Les amateurs de polars de la région (mais pas que…) connaissent bien Fabrice Pichon qui nous a régalés avec des romans dont l’action se passe là, tout près de chez nous, dans des lieux que nous connaissons parfaitement. Un homme crucifié contre la porte de la Citadelle de Besançon, un autre sur le fronton de la Porte Noire… C’est dans Vengeance sans visage.
Toujours à Besançon, le corps éviscéré d’une clocharde qui mettra la commissaire Marianne Bracq (un très beau personnage) sur les dents. C’est dans Le Complexe du prisme.
Un psychiatre liquidé, un flic qu’on tente d’assassiner, une documentaliste qui passe de vie à trépas… La vie de la division du SRPJ de Besançon est aussi tumultueuse que les eaux du Doubs en pleine crue. Lorsqu’un procureur obstiné leur met des bâtons dans les roues et qu’il faut travailler de concert avec la gendarmerie, parce qu’une des victimes a eu l’excellente idée de se faire liquider en banlieue dijonnaise, rien ne va plus au commissariat de la Gare d’eau. C’est dans Le Mémorial des anges.
Avec un clin d’œil à La librairie Polinoise, à Poligny.
Car en plus d’être un auteur qui sait fabriquer de belles intrigues et surtout, des personnages criants de vérité, Fabrice Pichon a cette générosité de rendre à César… sous forme d’un petit clin d’œil, ici et là.
À la libraire de Poligny, Corinne Dalloz, parce qu’elle soutient les auteurs « du cru ».
À Marianne Bracq, commissaire du SRPJ de Besançon, un personnage de ses précédents romans.
Des remerciements à Jean-Louis Poirey, le « créateur » des Éditions du Citron Bleu, qui lui a mis le pied à l’étrier, et un clin d’œil à Jean-Hugues Oppel dont la construction de Chaton la trilogie m’a inspiré pour ce roman et puisque ma dette est remboursée : pas de pitié au prochain tournoi de pétanque, je le laisserai plus gagner.
Pour ceux qui l’ignoreraient, le tournoi de pétanque, le dimanche matin, sur le parc de Granvelle est une tradition du festival des littératures noires, policières et sociales Pas serial s’abstenir. L’occasion de remercier ici Thierry Loew, le grand ordonnateur de ce festival, le 19ième du genre cette année. Autre tradition, Jean-Hugues Oppel fait toujours un petit discours humoristique très apprécié. Il y a également des rencontres possibles avec les auteurs, et des débats.
Si l’âme de Pas serial s’abstenir est noire, elle n’en demeure pas moins très belle, riche d’informations sur le monde des coulisses de la société, une âme portée par des auteurs engagés.
Fabrice Pichon en est un. Encouragé par le patron du Citron Bleu, son premier éditeur, il s’est « délocalisé » et conduit aujourd’hui ses enquêtes chez les éditions LaJouanie, qui éditent des romans policiers mais pas que…
À la lecture de PLUSDEPROBLEME.COM, les huissiers chargés de liquider les biens de familles surendettées et les juges qui ont prononcé la sentence, auront froid dans le dos. Leur vie ne sera plus la même. Ils apprendront à marcher en surveillant leurs arrières… en vain s’ils ont affaire à un homme aussi désespéré (mais pas que…) qu’est Marc Segarra. Un homme marié, père de trois enfants dont un est atteint d’une maladie grave, situation professionnelle stable, analyste de risque chez Assurances Internationales, sous CDI.
Il fréquente également une prostituée qui est amoureuse de lui, un personnage fort et attachant aussi, prostituée mais aussi « fille de… ». De qui ? Lisez le roman.
D’une façon ou d’une autre, alors que pas grand-chose en apparence ne les prédestine à se croiser, tous les personnages (et ils sont nombreux !) sont liés les uns aux autres. Et c’est très astucieux de la part de Fabrice Pichon que d’avoir réussi ce tour de force.
Marc Segarra, le personnage principal, se raconte à la première personne. Un homme à priori « normal », mais qui, acculé par la ruine qui le guette fait des choix… contestables. L’engrenage dans lequel il est pris le conduit à adopter des comportements tout à fait hors la loi et hors la morale. Ce qui ne va pas sans le perturber, tout de même, car Marc, amateur de Bowmore, un whisky avec lequel il tente de s’anesthésier, bon père de famille malgré son infidélité, est un type plutôt sympa.
