Dehors le temps était doux

Après les trois nouvelles de Nadia Peccaud que Factuel a publiées à la fin de l'été, en voici une quatrième, qui met en scène une jeune fille enfermée en elle-même : « c’était une expérience assez solitaire, est-ce que c’était pareil pour tout le monde ? »

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Quelle sensation étrange. Finalement c’était une expérience assez solitaire, est-ce que c’était pareil pour tout le monde ? Froid, puis chaud, très chaud et le bruit tout autour, la lumière, fallait s’habituer. Des voix, des visages, tous inconnus. Puis très rapidement la sensation que quelque chose cloche, les gens autour affolés, et les mots prononcés comme un mauvais présage.

On était en avril. Dehors le temps était doux, un temps pour être heureux.

La nuit dernière, Léa n’avait pas fermé l’œil. Pour la première fois elle avait été confrontée à une situation terrible au travail. Depuis elle avait l’estomac noué, un poids avait pris possession de son corps. Elle ressentait une tristesse immense. Sa première réaction avait été de juger cette Violette, puis elle avait écouté son histoire. La jeune femme avait fermé les yeux. Léa avait alors entendu la voix de l’enfant.

Violette se souvient, elle est petite. L’appartement où elle vit avec ses parents n’est pas très grand, elle aurait préféré plus d’espace. Elle aurait préféré…les choses auraient peut-être été différentes. Violette a souvent peur, elle ne sait pas pourquoi. Ou si elle le sait, enfin elle n’est pas très sûre. Elle a huit ou neuf ans, elle aime jouer seule, enfin elle n’aime pas tant que ça peut-être. A l’école les autres filles se soucient peu d’elle. Violette aimerait tant leur ressembler. Elles rient toujours, pour rien. Violette, elle, ne sait pas faire ça. Elle aurait toujours envie de pleurer mais elle ne peut pas, à cause de sa maman ; elle est déjà tellement triste comme maman. Les autres mères, à la sortie de l’école sont toutes joyeuses. Enfin c’est ce que pense Violette. C’est sûr que la maman de Chloé est heureuse. Quand on porte du rouge à lèvres et qu’on a de jolies jambes dans des collants colorés, forcément qu’on est heureux. Violette pense que la couleur c’est comme le soleil, c’est fait pour les gens contents. C’est pour ça qu’elle a fait le dessin l’autre jour à l’école, quand elle a dû rencontrer la psychologue. La psychologue c’est pour les enfants qui ont des problèmes. Comment ils peuvent savoir à l’école si elle a des problèmes ? Elle fait pourtant aucun bruit. Elle dit rien à l’école, même quand la maitresse lui pose une question, elle répond pas. Plus muette qu’elle y’a pas ! L’autre jour donc, chez la psychologue, elle s’est bien appliquée. Ils la laisseront tranquille maintenant. Elle devait faire un dessin. Elle s’était dit d’ailleurs que c’était pas compliqué comme métier psychologue ; fallait juste trouver des enfants à problèmes et des crayons de couleurs. Et de la couleur elle en a mis Violette, partout, sur toute la feuille, dans tous les sens, plus un centimètre de blanc. Avec toutes ces couleurs de l’arc en ciel, la dame allait bien croire que Violette avait du bonheur plein la tête. Fini la psychologue qui se mêlait bien assez des choses des autres.

