Un recueil de nouvelles en noir et en rouge

« Franco la muerte » réunit vingt écrivains, de Didier Daenninckx au franc-comtois Frédéric Bertin-Denis, qui célèbrent à leurs manières les quarante ans de la mort de l'ancien dictateur espagnol.

francomuerte

Novembre 1975, le Caudillo meurt de sa belle mort. Dans son lit, en toute impunité !

Janvier 2015, l’idée jaillit de célébrer l’anniversaire de Franco de porc, pour les 40 ans de sa mort.

40 ans…Si le temps a passé, la détestation est intacte, inscrite au plus profond de notre ADN. Et l’envie d’écrire est immédiate. Franco, les garrots, les fachos, les bigots, les toubibs, les courtisans, les cocos, les anars, les Basques : vingt auteur(e)s entament ici la grande parade des règlements de compte. Ces snipers de la plume visent juste, et sur tous les tons : drôle, cocasse, grave, ironique, coléreux. À l’arrivée, on se dit que l’affaire n’est pas soldée. D’autant que l’Ogre a fait des petits, beaucoup de petits…

FRANCO LA MUERTE est un recueil de vingt nouvelles écrite par Patrick Amand, Alain Bellet, Antoine Blocier, Frédéric Bertin-Denis, Didier Daeninckx, Jeanne Desaubry, Pierre Domengès, Patrick Fort, Maurice Gouiran, Gildas Girodeau, Hervé le Corre, Sophie Loubière, Roger Martin, Jacques Mondoloni, Ricardo Montserrat, Chantal Montellier, Max Obione, Jean-Hugues Oppel, Gérard Streiff, Maria Torres Celada.

Franco la muerte, Recueil de nouvelles publié aux éditions Arcane 17
280 pages, 21 euros

Vingt snipers de la plume !

L’occasion de rendre ici hommage à d’autres snipers de la plume, ceux de Charlie, morts sous les balles d’extrémistes religieux.

L’occasion de rendre hommage aux victimes des mêmes barbares qui ont tué, et encore tué, le vendredi 13 novembre, à Paris. Jusqu’où iront-ils ?

Qui écrira les nouvelles en rouge et noir au sujet de ces monstres là ? Comment faire pour que les mots soient des balles qui les arrêtent net ?

Le noir de la période sombre du franquisme, le rouge du fleuve de sang versé.

Le devoir de mémoire nous incombe. On ne peut pas tirer un trait sur la période noire du franquisme, pas plus que sur celle du nazisme, du stalinisme et d’autres ismes. Maoïsme, colonialisme, impérialisme… aujourd’hui, l’islamisme de Daech.

On ne peut pas oublier le fleuve du sang des Républicains versé sous le couteau des franquistes. Celui des Juifs, des communistes et tant d’autres, morts sous le couteau et pire, des nazis. Et aujourd’hui, là, chez nous !

L’Histoire est un explosif difficile à manipuler. Le sang n’a pas été versé uniquement par les méchants.

Il est fait référence, dans la nouvelle Moi et Franco, de Patrick Amand, à la colonne Durruti, une colonne de combattants anarchistes. Dans Le Banquet du bas monde d’Alain Bellet, Durruti, leur chef, attend avec d’autres et dans un ailleurs inconnus puisqu’ils sont morts, Franco qui vient de mourir.

Il est utile de lire ou de relire la lettre que Simone Weil, qui a combattu à leurs côtés, a envoyée à Bernanos. Le devoir de mémoire nous incombe, celui de préserver et de faire vivre nos valeurs car se sont elles qui nous sauveront, nous incombe tout autant. Ne laissons pas l’Ogre, ou la Bête immonde, relever la tête. Aujourd’hui, d’autres prennent le relais, toujours au nom d’une religion, toujours au nom d’un Dieu.

Une autre issue pour l’Espagne ?

L’humanité est-elle condamnée à avancer la tête dans les ténèbres et les pieds dans de la boue sanguinolente ? Avec, de temps en temps, quelques éclaircies comme la Démocratie ? Ce n’est pas si mal la Démocratie, non ? Qui permet de lire, de se cultiver, d’écouter de la musique. Qui ne colle pas les femmes sous un voile, sous une burqa. Qui ne les emprisonne pas sous la tutelle de leur père, de leur frère, de leur mari.

