« Naître fille dans ce pays est un crime en soi »

Les putes voilées n’iront jamais au Paradis !, le dernier livre de Chahdortt Djavann, porte un titre à la hauteur de la violence faite aux femmes dans l'Iran des mollahs... Attention, voici une chronique à vous soulever le cœur...

chahdorttdawann

La violence du titre est à la hauteur de la violence faite aux femmes, en Iran, sous le régime des très pieux mollahs, ayatollahs et autres gardiens de la morale, de la foi… et au nom d’Allah.

Une violence inouïe, ignoble, à vous soulever le cœur.

Et ce roman est bien de ceux dont il est convenu de dire qu’on ne sort pas indemne de sa lecture.

Ce roman vrai, est-il écrit sur la quatrième de couverture, puissant à vous couper le souffle, fait alterner le destin parallèle de deux gamines (Zahra et Soudabeh) extraordinairement belles, séparées à l’âge de douze ans, et les témoignages d’outre-tombe de prostituées assassinées, pendues, lapidées en Iran.

Un roman seulement ? Avec des faits relatés de façon un peu exagérée ? Une accumulation d’histoires de femmes martyrisées (un déroulé « ad nauseam ») qui, mises bout à bout dans le récit feraient effet loupe, en grossissant le réel ?

Au bout de la lecture, pas moyen de se cacher derrière l’argument.

Ce n’est pas uniquement un roman. C’est une étude de mœurs visiblement bien documentée.

C’est une dénonciation virulente de la condition faite aux femmes au nom d’un dieu, Allah, et d’une religion, l’islam. Il semblerait, et les faits dans le monde le montrent (meurtres, viols, lapidations, pendaisons, enlèvements, mise en vente sur internet, mariages forcés…), que cette religion soit loin d’avoir actualisé ses fondements archaïques, en particulier concernant l’image et le statut de la femme. Pire même, concernant ces questions, et d’autres (théocratie contre démocratie), elle tire l’humanité en arrière.

Ce roman est aussi un plaidoyer vibrant d’humanisme en face de la cruauté et de l’hypocrisie religieuse.

C’est un cri d’alerte.

D’ailleurs, il arrive que la romancière, indépendamment de ses personnages, intervienne en tant que telle.

Fiction ou pas fiction ? Titre-t-elle un des chapitres.

Arrivée à ce point de l’histoire, et après des semaines de réflexion et de tentatives d’écriture de tout genre, je me confie à vous, lecteurs. Je vous avoue tout. J’avoue la vérité sur cette entreprise littéraire. Procédé étrange et inédit au beau milieu d’un roman, je vous le concède. Bien que ce livre soit une fiction, l’affaire hélas ! n’est pas de mon invention. Des femmes de rue, des prostituées, ont été assassinées dans la ville de Meshhad, puis dans d’autres villes, et les lois auxquelles je me réfère dans le chapitre précédent sont celles de la jurisprudence islamique en vigueur en Iran, où la charia chiite constitue le droit civil et le droit pénal. Ni les prostituées victimes, les « racines du Mal ˗ Fessad », ni leur assassin, celui qui s’était donné la mission d’« éradiquer la Fessad », donc la prostitution, ne sont le fruit de mon imagination : ils ont existé réellement.

Un peu avant ce chapitre, un autre titré Tchador clignotant. ‎
[‎…]

C’est très mal vu, un tchador qui s’ouvre furtivement. Indice de pute. Tchador clignotant.
[…]

Comment expliquer aux hommes occidentaux, dont les yeux se repaissent à volonté des jambes interminables des mannequins, des culs moulés dans les bikinis des filles blondes ou brunes, des nichons superbement mis en valeur par des décolletés généreux…, comment expliquer à ces hommes occidentaux que dans la sainte ville de Mashhad, lorsqu’un bref instant un tchador noir s’entrouvre, le feu d’artifice s’allume dans le regard des mâles frustrés qui ne pensent qu’à y pénétrer ?

Ici, sur cette terre sacrée de l’islam, souillée pourtant par le péché, Shéhérazade et ses mille et une nuits de fables se muent en une seule nuit et mille et une fornications.

