndicale. Charles Piaget y assistait, mais aussi Alain Genot, l'un des soldats du comité, qui fut incarcéré à la prison de la Santé du 29 novembre au 24 décembre après quelque temps passé aux arrêts. (On peut lire son témoignage de six pages sous forme de « mémoires d'un appelé du 19e RG » ici).

Ce même 6 novembre, les sursis militaires pour étudiants, dont l'abrogation en 1973 par Michel Debré, avait provoqué de grandes manifestations lycéennes dans le pays, étaient rétablis... Pendant qu'il s'apprêtait à frapper fort, le gouvernement lâchait du lest sur une mesure controversée du mandat précédent.

Non lieu général en 1978

Il y eut en tout 53 inculpés dont 26 incarcérés dans le pays. Gérard Jussiaux fut le plus longtemps détenu avec dix semaines en prison. L'affaire se dégonfla deux ans plus tard avec un non-lieu général prononcé par le juge Gallu. La cour de sûreté de l'Etat fut abolie après l'élection de François Mitterrand à l'Elysée en 1981.

Cependant, pendant près d'un an, l'affaire des comités de soldats – il en existât une centaine en France – défraya la chronique, l'arrestation de Gérard Jussiaux en étant le point d'orgue. Déjà connue pour l'affaire Lip, Besançon se singularisait deux ans après au point de devenir une ville emblématique de la contestation. Dans la ville, la nouvelle de l'arrestation de celui que les militants appellent Juju se répandit comme une trainée de poudre. Il n'y avait ni réseaux sociaux ni téléphone portable, cela n'empêcha pas l'organisation, l'après-midi même, d'une manifestation réunissant 400 personnes. Le défilé, compact, parcourut les rues du centre-ville d'un pas déterminé, en lançant un slogan unique : « Libérez Jussiaux, Valentini et les soldats ».

Les militants redoublèrent d'activité, couvrirent la ville d'affiches. Comme elles étaient aussitôt arrachées par la police qui interpellait systématiquement les colleurs, des stratagèmes furont employés : former des équipes non pas de deux ou trois, mais de douze ou quinze personnes, utiliser des échelles pour coller en hauteur. Des meetings furnt tenus. La presse nationale regorgea de tribunes prenant position. Des intellectuels de renom prennent position. La gauche classique PS et PC demande la libération des prisonniers, mais pas la reconnaissance du fait syndical dans l'armée.

Un tract de 1975... Il n'est pas daté plus précisément.

 

Longtemps confinés aux casernes, les comités de soldats étaient essentiellement animés par des militants d'extrême-gauche et du PSU, et leur popularisation dépassait rarement les cercles militants. Les revendications n'en étaient pas moins réelles, portant sur la solde ou les conditions matérielles du service militaire. La contradiction était gigantesque entre les aspirations de la jeunesse post-soixante huitarde et un encadrement militaire où les combattants professionnels des guerres coloniales d'Indochine, de Suez ou d'Algérie étaient légion. Les témoignages d'appelés du contingent concernant des sous-officiers racistes, autoritaires et brutaux foisonnaient.

Une brutalité et l'affaire éclate

C'est une de ces brutalités qui mit le feu aux poudres, propulsa les comités de soldat dans la lumière médiatique, et déclencha une tempête politique. Cette brutalité se produisit justement au 19e régiment du Génie, à Besançon, le 17 mai 1975. Elle donna lieu à la rédaction d'un tract que le chanteur breton Gilles Servat, en concert au théâtre de Besançon trois jours plus tard, lut entre deux chansons devant mille personnes.

Le lendemain, L'Est Républicain publiait une brève : « Une affaire navrante s’est produite samedi soir, caserne Vauban, à Besançon. A la suite d’une altercation avec un officier pour motif de service et d’un échange de coups, un jeune appelé, le sapeur Marcel Hacquin, 24 ans, origi­naire de Drancy (Seine-St-Denis) a dû être transporté d’urgence à l’hôpital pour une hémorragie de la rate et subir l’ablation de cet organe. La gendarmerie mène l’enquête. L’officier a été immédiatement relevé de son commandement et placé aux arrêts de rigueur avant que son dossier ne soit transféré au tribunal des forces armées à Metz. »

Trois semaines plus tard, le journal annonçait la création du comité de soldats.

Trois semaines avant la libération de Gérard Jussiaux, l'officier était condamné à 18 mois de prison dont deux ferme, et radié de l'armée.

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