Nous connaissons Courbet comme initiateur d’un nouveau courant artistique en peinture, le naturalisme. Nous le connaissons moins comme défenseur des arts au service du peuple. Après la défaite de Napoléon III à Sedan contre les Prussiens et deux jours après la proclamation de la République le 4 septembre 1870, alors que les Prussiens cernent Paris, les artistes créent une commission des Beaux-Arts qui n’a rien d’officiel mais dont Courbet est le président. Elle siège au Louvre et est responsable des musées de Paris que Courbet s’applique à sauvegarder. Il est connu par ses pairs comme ennemi du gouvernement de Napoléon III et pour avoir refusé le 2 janvier 1870 la Légion d’honneur, ce qui avait fait grand bruit.
Dès le 14 septembre1870 il est porteur d’une pétition au gouvernement de Défense nationale demandant l’autorisation de « déboulonner » la colonne Vendôme et non de l’abattre en chargeant de ce soin l’administration du musée d’artillerie et en faisant transporter les matériaux à l’hôtel de la monnaie. Elle est le symbole du militarisme, des guerres, des bonapartistes, du despotisme impérial. Elle est collectivement haïe des républicains ; cette demande restera lettre morte.
Alors que l’armistice avec les Prussiens est signé le 28 janvier 1871 et qu’ils ont largement bombardé Paris, la Commune est proclamée le 28 mars 1871. Elle publiera son programme le 27 avril. Mais Gustave Courbet, aidé d’un sculpteur et d’un dessinateur, constitue dès le 13 avril 1871 la Fédération des Artistes qui adopte un programme révolutionnaire : la culture doit être indépendante du pouvoir, elle doit être accessible à tous, elle ne doit pas être une marchandise. Courbet en est le président. « La libre expansion de l’art doit être dégagée de toute tutelle gouvernementale et de tous privilèges ».
Les bibliothèques et les musées sont tous rouverts, dès le 24 avril pour la Bibliothèque nationale, et les prêts des ouvrages sont interdits : « les privilégiés sous l’empire se taillaient leurs bibliothèques dans les Bibliothèques nationales en empruntant des livres qu’ils ne rendaient que rarement ». Courbet est chargé de la réouverture des musées parisiens : « il faut rétablir dans le plus bref délai les musées de la Ville de Paris dans leur état normal et y organiser des cours d’éducation populaire sur l’art ».
Le Luxembourg est ouvert au public le 15 mai, le Louvre le 16 mai, les cours au Muséum d’histoire naturelle avaient repris dès le 9 mai. On peut citer à ce propos Louise Michel : « Partout les cours étaient ouverts répondant à l’ardeur de la jeunesse. On y voulait tout à la fois, arts, sciences, littérature, découvertes, la vie flamboyait. On avait hâte de s’échapper du vieux monde ». Les théâtres deviennent des établissements d’instruction. Ils cessent d’être subventionnés et les sociétés commerciales laissent place à des « associations ». On retrouve là l’idée de « l’association des travailleurs », sorte d’autogestion préconisée aussi pour de nombreux ateliers.
L’exposition montre, grâce à une estampe d’Honoré Daumier, le Michel-Ange de la caricature, que le peuple part en armes défendre la République qui le trahira. Thiers chef de l’État et de gouvernement élu le 17 février 1871 par l’Assemblée nationale, et assassin des communards, est caricaturé par André Gill. Le siège de Paris organisé par les Prussiens est représenté en particulier par deux documents d’Auguste Charpentier qui montrent que rats et harengs pouvaient constituer des mets de choix quand les Parisiens meurent de faim.
Ce sont deux lithographies d’André Gill, encore lui, qui permettent de comprendre la provocation organisée par Thiers pour récupérer les canons de Montmartre payés par souscription populaire. La répression de la semaine sanglante voulue par Thiers est représentée dans un tableau particulièrement émouvant d’Ernest Pichio ; il peint une veuve montrant à ses deux enfants le mur où a été fusillé leur père innocent.
Dans l’exposition d’Ornans, on prend plaisir également à découvrir les œuvres de ces artistes qui ont activement participé à la Fédération des artistes. Auguste Lançon, lithographe, ambulancier dans l’ambulance de presse en 1870, se fera journaliste de guerre. Après la Commune il sera arrêté, passera six mois au camp de Satory et à l’Orangerie de Versailles avec Courbet. André Gill, s’engage dans la garde nationale comme pharmacien. Il va devenir administrateur du musée du Luxembourg.
Le peintre Manet, servant dans la Garde nationale comme Degas, élu à la Fédération des artistes revient à Paris et subit la semaine sanglante du 21 au 28 mai 1871. Quelques années plus tard il peindra deux lithographies « la barricade » et « la guerre civile ». Courbet, deux fois injustement condamné pour avoir été responsable de la « destruction » de la colonne Vendôme, devra s’exiler en Suisse et y mourra. Il y crée pour remercier ce pays de son accueil un magnifique buste de femme « Helvétia ».
Malgré la courte durée de la Commune, 72 jours, et l’horreur de la répression subie par tous ces artistes, l’œuvre de la Commune et des artistes qui l’ont servie demeure. L’exposition d’Ornans où sont visibles tous les documents cités se termine le 23 avril 2018. Elle mérite de toute urgence une visite.