Les nouvelles de ce recueil sont le fait de gens engagés. Le lecteur entre dans un cercle un peu fermé de ces auteurs qui ont fait un véritable travail d’Histoire, et un beau travail d’écriture. Les mots ont du poids, les mots peuvent tuer. Ils peuvent aussi enfumer. De quels mots et de quels maux se sont nourris les monstres d’aujourd’hui ? Les mots peuvent aussi faire revivre. Ils peuvent alerter.

Les nouvelles de ce recueil sont de parti pris. Elles bousculent, elles réveillent. Elles obligent à se poser des questions. Elles donnent la parole à des morts. Elles dessinent une autre issue pour l’Espagne en imaginant qu’un projet d’assassinat de Franco a réussi, dans la nouvelle Moi et Franco, de Patrick Aman.

Je sentais que c’était l’occasion d’en finir avec l’ordure. Mais de quelle manière ?
...

Non, Franco ne pouvait pas mourir dans son lit. Il lui fallait une autre fin…Tu t’y prendrais comment pour tuer Franco ?

De pauvres types qui deviendront des héros...

Certains des auteurs n’ont pas que des comptes d’idées, ou d’idéologies à régler. Il y a, dans la chair des mots, des drames, des histoires de familles et d’exil.

Ne pas oublier hier. Aujourd’hui et demain sont faits de notre passé dont il ne faut pas faire table rase. C’est à cette réalité de l’Histoire que ce recueil de nouvelles fait face. À son imaginaire aussi. Un imaginaire en rouge et en noir. Des bons, des méchants. Des franquistes, des antifranquistes.

Au milieu, de pauvres types qui deviendront des héros, grâce à l’éducation que leur donneront les compagnons de cellule, des communistes, des anarchistes…

Comme dans Maurizio Lopez est communiste ! de Frédéric Bertin-Denis, un auteur franc-comtois dont il faut également lire Viva la Muerte ! Un polar terrifiant sur les réalités du franquisme, et sur le règlement de compte, plus tard, de méfaits commis sous Franco. L’histoire racontée dans cette nouvelle trouve son point de départ dans le récit qu’a fait un vieil espagnol de 98 ans, à l’auteur. Ce dernier connaît l’Espagne et le franquisme comme le fond de sa poche. Il a fait un important travail de recherche, il est la mémoire de nombreux témoignages.

Le récit, dans la nouvelle, commence le 8 août 1942. Il se termine le 30 septembre 1963, sous le garrot, cet abominable instrument de torture et de mort utilisé par les franquistes, et sous le regard bienveillant de Leur Très Sainte Mère l’Église. De l’Opus Dei aussi, une de ses succursales. Hier comme aujourd’hui, il faut le répéter, les religions servent parfois d’étranges causes, en rouge et en noir elles aussi.

Consciencieusement, ils obstruent toutes les arrivées d’oxygène

Pedro, « El Cabrero », le chevrier, a 14 ans. Il est orphelin, analphabète, et au service de la famille Sequeiro y Bourbon.

Trois cent soixante jours par an, je garde seul leurs troupeaux dans les pâturages rocailleux de la Sierra Morena.

Un jour, il est arrêté. On veut lui faire dire que Mauricio Lopez est communiste. Lui, il ne sait pas ce que c’est qu’un communiste. Alors il répond :

- Ben, aux dernières nouvelles, il était apprenti boucher…
- Tu me prends pour un con ? hurle le milicien.
- Pas du tout ! C’est vrai.
- Je ne te le demanderai pas une autre fois. Il est COMMUNISTE ? Oui ou non ?

L’enfant est embarqué et longuement torturé.

Je pue l’urine et la merde. L’annuaire et l’auriculaire de chacune de mes mains sont broyés, mon corps a été lacéré par des ceintures de cuir. Mes couilles ont été traversées par des milliers de volts.

