Le Festival de caves a dix ans. Trente huit spectacles sont joués du 1er mai au 26 juin dans 75 villes. C'est un peu moins que l'an dernier, c'est surtout beaucoup plus qu'aux débuts bisontins... Mais l'important n'est pas là. Il réside dans un tout autre rapport entre artistes et public. Entretien à bâtons rompus avec son fondateur et directeur, le metteur en scène Guillaume Dujardin. Il a lieu à Besançon, dans l'ancienne chapelle sous-louée à l'association Scenacle qui la loue à Habitat-25, juste là où le Théâtre Bacchus a longtemps eu ses quartiers...
Vous avez un lieu ?
Beaucoup de compagnies n'ont pas de lieu. Ce n'est pas leur vocation de gérer des lieux. Une compagnie a une vocation artistique : être nomade...
Cela remet en cause ce que peut être un Centre Dramatique National qui gère un lieu, l'anime, y créé...
J'ai fait ma thèse là-dessus ! Un CDN, c'est une compagnie labélisée par le ministère de l'Éducation nationale de 1947 à 1953 pour qu'elle s'implante sur un territoire et y fasse de la création. Ensuite, ça a été le ministère de la Culture... Avec le temps, les CDN se sont institutionnalisés. Surtout, depuis 1947, les CDN sont des SARL dont le directeur est nommé par l'Etat. Ces SARL n'ont pas de CA, et sont donc totalement indépendants vis à vis de l'Etat et des collectivités. Ils ont des missions de services public le temps du contrat de quatre ans, trois ans quand il est renouvelé. Il y a un contrôle de gestion, mais pas un contrôle artistique. Il y a globalement une telle reprise en main de la culture - ce n'est pas le cas à Besançon - que ce statut donne une force...
Les coproductions des CDN faisaient travailler pas mal de gens dans les régions...
Attention, le mail figurant page 37 pour réserver n'est pas bon, utiliser : festivaldecaves2@gmail.com
Ça a duré un temps. C'est selon la politique du directeur. Il y a un temps où les compagnies régionales ont été oubliées par le CDN... En général, un directeur arrive d'ailleurs...
... et fait venir ses copains...
... et en même temps, on ne va pas rester seulement entre Francs-Comtois !
On entend parfois dire que les CDN font travailler trois grands réseaux, disons, communautaires...
C'est compliqué... J'essaie, par hygiène, d'être dans la fabrication. C'est un travail : je forme des comédiens à qui je dis : vous serez, ou pas, désirés. En 2003, j'ai été viré du CDN et j'ai eu deux années difficiles, mais j'ai monté ce festival. On a tendance, dans ce métier, à expliquer pourquoi ça n'arrive pas et pourquoi c'est la faute des autres. Il est vrai qu'il y a des réseaux... Mais la problématique, c'est le modèle économique. En Angleterre, il y a des acteurs formidables, mais il y a eu une tuerie. Un très bon comédien est devenu journaliste au Gardian. Beaucoup sont restaurateurs ou vendeurs de hot dog... Je ne souhaite pas ce modèle économique car on perd du métier en ne faisant pas que ça... Il reste que ça fait 2500 ans qu'on fait du théâtre. L'homo politicus va dire : il faut se battre pour un soutien public alors que le matraquage intellectuel sur il n'y a plus d'argent public est en train de gagner les esprits. Je suis frappé d'entendre mes étudiants du DUST, ils sont démunis...
Ils n'ont plus de formation politique...
... ils ne sont pas bêtes, mais ils n'ont pas les structures.
C'est ce que dit l'homo politicus, et le metteur en scène ?
Quoi qu'il arrive, je continuerai.
C'est ça qui conduit au théâtre de cave ?
Ce n'est pas tant une question économique qu'une question d'écoute. La culture est devenue un produit comme les autres. On va voir une expo, on achète un livre qu'on ne lit pas. Une oeuvre doit produire un choc intime : émotion, intelligence, quelque chose d'individuel...
Il existe des émotions collectives...
Oui. Encore faudrait-il que le contexte général puisse le permettre. On va dans des musées où 60 personnes ont un casque disant ce qu'il faut voir ! Peut-on encore voir la Joconde ?
La culture est devenue une marchandise et un spectacle dans un univers médiatique de spectacle permanent...
Oui, c'est un commerce. Les musées rapportent tant à l'économie française. Howard Barker demande : y aura-t-il encore des lieux de silence ? J'en arrive aux caves. J'ai remarqué que quand 19 personnes sont dans une cave, elles ont une écoute plus forte. Pas un téléphone portable ne sonne. Elles laissent la chance au spectacle.
