Hervé Palissot est mort à l’âge de 51 ans. Il s’est endormi. C’est doux pour lui, et si brutal pour nous. Il est mort, une nuit de printemps, dans une petite maison qu’il retapait et qui le retapait. Il s’était mis un peu à l’écart, quelques mois seulement, du côté de Tours, un coin de cette France qu’il parcourait avec tant de bonheur.
Le poète laisse une œuvre rare, mais si prégnante et si puissante. Hervé Palissot avait choisi de devenir imprimeur pour pouvoir aller jusqu’au bout de sa démarche d’écriture. Cette envie d’écrire, cette nécessité, s’était imposée à lui dès l’adolescence, sans doute bien avant. Il avait fabriqué lui-même ses deux premiers livres de poésie, soucieux du moindre caractère, fasciné par le processus d’impression qu’il maîtrisait mieux que personne. C’est ainsi que sont nés « Diamètre de l’infinitude » et « L’imprimeur ». Et puis « Retour vers l’Usine », quelques années plus tard, sous la forme d’un essai philosophique et poétique aux éditions de l’Harmattan.
Sa poésie est unique. D’une incroyable liberté. Il promenait ses mots comme il se promenait dans la vie, avec autant de légèreté que d’anxiété. Il associait les mots pour leur donner d’autres perspectives, tout comme il s’associait aux gens, avec un sens inouï de l’amitié et de l’amour. Hervé Palissot incroyable fêtard était aussi celui qui chérissait, parfois, la seule compagnie de ses manies. Il en riait. Comme il en riait.
En parlant des individus « de notre espèce », Hervé Palissot écrivait : « le libre arbitre sera pour eux une passion dont il faudra s’enquérir quelque fois, à cause de certaines souffrances proportionnellement arbitraires et pour l’instigation d’un relais commun à tous ; dans la méthode individuelle pouvant résoudre un art d’exister, le solitaire se livre régulièrement à des consécrations de sa propre substance, lesquelles, mises in-vivo au service de l’intelligence collective, produiront ainsi une morale, une religiosité autant séduisante à chacun que génératrice de désacralisation pour tous ».
C’est un extrait du « manifeste militant » écrit par Hervé Palissot en guise d’édito d’un fanzine des années 80 à Besançon, « Champ Premier ». Et tout est dit. La passion du libre arbitre, la passion fiévreuse d’une liberté gagnée avec les griffes et les dents parmi les chimères, les maladies, la parthénogénèse de la bêtise.
La liberté. Hervé Palissot l’a cultivée, l’a voulue, l’a gagnée.
Les Bisontins l’auront connu chaloupant dans les rues, ombrageux dans les bars, opiniâtre sur sa Gestetner au fond de l’atelier, le pas si solide sur les sentiers alentours, le regard fixe sur le bouchon venant imperceptiblement de trahir l’intérêt d’une ablette de belle taille, quelques mètres en dessous de la surface de l’eau. Hervé Palissot était Bisontin, vesontiologue et comtophile. La Rue du Loup porte sûrement encore quelques-uns de ses pochoirs.
Les Parisiens l’ont découvert parlant avec tant de passion de ses randonnées, de la belle rivière, de la nature forte et puissante. Il aimait Paris pour l’avoir découverte tout plein de l’immense fièvre des possibles. Alors il avait justement appris à y flâner.
Il y a travaillé pendant sept ans. Il racontait souvent qu’il était pris de vertiges dans l’immense bibliothèque du Lycée Henri IV, où il est aussi redevenu imprimeur, laissant une incroyable trace de son humanité.
Hervé Palissot était sensible. A son œuvre écrite s’ajoute celle, géniale, de son sens de l’autre, une énergie, une intelligence.
Salut poète Palissot. Salut l’ami.
D. F.