Sous le tchador, les prostituées, comme toutes les femmes ensevelies sous le voile, sont réduites à un trou.
[…]

… les hommes visent directement le trou où tremper leur bite, c’est tout.

Dans la ville aux mille visages, la nuit, d’abord gris rose, puis noire, tombe toujours à l’heure, parfois en avance, empressée qu’elle est d’accueillir les putes dont la noirceur du tchador se confond avec la sienne.

Des prostituées ont été assassinées. Ou lapidées. Ou pendues.

Au nom de Dieu, au nom de la morale.

Chahdortt Djavann les ressuscite et leur donne la parole.

Dans un monde de putes, une pute qui s’assume.

« … Ici, la prostitution touche tous les milieux et tous les âges. Des petites maisons closes clandestines sont dans toutes les rues. Vous ne savez jamais où vous mettez les pieds. Des gamines de dix ans se prostituent pour un repas chaud. Tout le monde est devenu proxénète.
[…]

C’est la religion qui inculque la haine du corps, du plaisir sexuel, l’idée du péché. Pourquoi jouir serait-il un péché ? Pourquoi le sexe serait-il sale ? Je ne considère pas que mon corps se salit au contact d’un autre corps. Avec la jouissance d’un homme. Pourquoi l’éjaculation et le sperme font-ils tant réagir les gens ? Tout ça, c’est à cause des conneries religieuses. Leur morale, qu’ils se la foutent au cul, les mollahs. “Un homme a des besoins”, ils n’ont que ça à la bouche ; alors que les femmes ont plus de besoins sexuels que les hommes. Et les hommes le savent, et c’est pour ça qu’ils répriment et oppriment les femmes depuis la nuit des temps. Ils sont plus forts physiquement, mais sexuellement, ils n’arrivent pas à la cheville des femmes.

Les femmes sont trop lâches et hypocrites pour revendiquer leur droit au sexe. La plupart préfèrent vendre leurs services sexuels à un mari contre une assurance matérielle à vie. Assumer son désir demande du courage.
[…]

Celle qui parle dans ce chapitre, c’est Shahnaz.
Naissance : 12 juillet 1981 à Ispahan.
Lapidée le 25 septembre 2012 à Ispahan.

Il y a aussi Une droguée.
[…]
« Pourquoi me regardez-vous comme ça avec vos yeux remplis de jugements à deux sous ? Vous croyez qu’après tout ce que j’ai subi dans ma vie, c’est votre jugement qui va me faire quoi que ce soit ? Qu’est-ce que vous savez de la détresse des filles nées dans la misère ?
[…]

« … En vérité, j’ai deux enfants je ne sais où dans la nature. J’avais à peine onze ans, et j’étais déjà enceinte de quatre mois. […] J’ai cru mourir en accouchant. […]

Il s’agit de Fataneh.
Naissance : à Kerman, date inconnue.
Étranglée le 28 octobre 2007 à Kerman.

D’autres histoires de femmes contraintes à la prostitution parce que dans ce pays hypocritement religieux, pas de protection sociale, et pas de protection tout court pour les femmes issues des milieux défavorisés, veuves, abandonnées, les étudiantes sans le sous…

Tahmineh.
Naissance : 14 décembre 1962 dans un petit village, non loin de Tabriz.
Elle a été pendue le 2 septembre 2015.

Fatemeh
Née le 24 février 1990 à Qom.
Arrêtée le 20 juillet 2012 à Qom.
Elle fut pendue quelques jours plus tard avec son tchador sur la tête. Son mac s’est sauvé.
Ses trois filles ont été placée dans un centre éducatif religieux où les futures gardiennes de la morale sont formées.

Et d’autres histoires de femmes, toutes plus édifiantes les unes que les autres !

Dans le chapitre Le sang sans valeur !
[…]
Il est primordial de savoir que, selon la législation islamique en vigueur en Iran depuis l’instauration du régime khomeinyste en 1979, la prostitution est un crime dont le châtiment est la peine de mort. Et si la prostituée est mariée, elle sera condamnée à la lapidation. Cette loi est écrite noir sur blanc et attribuée, comme toujours, à la volonté d’Allah, sans qu’on ait demandé l’avis de ce dernier.