Il n'y a pas que les caves qui permettent la proximité, il y a des toutes petites salles...
C'est le plaisir du petit nombre, le rituel du festival où l'on appelle les spectateurs un par un...
Oui, on leur donne rendez-vous et on les emmène sur le lieu...
On les emmène, les retardataires ne sont pas permis. On les mène en sous-sol, sous terre, on les met dans un état d'esprit où ils sont capables d'écouter, d'écouter des choses ambiguës. Je ne monterai jamais Céline dans un théâtre, mais peut-être dans une cave qui autorise l'ambiguïté. Le spectacle n'est pas là pour résoudre des problèmes. Les metteurs en scène font ce qu'ils veulent dans une cave. Louise Lévêque m'a dit : j'aimerais faire un spectacle à partir des questions posées par les radios, l'entourage, les enfants... et ça donne « Où ? ».
Pourquoi ça peut pas exister au théâtre ?
Parce que les enjeux sont plus simples. Il y a une légèreté économique et politique. Il y a moins de risques. Le plus beau compliment d'un spectateur à un régisseur à la sortie, c'est eux, ils osent tout !
En quoi peut-on parler de résistance, comme le fait Raphaël Patout ?
Ce n'est pas de la résistance, il ne faut pas pousser !
De la résistance au tout économique ?
C'est une résistance pour nos cervelles. On se force à être en résistance avec nous-même. Attention au vocabulaire galvaudé. Il y a résistance intellectuelle aux mass-media : ne pas se faire embarquer dans le néolibéralisme dominant ou la tentation de la réussite... On est dans 75 villes, ça n'a jamais été anticipé comme ça. Il n'y a pas de stratagème ni de plan de carrière. C'est en acceptant le déchet qu'on arrive à voir de belles choses...
Il n'y a que des créations dans ce festival !
Oui, et des comédiens reviennent tous les ans. J'aimerais qu'ils soient là, en CDI, à travailler tout le temps en labo, faire de la recherche. Mais ne rêvons pas, ce n'est pas possible. Le désavantage de la permanence, c'est la lassitude artistique. Le festival de caves, c'est une maison où on change chaque année de partenaire, on travaille avec un comédien ou un metteur en scène différent. Je suis le directeur, mais je ne mets jamais mes spectacles en avant.
Vous écrivez qu'une plus grande structuration est obligatoire. Pourquoi ?
Chaque cave a une autorisation pour recevoir du public, ça nous protège. A moins de 19 personnes, comédiens compris, il n'y a pas besoin de commission de sécurité. Avant, on le faisait de manière intuitive. Puis on a été reçu à la préfecture par un capitaine de pompiers : le législateur n'a pas prévu qu'une cave reçoive des spectacles, ou alors il faudrait changer la loi ! Avant, le festival était chez moi. Dix ans plus tard, on a ce lieu, un téléphone, des réservations... 99% du budget est sur l'artistique : 140.000 euros pour 300 dates. On ne paie pas de location de cave, les réservations se font par les comédiens, on bosse comme des fous.
Les spectacles du festivals ont-ils une autre vie ?
Il le faut ! Orge d'acier va tourner après avec ma compagnie.
Un festival, c'est pour que les spectacles qui y sont joués tournent ensuite...
En France, on a beaucoup de festivals d'accueil. Nous, on ne fait que créer, on est comme Avignon, avec la particularité que c'est dirigé par des artistes...
Comment se décline le budget ? Qu'apportent les spectateurs ?
La région, le département du Doubs, l'agglo et la ville de Besançon, et la DRAC sont là, mais aussi le Jura, la Haute-Saône, Lons, Dole, Arbois, Morteau, Baume-les-Dames... L'astuce, c'est la multiplication de petits financements. Ils apportent environ 70.000 euros, la billetterie 40.000, et le reste des financements privés : mécénat, théâtre co-producteurs.
Entre la publicité, la politique, la communication, les grandes entreprises qui veulent qu'on les aime, tout est devenu spectacle. Et le théâtre, le cinéma, la photo, le journalisme n'arrivent plus à trouver leur place...
C'est pour ça qu'on va sous-terre !
Ne craignez-vous pas d'être rattrapés ?
On est trop petit pour que ça les intéresse.
Êtes-vous des artisans participant à la reconstruction d'une société nouvelle ?
Ce serait génial, mais je n'y crois pas. C'est beaucoup plus simple : on adore ce qu'on fait.