Hélas, les dettes, le désespoir… et Walter ! Walter, cet autre qui l’habite et le conduit au pire.
- « Et voilà comment un tueur à gages se laisse mener par une bonne femme… je suis mort de rire. »
- En tous les cas, l’excuse a fonctionné et c’est l’essentiel… mais je te préviens Walter, plus question de dévier de mes règles.
Je percevais au fond de mon cerveau le rire sarcastique de mon hôte.
La lecture du récit de la vie de Segarra est rendue troublante à cause de la proximité qui s’installe entre cet homme bien déterminé à sortir sa famille de la déroute dans laquelle ses dettes l’ont plongée, et le lecteur. (La lectrice aussi, mais je vais vous épargner le politiquement correct lecteur/lectrice).
La pièce est sombre et basse, étouffante à l’excès. Un nuage de fumée, que la ventilation n’arrive pas à chasser, stagne sous le plafond. Les haut-parleurs diffusent Ameno. La mélodie me transperce de ses croches et ses silences sont comme une bouffée de vie qui m’enveloppe. Cet air fait vibrer chacune des fibres de mon être avec ses grandes envolées qui me font planer, laissant mon esprit embrumé voyager vers des frontières interdites.
Et des frontières interdites, l’homme qui écoute Ameno, en a franchi un certain nombre !
Dont celle qui dit « Tu ne tueras point ».
Dehors il y a ma vie, celle de façade, celle que les autres aiment voir, celle qui réconforte le foyer.
Devant moi, sur une petite table basse massive, un cendrier en cristal déborde de cendres et de mégots froids, à côté de mon ordinateur portable fermé dont j’entrevois la forme fine et rectangulaire, un lecteur MP3 distille mes playlist sur les baffles.
Et enfin là, sous mes yeux, sur le rebord de table, l’ami fidèle. La lumière de la lampe est juste assez forte pour me laisser l’apercevoir. Une amitié virile et indéfectible. Mais les choses n’ont pas été simples entre nous deux.
Enfin, au départ.
Au fond de mon antre, il y a une espèce d’ombre que je distingue à peine. Je ne l’avais jamais remarquée jusqu’à présent. Elle semble se fondre dans les rayures grises du béton brut.
Une ombre ? L’ombre de qui ou de quoi ? Un nouveau délire de cet homme habité par un autre lui-même maléfique, sans scrupule et cynique, prénommé Walter ?
La réponse est, comme il se doit, à la fin du roman. Entre temps notre homme et son double ont liquidé des hommes et des femmes et ont été embarqués dans une dérive mortelle.
Et le lecteur aussi est embarqué dans une intrique aux multiples rebondissements, une intrigue à la croisée d’autres intrigues, une intrigue qui ressemble à une immense toile d’araignée avec en son centre Fabrice Pichon, Marc Segarra et Walter, ce double diabolique dont on ne sait plus trop de qui il est le double.
Car Fabrice Pichon est aussi affable, bienveillant que Marc Segarra… avant que les huissiers, le juge du surendettement ne s’acoquinent pour le mettre, lui et sa famille, sur la paille. Il s’agit de Marc Segarra, bien entendu ! Fabrice Pichon n’est que son porte-parole.
Une toile d’araignée, donc. Dans laquelle on trouve, à la croisée des nombreux fils, un site internet, PLUSDEPROBLEME.COM.
Le regard dans le vague fixant un point imaginaire, je lançais ma première phrase d’une voix mal assurée :
- J’ai trouvé le moyen de me sortir de mes soucis
- C’est une bonne nouvelle, s’enthousiasma Sylvie. En tous les cas, c’est bon quand tu vas bien.
...
- Ce n’est pas si simple. Mais je ne peux en parler à personne. Ce que je veux mettre sur pied est comment dire
Je cherchais le mot juste mais ma maîtresse avait un dictionnaire des synonymes greffé dans le cerveau. D’une voix guillerette elle me lança :
- Spécial ? Pas habituel ? Illégal ? Dangereux ?
Je secouai la tâte.
- Tout cela à la fois.
- Tu ne fais pas dans la demi-mesure.
...
- Peur de quoi ? minauda-t-elle. Je viens de réaliser que je suis amoureuse d’un tueur potentiel. Pourquoi avoir peur ?
Il ne reste plus qu’à trouver les clients désireux de se débarrasser de leur « problème », moyennant une grosse somme d’argent qui permettra à Marc de dédommager ses créanciers et de reprendre, croit-il, une vie ordinaire.
