« Quand Margot dégrafait sa soutane… »

Élu local et régional, Pierre Grosset est aussi comédien amateur. A Digna, dans le Sud-Revermont, il interprète encore trois soirs Cette année-là, un texte qu'il a écrit sur l'entrée en sixième d'un garçon de 10 ans dans un collège religieux de Normandie en 1963... Un sacré souffle et une nécessaire colère mise à distance par l'humour et les années.

gp2

Dans le Jura, on connaît Pierre Grosset comme l'éducateur qui fonda en 1979 l'Association de lutte contre le gaspillage, à Poligny. Puis la SCOP Juratri, à Perrigny, une entreprise d'insertion spécialisée dans le recyclage des déchets, devenue depuis le Groupe coopératif Demain. Ceux qui suivent la politique franc-comtoise savent qu'il est conseiller régional de la majorité de centre-gauche. Il est aussi conseiller municipal de Montmorrot et vice-président d'ELCA, la communauté d'agglomération de Lons-le-Saunier...

Pierre Grosset pourrait être un notable comme tant d'autres. C'est surtout un homme qui se mouille. Lors de la dernière mandature du Conseil régional de Franche-Comté, il fut le premier élu du groupe socialiste à ne pas voter les crédits pour le projet de Center Parcs auquel il voue aujourd'hui une hostilité assumée.

Un bric-à-brac un peu foutraque

A 65 ans, le voilà qui met à nu, dans un spectacle solo intimiste et troublant, une faille de l'enfance. Il en a écrit le texte dans une cabane de pêcheur avec vue sur la baie du Mont Saint-Michel prêtée par des amis. Un endroit tranquille de sa Normandie natale où il a pu prendre le temps, du recul, de l'énergie... C'est là qu'il fréquenta Cette année-làTitre du spectacle... et d'une chanson de Claude François les bancs du collège religieux où les inconduites de certains bons pères se sont incrustées dans sa mémoire.

Cette année-là se joue à Digna, entre Lons et Saint-Amour, dans la grange prêtée par un jeune couple où Pierre Grosset a répété tout l'hiver. Le public la découvre transformée en salle de classe tenant lieu de bric-à-brac un peu foutraque. Le comédien, à moins que ce ne soit le personnage - Eugène Lenfant - explique qu'il va sortir, puis rentrer, et qu'il faudra alors se lever... Comme pour une leçon. Une leçon d'histoire, portant sur l'année 1963, celle de ses 10 ans... Cette année-là donc, l'Arabie Saoudite abolit l'esclavage, JF Kennedy est assassiné, Pompidou est Premier ministre, Cocteau et Piaf meurent...

Le professeur se met à chanter, danser sur Milord... Il se ressaisit, revient à son cours : cette année-là, « une loi instaure la cour de sûreté de l'État, les missiles nucléaires sont déployés sur le plateau d'Albion, le parc national de la Vanoise est créé... Et je rentre en sixième... » Il décrit la sociologie du lieu : « ça se fritait entre les Ploucs et les Parigots, les externes et les internes... Moi, j'étais externe interné : mon père était prof de physique... »

« C'est comme ça que tout a commencé... »

Il y a les jeudis après-midi, le foot avec le père Ralph, les louveteaux où « je sais pas pourquoi, les filles du maire sont toujours les cheftaines... On fait des tournois de foot contre l'abbaye de Montebourg... » Digression : rien à voir avec qui vous savez. Rires... A la fin du match, douches collectives... « Ralph m'a aidé à m'essuyer, c'est comme ça que tout a commencé... »

Eugène Lenfant revient à son cours. A 1963, année du fameux I have a dream de Martin-Luther King, de la condamnation à la prison à vie de Nelson Mandela, du traité de non prolifération des armes atomiques... « Et de tout ça, l'Église ne parle pas ! Jean XXIII écrit son encyclique Pacem in terris... C'est bien connu que tous les catholiques parlent latin... » Eugène Lenfant, lui, le chante, entonne Veni creator en mimant l'évêque venu présider la confirmation...

Il y avait aussi le père Martin - prononcé à l'anglaise - qui « frottait l'aube pour qu'il n'y ait pas de pli... » « C'était un prêtre, c'était un professeur, et mes parents avaient confiance... Moi, Eugène Lenfant, j'avais 10 ans, et de tout cela, on ne parlait pas... » Le cours continue. « 1963, c'est aussi les avions Mirage 4, les magnétophones à cassettes, la souris d'ordinateur, les 35 jours de grève des mineurs, la dernière exécution publique... Les maisons de la culture, la Maison de la Radio, la deuxième chaine de télé, les Beatles reçus par la reine d'Angleterre, la même que maintenant... »

« Les pardons ne suffisent pas »

On ne va pas ici raconter l'heure et demi de ce qu'il faut bien appeler une « performance ». Le mot est de Patrice Jouffroy, du Théâtre Group', qui lui a donné quelques conseils : choix du lieu, scénographie, suivi du personnage afin qu'il « ne soit pas trop dans le pathos ». Jouffroy connait bien Grosset qui fréquente depuis plusieurs années ses ateliers de théâtre amateur. D'emblée, il a été sensible à la force du texte. « Il y a encore des grenades dégoupillées dans les jardins », euphémise-t-il. 

Le solo de Pierre Grosset, également conseillé par le comédien Charles Bulle, est étonnant de justesse et de force. Il tient en haleine, alterne détente et gravité, joue finement de la dialectique entre deux registres, celui du vieux prof érudit et celui de l'enfance qui refait surface. Rythmé de petites blagues, parfois oiseuses, parfois franchement drôles, il est émaillé de chansons populaires détournées, de Brassens : « Quand Margot dégrafait sa soutane... » à Sardou : « Quand j'étais petit garçon, je récitais mes leçons... en pleurant ».

Très ému, Pierre Grosset salue un public de connaissances et lâche : « c'était pas facile... »

Un instant plus tard, il a quitté son costume de scène, passé un jean et une chemisette à carreaux, et vient trinquer avec les spectateurs qui sont restés. « Je me change aussi quand je reviens d'une inauguration... Être élu, c'est aussi être en représentation... » A-t-il des comptes à régler avec l'Eglise ? Sans doute car « les pardons ne suffisent pas ».

Cette année-là est-elle autobiographique ? « Eugène Lenfant m'a tout soufflé », sourit Pierre Grosset.

Soufflé, le spectateur l'est aussi...

 

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !