Quand les glaciers vêlent des icebergs

Le Parallèle de l’Ours est le premier livre d'Aurore Mamet. Infirmière vivant dans le Haut-Doubs, elle a écrit un époustouflant récit de voyage dans le Grand Nord, dans les îles du Spizberg et leur jour permanent.

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À la suite de Jane Dieulafoy, d’Alexandra David Néel, d’Ella Maillart, pour ne citer qu’elles, Aurore Mamet.

Une Franc-Comtoise, une femme de notre temps. Elle signe son premier livre, un récit de voyage passionnant, aux éditions Coxigrue. Le parallèle de l’Ours est le récit d’un voyage, il est plus que cela. C’est un plaidoyer pour la sauvegarde du monde, de sa nature, de ses animaux. C’est un livre qui parle de courage, d’endurance, de ténacité.

C’est un livre qui parle de solidarité, où, comment l’un doit veiller sur l’autre, dans des conditions extrêmes (pagayer dans la tempête), mais aussi protéger son coéquipier dans des moments du quotidien, quand il doit satisfaire ses besoins naturels par exemple. L’ours n’est pas loin. Si nous ne le voyons pas, il est omniprésent tout au long du récit. Il va même saccager le campement, alors que nos explorateurs… explorent.

Aurore Mamet, l'esprit du froid et de l'aventure
Aurore Mamet est des Fins, à côté de Morteau. Elle et sa famille sont solidement enracinés dans leur terroir. Un de ses aïeux a été de ceux qui ont participé à fixer les caractéristiques de nos magnifiques vaches, et à en favoriser l’homologation : la race des montbéliardes.

Explorent quoi ?

Le Spitzberg. La dernière ile avant le Pôle Nord, dont la capitale Longyearbyen, est à peine moins grande que Mouthe.

L’ours qui est chez lui, rode...

Pendant 20 jours, Aurore Mamet nous embarque avec elle, dans un voyage pas toujours facile. Le jour est permanent. Il fait froid. Très froid. La pluie se met souvent de la partie. Les conditions de vie dans les campements sont rudes, et plus que rudes. La nourriture est lyophilisée. L’ours qui est chez lui rôde. Il représente un véritable danger, aussi le guide est-il armé d’un fusil. La nuit, des tours de garde sont organisés, et le veilleur porte autour du cou, un mini pistolet à pétard à fumée. Et pas question de s’isoler pour faire ses besoins sans avoir prévenu un de ses coéquipiers.

Jour 14, cela vire même au cauchemar.

L’océan ne veut pas de nous et nous le fait savoir. … Elles (les vagues) sont énormes, rapides, l’eau cogne la coque avec brutalité. … Les heures s’égrènent. C’est un ring plutôt qu’une mer, c’est un rodéo plutôt qu’un kayak, c’est un soldat au front plutôt qu’une voyageuse.

Je pagaye furieusement, les jambes tendues contre la pédale du gouvernail. … Trop tard, la vague déferle et nous submerge, nous repousse. Je sens le choc dans mes reins.

Mes doigts sont ridés d’être ainsi détrempés, mes yeux larmoient, attaqués par le sel et vaincus par ma main à vif ; mes muscles pagaient tout seul ; mon cortex est en berne, laissant au cerveau reptilien le soin de contrôler la situation.

Jusqu’aux oiseaux qui s’y mettent !

Des sternes furieuses volent en piqué au dessus de nos têtes et nous menacent de grands coups de bec, à quelques centimètres à peine de nos cuirs chevelus. Je rabats instantanément ma capuche. Le guide brandit le fusil à ours au dessus de lui…

« végétation rase, mousses, lichens… cent-soixante-quatre espèces de fleurs »

Alors, me direz-vous, pourquoi, et pour quoi s’infliger pareil supplice ? Ou, pour paraphraser Géronte, dans Les fourberies de Scapin : Que Diable allait-elle faire dans cette galère ?

La réponse, ou plutôt les réponses dans ce récit.

Je suis stupéfiée par le nombre de fleurs minuscules qui ornent le sol. La toundra est constituée de végétation rase, de mousses, de lichens, … de cent-soixante-quatre espèces de fleurs.

Devant nous, disparaissant dans le brouillard, s’élève un glacier immense. Sa surface d’un blanc beige est crevassée de toute part, c’est sur une force colossale et torturée que nous avons posé les pieds.