Violette a grandi. Avec ses parents ils ont déménagé. Finalement, elle l’avait rencontré longtemps la psychologue. La dame était très gentille. Elle avait toujours une voix douce, elle restait à côté de Violette avec son sourire, pendant qu’elle Violette, continuait ses dessins. Des fois elle devait jouer avec des cubes ou des puzzles. La pièce était tiède et calme, il y avait un tapis et des coussins par terre. Ca faisait chaud au cœur mais Violette se méfiait. Elle faisait tout pour ne rien laisser transparaitre, c’était pas si facile. Puis un jour elle a compris que si elle venait là c’était parce qu’elle ne parlait pas en classe. Elle ne comprenait pas pourquoi des fois on lui demandait de se taire, et pourquoi là il fallait parler. Alors elle a décidé de répondre à la maitresse. La psychologue n’était pas peu fière, elle avait fait du bon boulot. Violette aussi était fière, elle avait bien réussi à embrouiller tout le monde. Maintenant à 13 ans, plus de psychologue mais la peur est toujours là. Petite elle ne savait pas pourquoi. Maintenant elle sait ; c’est pire. L’autre jour elle a bien failli tout raconter.Elle a une meilleure amie maintenant, Céline. Elles se sont choisies parce qu’elles sont pareilles toutes les deux. Elles n’ont pas besoin de se confier, le lien est au-delà. Avec Céline elles vont au parc après les cours, se gavent de sucreries, retardent le moment de rentrer à la maison. Souvent Violette s’invente des histoires. Elle se dit qu’à force d’imaginer des tas de choses, il y en a bien une qui finira par arriver. Son premier souhait serait de vivre avec sa mère, seules. Des fois le soir Violette compte, elle pourrait compter à l’infini. Des fois elle n’a pas le temps d’aller bien loin.

Violette a deux vies. Celle de la petite fille qui ferme les yeux et compte en espérant que la porte restera fermée, et la vie rêvée, avec sa maman. Elle lui en veut pas à sa mère, elle la plaint tellement. Dans son autre vie, le père est absent, c’est un aventurier, toujours à l’autre bout du monde. Alors avec sa mère, elles parlent de lui, envoient des cartes. Lui, il écrit de jolies mots à Violette, l’autre fois il lui a envoyé la photo d’un éléphant, il en a de la chance. Quand Violette a fini les cours elles vont à la plage, sa maman lui met de la crème solaire, ça sent bon la noix de coco. Elles mangent des beignets à la confiture, le sable grince entre les dents, ça les fait rire. Le soir elles n’ont plus très faim, maman propose un chocolat chaud et des tartines, puis au lit. Les jours défilent, Dans cette vie là, pas besoin de psychologue.

Violette aura bientôt 18 ans. Elle est interne. Elle a plusieurs amis maintenant. Elle se sent mieux avec les autres. Elle a appris à être comme eux, insouciante. Le week-end c’est différent, elle redevient la petite fille qui a peur du soir. Elle attend d’être majeure, c’est dans deux mois. Elle ira voir une assistante sociale puis elle parlera à sa mère. C’est certain qu’elle acceptera de vivre ailleurs, quand elle saura, elle ne pourra plus fermer les yeux. Puis Violette est amoureuse, il s’appelle Etienne, il est gentil, il se montre patient.

Violette est terrifiée. Elle ne veut pas savoir, elle repousse cette idée. Elle range cela tout au fond de sa tête et s’applique à réussir son année scolaire. Mais elle est vite rattrapée par la réalité. Alors elle camoufle, elle pleure, elle ne veut pas l’accepter, c’est trop terrible. Sa vie est foutue, elle voudrait le tuer. Il lui avait assuré que c’était la dernière fois, à 18 ans il la laisserait tranquille. Elle pouvait comprendre non ! Il l’aimait tant, c’était son bien le plus précieux. Elle avait rempli tous ses désirs, il était tellement fier qu’elle ait gardé leur secret. Ce soir là, pour la première fois elle l’avait repoussé, lui avait dit sa haine, son dégoût. Il s’était énervé. Ultime viol, joyeux anniversaire ma petite fille chérie ! Elle n’avait pas le choix, elle confierait l’enfant à d’autres personnes. Des gens bien qui ne connaitraient pas l’histoire.

Léa regardait Violette, de grosses larmes sur chacun des visages. Elle n’avait pas ajouté mot. Elle serrait la main de Violette, tendrement. Violette n’avait pas rouvert les yeux. Elle semblait en dehors du monde… peut-être s’était-elle réfugiée sur la plage avec sa mère.

On était en avril, le temps était doux. Dans le berceau transparent de la maternité du Rougemont, le bébé sans nom avait tout entendu. Il aurait préféré ne pas savoir. Le bébé se dit qu’il avait bien mal commencé son entrée dans le monde. Il avait pressenti dès les premières minutes que quelque chose clochait, c’est quand ils avaient dit « sous x ». Il était si bien dans le ventre de cette Violette, il n’aurait jamais dû en sortir.

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