Ils s‘approchent de moi avec un masque à gaz qu’ils m’appliquent sur le nez. Consciencieusement, ils obstruent toutes les arrivées d’oxygène. Mes poumons explosent…

À la cinquième fois, dans un souffle que j’espère être le dernier, j’ânonne une phrase dont je ne comprends toujours pas le sens :
- Mauricio Lopez est communiste.

Mon tortionnaire me dévisage. Un sourire satisfait déforme son faciès.
- Ramenez-moi ça dans sa cellule.

Franco la muerte, Daech la mort

Rien de nouveau dans le monde de l’obscurantisme. Aujourd’hui, tout près, on séquestre, on viole, on brûle vif, on assassine l’art, on coupe des têtes, des mains, des bras, on lapide… Chez nous, à Toulouse, à Montauban, à Paris… les descendants de l’Ogre, ceux de la Bête immonde continuent le travail.

Alors oui, revenir sur le passé force à regarder le présent. Qu’aujourd’hui ne se calque pas sur cet hier là !

Laisserons-nous d’autres snipers de la plume écrire, plus tard, notre présent que nous n’aurions pas su, pas pu empêcher d’être en noir et en rouge sang ?

Ou saurons-nous couper la tête de l’Ogre et faire avorter la Bête immonde de ses petits ?

Quel électrochoc, que ce recueil de nouvelles !

Impossible de les évoquer toutes ici, il faut les lire. Vingt récits qui trament serré la période du franquisme. Mais tiens ! Encore une quand même ! La dernière pour la route !

Vers un monde débarrassé du noir de la barbarie et du rouge sang ? Celle de Roger Martin, un écrivain si engagé dans la lutte contre l’extrême-droite, qu’il est régulièrement menacé.

Dans GAL-OAS, il se livre à un exercice troublant, extrêmement troublant. Établir une connexion forte entre hier et aujourd’hui, et donner la parole à quelqu’un, quelqu’une plutôt, dont, c’est le moins qu’on puisse dire, il ne partage pas les convictions. Il le fait grâce à une vraie fausse lettre d’
Eva Maria Dirche
Calle General Peron, 127 Polop
Province d’Alicante
Espagne

à

Monsieur Robert Ménard
Maire
34500 Béziers

Le machiavélisme qui lui fait citer Camus

Dans cette lettre, Eva Maria Dirche lui dit son admiration. Elle le félicite pour la façon dont vous avez su utiliser une association considérée comme de gauche pour alimenter inlassablement la campagne contre le dictateur Castro et ses séides à Cuba. Pour tout vous dire, nous avons eu connaissance ici des accusations selon lesquelles votre organisation aurait perçu 40.000 dollars d’une association américaine que vos détracteurs taxaient d’écran de la CIA. Vrai ? Faux ? Qu’importe ! Ce qui compte avant tout, n’est-ce pas la déroute de nos ennemis ?

Elle continue en se réjouissant du machiavélisme qui lui a fait citer Camus, lors de son vibrant discours, à l’occasion de l’inauguration d’une rue à la mémoire d’Hélie de Saint-Marc, en mars dernier, dans Béziers libérée. Camus, un philosophe incarnant aujourd’hui le modèle de l’intellectuel libre et devenu une icône médiatique (Marx, Freud, Sade et leurs émules au petit pied ayant été discrédités et renvoyés à leur niche), reconnu de tous (seuls les résidus rabougris du communisme – et encore – osent émettre des critiques et laisser entendre qu’après tout Camus n’était ni un grand philosophe ni un grand écrivain) …

Elle continue en fustigeant le communisme qui décidait par la force brute de ce qui était bon pour les peuples et par le terrorisme intellectuel de ce qu’il fallait lire ou penser.

En continuant la lecture de la nouvelle, on se demande qui est le plus machiavélique. Robert Ménard et son utilisation de Camus, mais aussi son utilisation d’Elie de Saint-Marc, officier français qui, s’il fut membre de l’OAS fut aussi et surtout un grand résistant déporté à Buchenwald ? Roger Martin, en se livrant à cet exercice de haute voltige ?

Il faut vraiment être sûr de soi, et retors (dans le bon sens du terme), pour laisser Eva Maria Dirche s’exprimer jusqu’au bout, sans l’interrompre ! Car ses arguments sont de poids ! Et dès le début, on y croit, à cette lettre ! Son contenu fait se poser des questions auxquelles il faut répondre ! Pour soi, pour la vérité de l’Histoire. D’ailleurs, cette lettre est-elle vraiment fictive ?

