Tu dormiras quand tu seras mort

Guerre d'Algérie. Un roman au cœur de la vie d'un commando de chasse à la poursuite des rebelles. Un jeu du chat et de la souris entre deux hommes. André Leguidel et Mohamed Guellab. Le premier est chargé de faire la preuve que le second, chef de section du commando est resté fidèle à la France. S'il est proche de passer à l'ennemi, il doit être abattu.

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2019. L’Algérie connaît de nouveaux soubresauts. Nul ne sait encore – sauf peut-être quelques rares initiés œuvrant dans l’ombre, dans les coulisses de l’Histoire, adeptes des coups tordus que le citoyen lambda ne découvrira que très tard, des hommes œuvrant dans des officines, plus attachés à la sauvegarde d’intérêts économiques qu’à la sauvegarde d’une certaine idée de l’humanité, des hommes agissant au nom de la real politique… – nul ne sait donc, ce qu’il en sortira.

Une guerre, trois romans

Lors du salon Pas serial s’abstenir, un débat sur l’Algérie noire, racontée par trois auteurs.

Patrick Pécherot, avec Hével François Muratet, avec Tu dormiras quand tu seras mort. Frédéric Paulin, avec La guerre est une ruse. Chronique à venir.

Ces trois romans, outre la documentation sur laquelle ils s’appuient, incarnent l’Histoire en la faisant porter par des personnages qui, s’ils sont de papier, sont quand même plus vrais que vrais.

Accolés les uns à la suite des autres, les trois titres contiennent déjà une invitation à se pencher sur la guerre d’Algérie, et ses suites

La guerre est une ruse. Qu’est-ce que la guerre d’Algérie a masqué ?

Tu dormiras quand tu seras mort. Une invitation à rester vigilants.

Hével. Une réalité éphémère, illusoire, absurde. Pourquoi continuer à s’entre-tuer ?

C’est peut-être bien la puissance de la littérature, que de faire partager de façon quasi charnelle, des événements, une époque… Quand Patrick Pécherot raconte les crevettes de Bigeard, Alors les hélicos lâchèrent leurs victimes au-dessus de la mer et la Méditerranée connut ses « crevettes Bigeard ». Celui qui avait connu les troupes nazies s’inspiraient désormais de leurs méthodes, on ne peut que frémir d’horreur, parce que l’on sait que c’est véridique.

Qui le savait, à l’époque ?

Quand Frédéric Paulin raconte les arrangements entre différents services secrets, le pouvoir algérien, le pouvoir français… lors des dix ans terribles de guerre civile qui ont ravagé l’Algérie dans les années 90, avec son cortège de tortures, d’assassinats, de viols… on ne peut que se demander si l’histoire n’est pas prête à se répéter.

Qu’est-ce que les hommes apprennent des horreurs qu’ils commettent ou qu’ils subissent ?

Gus, un personnage de papier de Patrick Pécherot, dit que tout est Hével, que tout est vain et poursuite du vent, que rien ne reste sous le soleil.

Une question, angoissante : Assassin ? Peut-être le sommes-nous tous. Une prédiction tout aussi angoissante : Caïn et Abel, on n’en a pas fini.

Années 60. Guerre d’Algérie

Tu dormiras quand tu seras mort. La mort est présente à chaque page de ce roman de François Muratet, comme elle l’a été chaque jour dans cette guerre … fratricide ? Civile ? De libération ?

Le quotidien de la vie d’un commando, symbole de tous les autres commandos, est décliné sous toutes ses facettes. Les combats souvent meurtriers, la peur parfois, les tactiques de combats, les désillusions …

- Qu’est-ce qu’on est devenus, Leguidel ? Il y a deux ans, j’étais un gosse. J’aimais les armes. Mon père est agriculteur, je l’accompagnais à la chasse. Je croyais que je serais un homme, un dur, un guerrier.

