Le constat brut et implacable d’Edouard Louis

Qui a tué mon père est un court et dense livre tenant en même temps de l'autobiographie et de l'analyse sociologique incarnée. Implacable, il montre l'effet de décisions politiques précises sur le corps des prolétaires. 

edouardlouis

Qui a tué mon père d'Edouard Louis est sans point d'interrogation. Ce n'est pas une question mais une affirmation, un  constat brutal et implacable : « Hollande, Valls, El Khomri, Hirsch, Sarkozy, Macron, Bertrand, Chirac. L'histoire de ta souffrance porte des noms. L'histoire de ta vie est l'histoire de ces personnes qui se sont succédé pour t'abattre. L'histoire de ton corps est l'histoire de ces noms qui se sont succédé pour le détruire. L'histoire de ton corps accuse l'histoire politique. »

Les trois premiers sont responsables de la loi Travail qui « permet aux entreprises de faire travailler les salariés plusieurs heures de plus par semaine, en plus de ce qu'ils travaillent déjà ». En remplaçant le RMI par le RSA, les deux suivants avaient conduit à ceci : « dorénavant, tu étais harcelé par l'Etat pour reprendre le travail, malgré ta santé désastreuse, malgré ce que l'usine t'avait fait. »

Emmanuel Macron « renvoie ceux qui n'ont pas les moyens de se payer un costume à la honte, à l'inutilité, à la fainéantise. Il actualise la frontière, violente, entre les porteurs de costumes et les porteurs de T-shirt, les dominés et les dominants... » Auparavant, en déremboursant les médicaments contre les troubles digestifs, « Jacques Chirac et Xavier Bertrand te détruisaient les intestins. Pourquoi est-ce qu'on ne dit jamais ces noms dans une biographie ? »

Ce court livre se termine par un cri. Avant, il explore en quelques scènes, quelques moments marquant de la vie d'un enfant, la silencieuse relation qu'il a avec un père littéralement empêché de parler, de mettre des mots sur des situations, parce qu'assigné dans sa condition ouvrière, masculine et rurale. Dans sa condition de dominé qui cherche l'insoumission en refusant la loi scolaire, la culture considérée comme féminine, est rejetée...

Ce livre est un beau texte dédié à un homme détruit. Un texte de souvenirs, mais aussi d'analyse, de socio-analyse loin de la psychologie de bazar qui parfois sert d'explication aux conduites. Là, les conditions d'existence de la classe ouvrière pauvre sont montrées, la violence subie dite. Et face à elles, l'absence des mots qui fait mal.

Ce livre est à la fois le prolongement d'En finir avec Eddy Bellegueule publié en 2014 et son contraire, ou plutôt la face opposée d'un même monde. Sans pathos, mais dur par la violence, la crudité, la cruauté des situations décrites, En finir avec Eddy Bellegueule était aussi un cri. Celui d'un jeune homme se découvrant gay dans un monde que cette perspective hante et insupporte au prix d'humiliations répétées et d'injustes souffrances.

Mais c'est aussi cette orientation et sa sensibilité qui vont permettre au petit chose que fut Eddy Bellegueule de devenir Edouard Louis, écrivain et sociologue aussi magistral qu'accessible.

    

 

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