On revient à Pas Sérial s'abstenir. Les lecteurs comme les auteurs. Lire et parler, ce n'est pas la même chose, mais on aime souvent parler de ce qu'on lit, de ce qu'on va lire. En entendre parler par ceux qui l'ont écrit. Certes, un auteur ça se lit. Mais ça sait aussi parler. Pour présenter ses écrits, voire les défendre, un peu les vendre. Pas Sérial sert à cela, mais le côté artisanal de l'affaire fait que ce n'est pas l'essentiel. L'essentiel est dans la rencontre, l'échange de mots et d'idées, de souvenirs, d'émotions. Écoutons.
Serge Scotto
C'est le maître et le traducteur du chien Saucisse qui a maintenant 14 ans. Ses deux derniers livres Saucisse face à la crise et Saucisse is watching you sont déjà tout un programme. «C'est la société des hommes vue par un chien. Depuis La Fontaine, pour mordre les puissants, rien de vaut de faire parler les animaux...» Il y a évidemment une référence au Big Brother de 1984 de Georges Orwell dans Saucisse is watching you : «Saucisse surveille... On est dans une société où l'on est de plus en plus surveillé. C'est le trait marquant du début de siècle, l'hypersurveillance, les réseaux sociaux, les satellites...»
Maurice Gouiran
Comme Serge Scotto, il est Marseillais et lui aussi est déjà venu à Besançon : à Pas Sérial et aux Mots Doux. «J'ai écrit 22 bouquins depuis 2000... Mon personnage récurrent est un bistrot de l'Estaque... Certains partent loin, Rome, New York... La Mort du scorpion fait référence aux Scorpions, une unité paramilitaire sous les ordres de Milosevic qui s'est illustrée en Bosnie. J'utilise le polar pour mettre le projecteur sur un tabou caché. Là, c'est un gars revenu vers Marseille, devenu peintre pour oublier son passé, qu'on retrouve carbonisé...» Cela renvoie à la sale guerre de la purification ethnique : «cela parle aussi des réseaux mafieux, notamment dans la peinture. En Bosnie, ils étaient pourvoyeurs d'armes, avaient récupéré des oeuvres dans la bibliothèque de Sarajevo incendiée... C'est une période peu glorieuse pour les gens qui nous gouvernent... Marseille a connu 17 vagues d'immigration en 150 ans, le polar est un excellent moyen pour parler des problématiques d'intégration, des racines, du gros travail fait pour devenir marseillais...»
Sophie Loubière
«J'écris beaucoup sur la résilience, ça me parle. Ce qui ne nous tue pas rend plus fort... C'est ce qu'on retrouve dans Black coffee : c'est le télescopage entre un ex journaliste prix Pulitzer devenu conférencier, déraciné après le décès de son père, qui quitte Chicago pour aller à ses obsèques, et une Française... Ce qui m'a intéressée, c'est qu'ils mettent en commun leurs douleurs, leurs sensibilités, leurs quêtes de vérité... J'explore les sujets qui me touchent, j'ai l'ambition de laisser une oeuvre littéraire, j'écris un livre en un an ou deux. Je respecte la réalité pour aller vers la fiction : ce qu'on peut imaginer à partir du réel...»
Auteur de L'enfant aux cailloux, elle participe ce dimanche 28 avril à un débat sur l'enfance maltraitée. Elle est sensible aux «difficultés qu'on a à alerter les services sociaux d'un éventuel cas d'un enfant en souffrance. Je suis révoltée que des gens défilent contre le mariage de deux hommes ou de deux femmes alors que des femmes pondent des enfants qui vont aussitôt être placés car elles n'ont aucune notion du fait d'être mère, alors que des hommes reproduisent des schémas parentaux violents et méprisants...» La solution est-elle judiciaire à ses yeux ? «Non, c'est plutôt l'éducation, la prévention... Les jeunes ont une image de la télé-réalité où les hommes sont bodybuildés et les femmes siliconées, ça donne l'impression que l'idéal est d'être une bimbo et d'avoir un bébé ! Il faudrait apprendre à l'école ce qu'est être parent ! Une maman ne devrait pas aller en boîte... Je n'attends qu'une chose : rencontrer un député pour créer une brochure à distribuer par la sécu, les services sociaux, l'école : que feras-tu quand tu seras papa ou maman ?»
André Fortin
Comment passe-t-on de la magistrature à l'écriture ?
J'ai été juge d'instruction, juge des enfants, jugé des référés, été premier vice-président de tribunal, à la cour d'appel... Juge d'instruction et juge des enfants m'ont apporté une vision de la société, de la délinquance, des causes de la délinquance, des causes sociologiques... Cela m'a enrichi, j'ai enseigné en criminologie, j'ai eu le projet d'écrire un essai critique sur la justice, mais je me suis dit que ce serait seulement lu par des spécialistes et ça ne m'intéressait pas, je voulais toucher les gens, d'où le polar avec des situations sociales, criminelles, quelques petits signes de ma conception...
Votre expérience en est donc la matière et le terreau...
Oui, et aussi en confrontant à mon expérience le libre arbitre...
Existe-t-il vraiment ?
C'est une discussion sans fin. Il y a toujours une part de liberté et de la destinée de l'homme. Mais ce n'est pas parce que l'individu est conditionné que la justice ne doit pas passer. Elle est pour la société des hommes, mais le problème est : quelles condamnations ? Un groupe d'architectes travaillait sur les prisons. Ils m'ont consulté en me disant que la tendance était d'en construire à l'extérieur des villes. Je suis opposé aux prisons cachées. L'image d'une prison est plus importante pour ceux qui sont dehors que pour ceux qui sont dedans et dont on sait qu'elle n'est pas une solution.
Que pensez-vous du projet de Pierre Bottom que porte Hélène Pélissard à Saint-Julien sur Suran (Jura) ?
C'est intéressant. Il faut revoir les projets qu'on avait à la Libération, les résistants avaient souvent été enfermés... Ils ont imaginé la prison plus généreuse que ce qu'elle est devenue. Aujourd'hui, elle sert seulement à écarter les gens...
Danièle Secrétant
Bisontine, elle a écrit avec sa fille Les Hommes des sous-bois, le premier polar solidaire d'une trilogie qui la fera quitter les rives du Doubs pour aller à Paris pour le second. Les Hommes des sous-bois nous font penser à une société invisible mais bien réelle. Celle qui s'organise tant bien que mal dans les recoins des centres de réadaptation où les éducateurs prennent parfois des risques pour leur propre peau. On sent à la lecture que Danièle Secrétant tire son récit d'un vécu professionnel et d'un engagement ayant rendu son regard d'une acuité qui n'a d'égale que son humanité. Les hommes des sous-bois existent, ils plantent des tentes au bord des routes, à peine cachés par la glissière de sécurité, ou au pied d'une falaise où l'on accède par un sentier à peine tracé. Ils ont leurs règles, celles de la survie, leur hiérarchie, leurs anges et leurs salauds.