Un artiste de rue à l’école de la Grette : « le pré des 408 »

Co-réalisateur de la prochaine édition du festival Bien Urbain, Eltono intervient au long cours et en trois sessions dans deux écoles primaires de Besançon. Ou comment la création motive les enfants tout en mobilisant les savoirs appris en maths ou en français.

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« Un ver de terre sortant de terre », « un arc en ciel », « un skate parc », « une cheminée qui sort d'un toit », « du ski sur une piste rouge »... Cette énumération sort de la bouche des élèves de la classe de CE2-CM1 d'Aurélien Doubliez à l'école primaire de la Grette, à Besançon. Ils répondent joyeusement aux questions de l'artiste Eltono : « que voyez-vous ? quelle est votre interprétation ? »

Sur un panneau quadrillé, ils ont collé des formes colorées selon un protocole bien précis. Ils ont commencé par « relever des matières » la semaine précédente. Posant une feuille blanche sur un mur, un sol, une fissure, etc., ils ont crayonné le papier pour obtenir des empreintes de diverses couleurs et de formes imposées : triangle, rectangle, cercle, ligne droite, courbe ou brisée... « Je me suis mis sous le préau et j'ai posé ma feuille sur un mur que j'ai choisi pour ses bosses », explique Islam. « C'est bien, on a utilisé des craies grasses et appris une technique », souligne Asma. Ensuite, ils ont soigneusement découpé les feuilles. Puis ils ont tiré au sort un chiffre et une lettre correspondant aux coordonnées de la position où ils devaient coller leur forme sur le panneau quadrillé.

Un contrat local d'éducation artistique pour 160 élèves de primaire
L'intervention à l'école de la Grette d'Eltono, artiste de rue invité du festival Bien urbain en 2012, est réalisée dans le cadre d'un contrat local d'éducation artistique concernant également l'école de la Butte. Passé entre l'association Juste ici, organisatrice de Bien urbain, et la ville de Besançon, il a pour objectif « d'initier et sensibiliser » 160 élèves des écoles primaires aux différentes pratiques artistiques.
Artiste voyageur, Eltono est intervenu en Chine et à Madrid, à Moscou et au Royaume Uni, en France et ailleurs. Voir son site en anglais et espagnol , traduit en français ici.
Eltono est aussi le co-réalisateur de la cinquième et prochaine édition de Bien urbain qui se tiendra en juin à Besançon.

Le résultat inattendu du travail avec le hasard

Ils l'ont fait trois fois, s'arrêtant à chacune d'elles pour interpréter, dire ce qu'ils voient. « Ils sont spectateurs du résultat inattendu du travail avec le hasard », explique Eltono. « On fait un débat : au début, ils commencent par les détails, je les pousse à une vue globale. Chacun voit des choses différentes, je veux leur démontrer que l'art abstrait permet une interprétation libre ». Les élèves réagissent au discours : « Ça veut dire quoi global ? ». Eltono félicite celui qui a montré du geste la réunion de plusieurs collages : « il a vu une diagonale, très intéressant ! » « C'est quoi une diagonale ? » Le maître intervient : « une ligne qui va de travers... »

L'enthousiasme est palpable. Une douce effervescence saisit la classe. Les enfants se relaient auprès de la boîte en carton du tirage des coordonnées - encore un mot à retenir - puis devant le panneau où Johanna Romary, chargée d'action culturelle à l'association Juste ici, donne un coup de main. « L'idée est celle d'un fil rouge », dit-elle. Un lien entre les trois moments de l'intervention de l'artiste à l'école : présentation de son travail et réalisation d'une fresque en novembre, création du panneau début février, questionnement de l'espace quotidien en mars prochain.

« Un vrai artiste qui fait rêver les enfants »

Après la seconde série de collage, la fameuse vision globale commence à poindre. « Ça me fait penser à des légos éparpillés », dit un garçon. « Et si on devait donner un titre ? », demande Aurélien Doubliez. « Le Grand bazar ! », souffle Kaïs. Pour l'enseignant, l'intervention de l'artiste apporte un véritable bonus au quotidien : « Il y a une grande motivation car c'est un intervenant extérieur. Ça sort de l'ordinaire. C'est un vrai artiste, connu dans le monde entier, ça fait rêver les enfants. On a vu son site internet avant qu'il vienne. Il a parlé de son métier. Les enfants n'avaient pas de conception de ce qu'est un artiste, une oeuvre. Leurs premières questions ont été : es-tu connu ? passes-tu à la télé ? En fait, il n'est pas connu, mais reconnu... »

« Ça veut dire quoi reconnu », demande Islam qui ne perd pas une miette de la conversation. « Ça veut dire qu'Eltono a fait un travail important pour ceux qui s'intéressent à l'art ». « Et toi, tu t'intéresses à l'art ? » « Oui », répond le maître. « Tu t'intéresses surtout à la grammaire », sourit l'enfant.

Aurélien Doubliez poursuit : « Travailler sur trois sessions permet de penser à un projet à plus long terme. Il y a beaucoup de curiosité, d'autant que ces pratiques culturelles ne sont pas forcément les leurs. En plus, l'exceptionnel, c'est que ça change des maths et du français ! Ça permet une autre pratique de l'école, une ouverture pour ces enfants dont la plupart viennent des 408 ». Les 408 : la cité Brûlard, l'un des quartiers les plus pauvres de Besançon, retenu par l'Agence national de renouvellement urbain au titre de l' « enjeu régional ».

« Prendre en compte le travail de l'autre dans l'occupation de l'espace »

Après la récréation, Eltono change de classe, se retrouve avec les CE1 que Madeleine Sapolin a un jour par semaine. Elle aussi est ravie de l'intervention de l'artiste qui « ravive avec un côté ludique les quadrillages qu'on a travaillés en maths ». Aminata a tiré A15. L'enseignante suit du regard sa recherche sur le panneau déjà bien occupé : « c'est intéressant de prendre en compte le travail de l'autre dans l'occupation de l'espace ».

On en arrive au débat interprétatif : « qu'est-ce qu'on voit ? », demande Eltono. « Observez bien », dit la maîtresse. « Un cerf-volant ! », « un escalier », « en haut, c'est le vent, le ciel », « un serpent ». A quoi cela fait-il penser ? « un parc ! ». L'enseignante résume : « observer, c'est prendre du recul... On travaille sur des compétences transversales... »

« A chacun son interprétation »

Revient la question du titre : « tout à l'heure, c'était un parc. Et maintenant ? », dit Eltono. Doâa se lance : « Un jardin avec... »... « Avec des lettres », complète Safia. « Comme dans la soupe ? », suggère l'artiste. « C'est une fête », s'exclame Ahmed. Les propositions fusent : « La maison en fête », « la maison en couleur », « la surprise »...

Eltono intervient : « on va faire la troisième série de collage et on trouvera un titre définitif ». le ballet recommence : tirage au sort, placement des formes, prise de recul... « Avez-vous vu comment le hasard a distribué les choses ? » Les propositions de titres évoluent : « le village des Aliens », « le village zarbi », « le monde des dragons », « le pré des 408 » !

 

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