Le décompte macabre des ennemis tués, celui des camarades morts au combat… La honte de ne pas avoir pu empêcher certains actes, la honte d’en avoir commis d’ignobles,

- Il m’a raconté qu’il avait baisé une fille de quinze ans, dans un douar qu’il fouillait, avec d’autres gars, d’une autre section. C’était avant qu’il soit volontaire pour le commando. […]

- Vous l’avez violée ?

Il m’a dit mais non, on l’a baisée, c’est tout, elle demandait que ça. Putain, on a des couilles et c’est fait pour s’en servir, malheur aux vaincus, c’est la guerre bordel, t’es con ou quoi ? […] Et il a tapé son front contre le comptoir. Ça a fait sursauter les verres. […]

- J’y repense tout le temps, tu sais.

Il m’a attrapé le bras et s’est mis à pleurer sur mon épaule, disant que c’était dégueulasse, qu’il était un pourri, un salaud, une ordure.

Qui était du bon côté ? Qui était du mauvais côté ?

Les débats entre troufions, sur la question de savoir si l’Algérie doit rester française, ou pas, donnent, par petites touches, une idée de la façon dont cette question était appréhendée. Quels étaient les enjeux de cette guerre ? Qui était du bon côté ? Qui était du mauvais côté ?

Est-ce vraiment de cette façon qu’il fallait, qu’il faut, appréhender cet épisode de l’histoire entre l’Algérie et la France ?

Ce qui s’est passé dans ces années-là continue d’empoisonner les relations entre les deux pays, et surtout d’empoisonner les relations entre les hommes et les femmes, de chaque côté de la Méditerranée. Pourtant, la France et l’Allemagne, à l’issue de la seconde guerre mondiale, ont su retisser des liens de confiance. Pourquoi l’abcès entre la France et l’Algérie n’est-il toujours pas crevé ?

La littérature peut-elle donner du sens à l'Histoire ?

La littérature peut-elle donner du sens à l’Histoire en général, à cet épisode de l’histoire entre la France et l’Algérie en particulier ? Peut-elle aider à pacifier les esprits ?

Nul doute que dans les trois romans, elle permet de mettre à jour la complexité des hommes, des situations, la multiplicité des enjeux, les jeux d’ombre et de lumière… sachant que sur la couverture du roman de François Muratet, les lumières tombées du ciel sont d’étranges lucioles, destinées à favoriser une tuerie.

Guellab est apparu à côté de moi, il a pris le combiné.

- Corbeau, de Violet 2 autorité. 4 sur 5, à vous.

- Donnez-moi le top pour le largage des lucioles.

- Cap à onze heures, largage dans vingt secondes environ. Continuez comme ça, vous arrivez au-dessus de nous, un chouia à gauche, attention, TOP !

Le gars a largué des dizaines de fusées éclairantes, elles descendaient doucement dans l’air tiède de la nuit, suspendues à leur parachute, c’était magnifique.

- Violet 2, de Corbeau. Bonne chasse, les gars, je rentre !

Guellab m’a rendu le combiné. On y voyait presque comme en plein jour, aucune trace des rebelles, puis les ombres se sont allongées, tout était mobile, changeant, étrange. Et c’était fini, le djebel était encore plus sombre qu’avant.

Tu dormiras quand tu seras mort

Tu dormiras quand tu seras mort, c’est ce que dit Mohamed Guellab à André Leguidel, alors qu’épuisé, ce dernier s’est endormi, malgré le froid.

Bientôt, le commando dirigé par Guellab partira en mission de représailles contre des rebelles, en fuite dans les montagnes algériennes après avoir allumé, un poste militaire français. Leguidel n’y croyait pas, à cette possibilité d’attaque. Pourtant, Le PC envoyait un message d’alerte, prioritaire, pour le colonel. […] Un rebelle, quelque part, avait parlé. Plusieurs katibas, soit deux cent hommes au moins, prendraient position autour du poste dans deux jours, vers minuit, pour nous bombarder.