Madame Dirche rappelle à monsieur Ménard qu’il est passé par la Ligue communiste révolutionnaire. Elle rappelle bien d’autres choses encore. Le parcours de son père à elle, le sujet final de sa lettre. Jean-Paul Dirche fut un combattant de la Division Azul, un corps de volontaires phalangistes aux ordres de l’Allemagne Nazie.

L’OAS, créée le 11février 1961, en Espagne. Ramon Serrano Suner, un de mes oncles, célèbre pour avoir organisé la rencontre d’Hendaye entre Hitler et Franco le 23 octobre, présidait la réunion. On commence à y voir plus clair ! Ensuite, Jeune Nation. La prise d’assaut du siège du PC au carrefour de Châteaudun. L’Humanité du 9 novembre 1956, publiait la photographie de mon père, penché, une barre de fer à la main, au dessus d’un corps. Et l’OAS. Bien entendu, l’OAS dans le drame algérien. Jean-Paul Dirche était un homme d’honneur. Puisque les autres se résignaient, il partit ailleurs, là où le combat pour l’identité blanche et européenne se poursuivait.

Et puis, persuadé que le combat contre le communisme et le terrorisme soutenu par Moscou était primordial, il finit par revenir en Espagne. L’ETA y faisait régner la terreur. De l’OAS aux GAL, un seul pas à franchir que Dirche franchit allègrement. Les GAL, ces Groupes Antiterroristes de Libération issus de la parfaite collaboration de l’Espagne et de la France et travaillant en sous-main pour leurs gouvernements.

Cette longue lettre d’Eva Maria Dirche à Robert Ménard, pour lui demander d’intervenir auprès des organisations patriotiques et particulièrement de l’ADIMAD-OAS, qui a tant fait pour que nos combattants reçoivent enfin les honneurs qu’ils méritent, afin qu’elles examinent toutes les possibilités de rendre le sien à Jean-Paul Dirche, je vous en serais éternellement reconnaissante.
Notre honneur s’appelle fidélité.

De tout cœur avec vous et votre combat,Eva Maria Dirche.

Cette longue lettre, donc, est un bijou du genre.

Tuer un homme pour défendre une idée, ce n’est pas défendre une idée, c’est tuer un homme

Et puisqu’il est fait référence à l’ETA, forcément, deux autres nouvelles de ce recueil – El Ogro, et À quelques minutes près – font espérer qu’un groupe aura la même ingéniosité, le même courage, que les membres de l’Opération Ogro qui ont fait sauter si haut Carrero Blanco, qu’on a cru qu’il avait été expédié tout droit au ciel ! Il s’agirait, cette fois, de rassembler la clique de Daech, celle de Franco et celle de tous les assassins d’humanité, dans un au-delà qui ne peut être que noir et dégoulinant de sang.

« Tuer un homme ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme. Quand les Genevois ont fait périr Servet, ils ne défendaient pas une doctrine, ils tuaient un être humain : on ne prouve pas sa foi en brûlant un homme mais en se faisant brûler pour elle. » a écrit Sébastien Castellion au 16ieme siècle.

Dans la nouvelle de Jean-Hugues Oppel, Je ne suis pas Franco, cela donne :

Tuer un homme pour défendre une idée, ce n’est pas défendre une idée, c’est tuer un homme.
Sous la torture, un Basque, probablement un etarra, répète en boucle, je ne suis pas Franco.
Un leitmotiv. Une litanie en boucle hypnotique. Cela permet de se concentrer sur la seule chose à faire en pareilles circonstances : garder un silence obstiné.

Je ne suis pas Franco.

Parler. Écrire. Dessiner. Rêver. Penser librement. Autant de crimes.
Cela ne date pas d’hier.
Ça continue aujourd’hui.
Ça continuera demain.
Car il est toujours fécond le ventre d’où à surgi la bête immonde.

Franco la muerte, un recueil de nouvelles à ne pas louper, un recueil de mémoire, un recueil de combat et de résistance.

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