Je ne sais plus quelle heure il est, il n’y a plus d’heure dans ce royaume du jour permanent.

… rejoindre l’oiseau posé sur l’onde, approcher ce bel iceberg blanc, slalomer entre les glaçons en inventant un rallye polaire. Quelle jubilation ! Voilà précisément ce qui m’a fait venir : soixante-dix-huit degré nord, une latitude de fou.

Un grondement se fait entendre sur notre gauche, le glacier crie : à peine le temps de tourner la tête, nous voyons un pan de glace vertical craquer comme un coup de foudre, et, presque au ralenti, se détacher pour sombre dans l’eau dans une dernière gerbe majestueuse. C’est un beau spectacle, mais c’est le glacier qui meurt.

Ce sont aussi des glaciers qui vêlent des icebergs. Que l’image est belle !

« Le vent catabatique, qui sent la glace et gèle les narines »

Le récit en fourmille d’autres, toutes aussi belles. Partant à leur recherche, le lecteur fera un voyage dans le voyage.

C’est le pays de l’éternel hiver, depuis toujours ma saison préférée, et il rayonne de vie.

Pouvoir approcher ainsi de la faune sauvage et non des faisans d’élevage nous fait remonter à L’Eden originel où chacun vivait en paix.

Notre campement est très près du glacier. Le vent se fait durement sentir mais l’air est plus sec. C’est le vent catabatique, qui sent la glace et gèle les narines.

C’est un mirage plutôt qu’un paysage, des aplats de couleurs tracés à la hâte par un large pinceau. …

Un glacier cache des milliers d’années sous sa glace, et lorsque soudain un déplacement infime de sa gigantesque masse provoque la chute d’une de ses tours, c’est comme si on arrachait une poignée de pages à un livre d’histoire.

« Phoques de midi, rennes de minuit, merci »

Je n’ai jamais compris cette obstination humaine à se démarquer du reste du règne animal. Ils ont un cœur qui bat, comme moi, un système nerveux, comme moi, une vie sociale, des petits à éduquer, des besoins, des envies, des buts à atteindre, comme moi.

S’il existe vraiment un « propre de l’homme », il existe forcément un « propre du renne », un « propre du labbe parasite » et sans doute aussi un « propre du vermisseau ».

Phoques de midi, rennes de minuit, merci.

Près d’un œuf cassé, un coussin de silènes roses a orienté toutes ses fleurs dans la même direction. Je garde cette étrangeté dans un coin de ma tête. Il faudra attendre la visite au musée de Longyearbyen pour que l’explication donne la réponse à notre interrogation : mieux que le soleil, ces fleurs servent de boussole ! Elles indiquent le sud, la promesse de chaleur, la lumière.

Merveilleuse ile que celle du Spitzberg, dans laquelle les glaciers vêlent des icebergs, et où les fleurs servent de boussole !

Le labbe Fredo, l'oiseau malin...

Et je ne peux pas faire l’impasse sur Fredo. L’oiseau malin qui fait plusieurs apparitions au fil du récit.

Un labbe, oiseau aux douces nuances de gris et de beige, s’approche effrontément. Il penche un peu la tête et on voit aux changements de reflets dans ses yeux qu’il observe surtout nos mains. …
Il ne faut pas nourrir les animaux sauvages, n’importe quel randonneur le sait. Mais la tentation est trop forte devant ce «business bird» qui a tout compris de son écosystème.

Il méritait bien ses quelques miettes et un nom, Fredo !

Imperturbable, Fredo, sur pied dès notre réveil, est toujours perché sur le caillou rond devant le tipi…

Nous arrivons au camp avant le bateau. …

Une belle surprise nous attend pourtant : Fredo est de retour pour nous souhaiter bon voyage ! Il se tient debout comme dans notre souvenir, sur le rocher…

Voilà, lectrice, lecteur, un petit aperçu du talent d’Aurore Mamet. Dans Le parallèle de l’Ours, bien d’autres anecdotes, bien d’autres belles images, bien d’autres rencontres magnifiques. Je pense à celles avec les rennes, dont celui de la photo de couverture. Il ressemble à une sorte de totem, ou à un chaman en transe.

Avec Aurore, nous allons jusqu’au bout du voyage, jusqu’au retour « à la civilisation », retour aussi difficile pour le lecteur, qu’il l’a été pour elle.

Vivement qu’elle reparte, et nous embarque avec elle !

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