[…]

Quelle connerie ! C’était impossible que les fells nous attaquent. On avait des canons, des mitrailleuses, on était plus nombreux, on avait des casemates. C’était de la pure intox.

                                                              Une guerre, deux hommes

Mohamed Guellab. André Leguidel. Deux personnages forts, traversés par les contradictions, les ambigüités, les complexités d’une situation qui les dépassent parfois, qu’ils cherchent quand même à discipliner… Un jeu du chat et de la souris. Qui est le chat ? Qui est la souris ?

Mohamed Guellab et André Leguidel, c’est aussi la rencontre de deux hommes cherchant à savoir qui est l’autre. Au départ, un affrontement à fleurets mouchetés. Ensuite, la découverte de la réalité de l’un et de l’autre. Pour finir, une forme d’amitié forgée dans l’horreur des combats, l’horreur de la mort.

François Muratet plonge dans la guerre d’Algérie, il nous entraine à Alger, à Oran, dans le Djebel, au cœur des combats entre des Français et … des Français ? À certains moments, le paysage se trouble. Qui est français ? Qui ne l’est pas ?

Pour Guellab, sans égalité complète, un homme, une voix, le FLN ne désarmerait pas. Au contraire, il se renforcerait. Les Algériens ne suivraient pas un gouvernement composé d’une majorité d’Européens. Une telle injustice, il faut une force militaire européenne pour l’imposer. Autrement dit, la France reste et la guerre continue.

- De toute façon, la France doit rester, a dit Stagliani. Si elle s’en va, les troupes de l’ALN déferleront comme un raz-de-marée. Elles déferleront du Maroc, de Tunisie, plusieurs divisions, armées par l’URSS, Le Caire, La Syrie, elles n’attendent que le départ de la France. Les gars que l’on poursuit aujourd’hui, ce ne sont que des vagabonds à côté de l’ALN

- Stagliani, a dit Guellab, sais-tu combien l’armée française a enrôlé de supplétifs ?

- Vingt mille, quarante mille ?

- On a dépassé les deux cent mille, et c’est pas fini. C’est une force formidable, bien supérieure aux troupes de l’ALN. Mais si les Européens d’Algérie ne veulent pas revenir sur leurs privilèges, le camp des amis de la France sera divisé, et donc il sera perdu. C’est le FLN qui gagnera.

- C’est pour ça que la France doit rester.

François Muratet restitue une certaine façon d’envisager la question de l’Algérie que certains veulent à tout prix garder française. Et une façon de parler des Algériens.

- Transformer tous ces bicots en Français, mais bon sang ! Est-ce qu’ils le veulent au moins ? On leur a demandé ? Non. Et nous, on a aussi nos campagnes arriérées, nos routes défoncées, nos logements à construire, c’est là qu’il faudrait investir si on veut que la France retrouve son rang.

Ça ne me semblait pas faux. J’ai bu une gorgée de thé. Depuis combien de mois je n’avais pas bu de thé ? Celui-là était parfumé. Très agréable.

- Si on veut que l’Algérie soit française, la seule solution, c’est de tuer tous les bougnoules.

En prologue du récit, une embuscade dans le djebel.

À l’issue de l’affrontement, un mort, dont la mort doit être élucidée.

L’éclaireur a regardé la forme étendue sur le bas-côté, les soldats qui l’entouraient, qui commençaient à se relever, il s’est mis à genoux, a pris la main qu’il devinait dans l’ombre, a cherché le pouls. Macache, le corps était tiède, souple, mais le torse était poisseux.

[…]

On était dans un creux, ici, ça ne pouvait pas être les rebelles. Il a évité de croiser le regard des autres, l’archouma, il s’est passé quoi, les gars ?

Jeunesse, illusions, désillusions…

Fin 1959. La guerre d’Algérie bat son plein. André Leguidel, un jeune officier, se rêve en héro. Il veut aller au combat, à l’image de son père mort en combattant les Allemands, lui a-t-on dit.

[...], j’imaginais monter à l’assaut de positions rebelles avec mes gars, analyser des cartes en disant, le doigt pointé sur un talweg, « Les fells sont là ! », accepter les missions dangereuses qu’un colonel à la mâchoire carrée et aux yeux bleus m’aurait données en sachant que moi seul, avec mes gars bien sûrs, pourrais les mener à bien.

[…]

Je me disais que ce n’était pas possible que des bougnoules puissent résister à notre armée. Il n’y avait qu’à voir la branlée qu’ils avaient prise en Égypte.

André Leguidel parle anglais, a une licence de russe, parle assez bien allemand. Il a obtenu son brevet de parachutiste, il a effectué un stage au 11e Choc, le régiment d’élite chargé de faire des actions dures pour les services secrets.

Il se retrouve en Allemagne, au centre stratégique de Fribourg.

C’était une grosse déception de ne pas être dans une unité combattante, de me retrouver dans la paperasse, à faire du contre-espionnage anti-bolchos à mille cinq cent kilomètres de l’Algérie.

Lequidel s’ennuie ferme ! Même s’il fait du sport, de la musique, suit des cours de littérature allemande…

Une rencontre avec Isabelle, la fille du général comte Gaillard de Bayons, va donner une autre suite à la vie de Leguidel.

Il voulait vivre les frissons de l’héroïsme guerrier, il va s’y frotter ! Plutôt durement ! Avec lui, nous allons partager la vie des troufions en Algérie, dont certains sont français du continent, d’autres français arabes, d’autres d’anciens membres du FLN… Nous allons être au cœur des combats, des longues marches, de la trouille… Nous allons admirer des paysages, sentir des odeurs… nous allons être révulsés par le viol des femmes…

Lorsqu’il est expédié en Algérie par le père d’Isabelle, Leguidel bénéficie d’une promotion si rapide qu’elle en est suspecte : il est maintenant lieutenant. En Algérie, il est chargé d’une mission très spéciale. Faire la preuve que Mohamed Guellab, chef de section d’un commando de chasse est resté fidèle à la France… ou qu’il est passé à l’ennemi, qu’il a tué le jeune officier qui était venu le remplacer.

S’il le faut, Leguidel doit tuer Guellab, un homme charismatique que ses hommes, Arabes ou Européens adorent.

- C’est un vrai charmeur de serpent. Ne vous laissez pas avoir, c’est un pur salopard. S’il fait mine de déserter avec sa section, votre devoir d’officier exige que vous l’arrêtiez, par tous les moyens possibles.

Leguidel est infiltré dans le commando de Guellab, sous couverture. Il est chargé d’être l’opérateur radio, de se coltiner un poste 300, aussi lourd à porter que les questions qui ne cessent de se poser, aussi lourd à trimballer que la peur au combat, que la fatigue des longues marches…

Il était pareil que d’autres, oui, sauf qu’il y avait une espèce de dinguerie inquiétant dans son attitude. Je ne savais pas trop si c’était une conséquence ou une cause, mais vouloir être le meilleur, ça l’obsédait. J’étais toujours sur mes gardes quand j’étais à côté de lui, il était violent dans sa façon d’être, de parler et même d’agir. Qu’il ait tué Maillard, un blanc-bec avec des galons d’officier venu lui prendre sa place chèrement acquise, me semblait tout à fait possible, pense Leguidel de Guellab.

Ce dernier a un proverbe préféré, qui illustre bien les conséquences de cette guerre :

L’eau renversée est difficile à remettre dans la bouteille

Guellab et Leguidel réussiront à remettre un peu d’eau dans la bouteille, faisant ainsi la preuve que les hommes de bonne volonté, même embringués dans des situations absurdes, ou monstrueuses, ou… peuvent avoir le sursaut nécessaire afin que l’humanité reprenne sa place.

La guerre, qui est une ruse, est loin d’être éradiquée.

Alors Tu dormiras quand tu seras mort, après avoir appris que tout est Hével.

 

 

 

 

 

 

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