Aux croisements de la toile d’araignée, un site internet, mais pas que…
Dans l’éventail des femmes qui jouent dans cette partie endiablée qu’est l’enquête aux multiples facettes dans laquelle Fabrice Pichon nage comme un poisson dans l’eau, une inspectrice de Police lesbienne (on s’en fiche qu’elle le soit mais la nature des relations qu’elle va nouer avec… je ne dirais pas qui, a son importance pour la suite), Marie Salvan. Courageuse, intuitive et tenace. Et son équipe. Marthelot, Ferrer, Purson, Kocijancik, dit Grand Fil…
La policière referma les deux dossiers, posa les coudes sur son bureau, croisa les mains et fixa du regard une affiche derrière Purson qui mettait en exergue les dangers de la drogue. Son esprit commença à réunir les pièces du puzzle qui s’offrait à elle, puis elle se leva et commença à jeter ses idées sur un tableau effaçable derrière elle.
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Balanescu, dit La Baleine, un épouvantable mafieux Roumain, à la tête d’un réseau de prostitution.
La Baleine savait utiliser cette Europe qu’il avait tant détestée : la loi suisse accordait aux seuls citoyens de l’Union européenne le droit d’exercer ce métier. Lorsque les autorités s’étaient montrées moins accommodantes avec les filles de l’Est, seules les Roumaines avaient pu poursuivre leur activité.
...
Après ce bref séjour helvétique, un autocar les avait ensuite transportées en France.
Dans son transfert de marchandise, parce que chaque nouvelle fille n’était que de la viande aux yeux du trafiquant, le point le plus sensible était le dernier arrêt.
Le luxe qu’elles avaient touché du bout des doigts pendant quelques jours ressemblait soudainement à un mirage dans le désert saharien. Au confort des hôtels qui les avaient accueillies succéda le dénuement sordide d’un bâtiment industriel.
…
Le dernier lot était prometteur. Le parc de femelles laborieuses serait renouvelé dans quelques semaines. De nouveaux prénoms seraient apposés à la vue des automobilistes.
De nouvelles villes seraient conquises, le réseau du Roumain se répandait inexorablement à travers le pays.
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Du sexe. Celui du viol.
L’assaut est violent. Sans ménagement, le sexe dur de l’homme vient de la pénétrer.
La douleur est si vive que Sylvie a retrouvé tous ses esprits. Elle le regretterait presque.
Elle sent le déchirement au plus profond d’elle-même. La verge a forcé les lèvres à s’ouvrir sans ménagement, déchirant sur son passage les résistances qu’elle rencontrait. Les coups de rein qu’elle reçoit sont autant de coups de béliers sur une porte qui va céder. Son sexe la brûle, le va-et-vient dans son vagin est une torture. L’homme pousse des râles qui accompagnent ses pénétrations.
Celui entre deux femmes.
Il n’y a pas de performance, seulement une recherche de plaisir partagé. Elles connaissent leurs corps, elles en savent la moindre fibre, la moindre zone. Elles savent où chercher mais surtout elles savent ce qu’elles vont y trouver. C’est ce que ne comprennent pas les mâles qu’elles ont croisés. Toujours à la recherche de l’exploit. Mais quel exploit ? Celui qui consiste à rejoindre à l’unisson les bulles dorées du plaisir ou celui qui se résume à retenir une éjaculation le plus longtemps possible en poussant un râle d’orgasme ?
Les deux corps se frottent l’un à l’autre, alors que les mains descendent de plus en plus bas. Elles se frôlent. Parfois, au milieu d’un frisson, elles s’arrêtent, se regardent puis s’embrassent à pleine bouche. La chaleur qui les possède fait s’arrêter le temps.
Comme une fleur qui cherche à boire la rosée du matin, leurs corolles s’ouvrent lentement, humide et chaude. Un léger liquide sucré s’en échappe.
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Des morts. Un juge, et d’autres morts. À la pelle !
Le légiste venait de débouler avec la scientifique et le procureur n’allait pas tarder à pointer le bout de son nez.
Le crissement des pneus sur la résine teintée annonça l’arrivée de la commissaire.
- Alors ? interrogea-t-elle en s’approchant de son subordonné.
- Un couple dans la voiture là-bas, désigna-t-il d’un mouvement de menton. Une balle dans la tête chacun.
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