La réponse de la préfète de la région Bourgogne-Franche-Comté aux vingt et un chercheurs du laboratoire de Chrono-Environnement de l'Université de Franche-Comté qui l'avaient saisie le 21 juin pour que l'État mette fin à l'usage immodéré du casse-cailloux sur des pâturages de montagne, est désespérante. Datée du 29 septembre, elle signe le renoncement de l'administration à faire respecter les engagements maintes fois répétés de protection des milieux naturels et de la biodiversité.
Les scientifiques avaient demandé « que puisse être mis un terme sans équivoque à ces pratiques qui transforment irrémédiablement la montagne jurassienne en détruisant des milieux d’une grande richesse biologique, en favorisant la pollution des cours d’eau et en artificialisant un patrimoine paysager qui fait la réputation de notre région ». Christiane Barret leur répond qu' « aucune infraction n'a pu être relevée, y compris en site Natura 2000 ».
Vous avez dit autonomie fourragère !
C'est même un pied de nez qui leur est fait quand sa lettre explique que le développement du casse-cailloux « répond à une problématique de mécanisation et d'accroissement de l'autonomie fourragère des exploitations agricoles, notamment dans les zones ouvertes par l'IGP comté ». Vous avez bien lu, chers lecteurs, IGP comté. Alors que le fromage emblématique de la montagne jurassienne dispose d'une AOP ou appellation d'origine protégée, bien plus exigeante que l'IGP ou indication géographique protégée.
La filière comté appréciera d'être reléguée dans la seconde division des signes de qualité, mais passons. Quant à l'autonomie fourragère, c'est une bonne blague de l'invoquer quand on sait que l'arrachage de haies ou l'arasement d'affleurements rocheux ne permet pas d'augmenter la récolte, mais de l'effectuer plus vite en évitant des manœuvres ou de diminuer le risque de casse des engins de fauche. Le défrichement de pré-bois est plus légitime, mais ne doit pas faire oublier qu'il s'agit aussi d'intégrer quelques surfaces de prairies supplémentaires, notamment des communaux, dans le calcul de la prime à l'herbe...
Légèreté du raisonnement juridique
Car il y a plus consternant encore sous la plume de la représentante de l'Etat. Notre enquête initiale avait signalé le 15 juin (lire ici) l'incertitude juridique entourant les protections. La préfète affirme que les espaces passés au casse-cailloux ne sont pas juridiquement protégés, tout en admettant que « les effets sont indéniablement très marquants sur les paysages et les milieux naturels ». Et ajoute qu'en l'absence « d'élément intentionnel », une procédure judiciaire ne peut pas être déclenchée !
Quoi qu'il en soit, si l'on suit le raisonnement de la préfecture, une atteinte au milieu est constatée, mais les agresseurs ne l'ayant pas fait exprès car n'ayant pas conscience de leur faute, on ne peut rien faire. On notera au passage que cette position est juridiquement fausse car une plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction ouvre de fait une instruction. Ceci étant, cette position révèle plutôt une volonté de ne pas affronter une profession agricole dont les arguments roulent parfois des mécaniques.
Circulez, y'a rien à voir...
Ajoutant que ses services « resteront vigilants », la préfète conclut curieusement par une annonce contredisant ses propos initiaux : « dans l'hypothèse où il n'aurait pas été possible avant la réalisation de travaux d'obtenir une adaptation du projet pour qu'il ne porte pas atteinte à des espèces ou des milieux remarquables, les actions de police administrative ou judiciaire, ces dernières relevant de la responsabilité du Parquet, seront engagées ».
Autrement dit : il n'y a pas d'infraction, aucune poursuite n'est possible car il n'y a pas d'intention délictueuse, mais il y aura des poursuites à l'avenir si des projets portent atteinte à l'environnement ! Bref, circulez, y'a rien à voir. Les scientifiques seront tout au plus « associés en des temps adaptés en vue d'apporter [leur] expertise dans le cadre des échanges avec la profession agricole ».
Le CIGC propose un « autre regard »
La position de la présidente du Conseil régional, Marie-Guite Dufay, sollicitée par des associations de protection de l'environnement, est plus constructive. « Elle nous a écrit que le casse-cailloux est un problème tout en indiquant qu'il faut considérer les contraintes des agriculteurs », indique Guy Pourchet, de l'association Murs et murgers. Mme Dufay espère que la problématique sera prise en compte dans la prochaine rédaction du cahier des charges de l'AOP comté.
Perspective transmise à Claude Vermot-Desroches, président du CIGC, que cela fait sourire : « C'est très bien, mais on ne l'a pas prévu. Pourquoi pas ? On peut y réfléchir. On est en travaux ». Souvent en situation d'équilibriste entre les éleveurs intensifs qui veulent toujours produire plus et les paysans raisonnables, M Vermot-Desroches consacre son prochain éditorial des Nouvelles du comté, le trimestriel de la filière, au sujet : « Dieu sait si je hurle contre les paysans faisant mal leur boulot, mais je propose un autre regard, qui reste ouvert et prend du recul. Il faut comparer les hectares urbanisés et la friche : on perd plus de 1000 hectares, la forêt avance... Face à ça, le travail ne se fait plus à la main, mais à la machine. Les murgers, c'est bien beau, mais c'était à l'époque une atteinte à l'environnement. Mais le matériel qui bouscule tout m'affecte, je suis contre l'abus du casse-cailloux. Il y a les postures et la réalité, je suis pour une approche scientifique... »
« Travailler à long terme sur la règlementation,
à court terme pour limiter les dégâts»
Cette approche est justement celle sur laquelle comptent les associations
« Notre idée est de réunir les gens car ces questions ont de l'écho, puis de constituer un collectif travaillant à long terme sur la règlementation, et à court terme pour limiter les dégâts de la folie », explique Guy Pourchet. « Notre objectif est de nous regrouper pour peser dans les discussions ». Ancien syndicaliste enseignant, il sait ce que mobiliser veut dire.
Une anecdote l'a convaincu de la difficulté de la tâche : « On refaisait un secteur de murgers à Laval-le-Prieuré et on expliquait au paysan. Mais un jour, le maire nous alerte car une pelleteuse démontait le mur qui était juste en dessous... Le garde de l'ONCFS a identifié des espèces protégées dans son mur et lui a dit : arrêtez d'enlever les pierres ou je vous mets un PV... »