Cependant, l’application de cette loi rencontre de sérieux obstacles. La prostitution n’a jamais été aussi répandue dans le pays à cause de la pauvreté de l’immense majorité de la population, du trafic de la drogue, en particulier l’opium et l’héroïne. Dans les milieux pauvres, les filles, les sœurs, les épouses, les mères se vendent pour payer la dose de leurs pères, frères, maris, fils, quand ce n’est pas pour les nourrir, ou pour payer la leur. Les multiples sanctions économiques internationales, la mauvaise gestion gouvernementale, les sommes exorbitantes dépensées pour soutenir, depuis des décennies, Hezbollah, Djihad islamique, Hamas, Ennahdha, Frères musulmans, Assad et compagnie… ont entrainé une inflation vertigineuse et la pénurie de tous les produits, y compris alimentaires. Bénie soit l’idéologie islamique !
[…]

Le nombre de prostituées n’est pas connu, mais la traite sexuelle est devenue une des activités les plus lucratives en Iran. Depuis 2001, selon l’ONG Coalition against trafficking in women, il y a eu une augmentation de 635% du nombre des adolescentes prostituées. Les adolescentes fugueuses sont violées dans les premières vingt-quatre heures qui suivent leur fugue. Et la plupart ne sont jamais retrouvées par leurs parents et vendues aux réseaux de prostitution. Des milliers de filles et de femmes iraniennes ont été vendues à l’étranger, notamment à Dubaï, à Abu Dhabi… […]

Dans ces conditions, imaginez la zizanie si les mollahs appliquaient leur loi : outre le désaveu du système islamique, à chaque coin de rue une femme serait pendue ou lapidée. Les mollahs se verraient confrontés à un problème on ne peut plus crucial : la pénurie de femmes.

Dans le chapitre L’homme providentiel en habit de mollah, Zahra, (une des deux héroïnes de ce roman qui n’en est pas tout à fait un), se présenta à l’adresse indiquée au dos de la carte de visite qu’elle tenait en main. Dès qu’elle appuya sur la sonnette, la porte s’ouvrit. Elle fut étonnée de découvrir l’homme providentiel en habit de mollah !
[…]

En tant que mollah, il s’occupait essentiellement des “Sighehs”. “Sigheh” est le terme à la fois juridique et populaire dans l’islam chiite pour ce qu’on peut appeler mariage temporaire. Selon l’article 1075 du code civil de la charia iranienne, un homme marié, outre ses quatre femmes officielles, peut contracter autant de sighehs simultanés qu’il le désire. Deux… dix… vingt… Sans limite. Excusez du peu.
[…]

Je tiens à préciser, pour éviter toute confusion avec le terme polygamie galvaudé en Occident, qu’à l’opposé de l’homme marié, une femme mariée ne peut avoir qu’un seul mari et aucun homme“ sigheh”. Toute relation sexuelle extraconjugale la condamnerait à la lapidation.

Et c’est bien grâce à cette hypocrisie, ou à cette somme d’hypocrisies, que des femmes et des fillettes sont violées à la chaine.

Ces prétendus bons musulmans qui sont censés défendre les lois d’Allah sur terre sont les pires. De vrais obsédés sexuels, des malades. J’ai signé un document comme quoi je respecterais la morale et ne ferais plus jamais le trottoir… Et en sortant, devant la prison, des macs, comme des vautours, m’attendaient ! Candidats à ma protection. C’est dire qu’ils sont de mèche, et ils nous fouettent par pur sadisme, ces enfoirés de fils de… Ils crient depuis plus de trente ans, matin midi soir, “Allah Akbar”. Et alors ? On le sait qu’Allah est Akbar. C’est bon, passez à autre chose…
[…]

La pédophilie n’est pas un crime dans ce pays ; même sans drogue, beaucoup de familles pauvres se débarrassent de leurs filles dès l’âge de sept, huit ans en les mariant à un homme six ou sept fois plus âgé qu’elles.
[…]

Naître fille dans ce pays est un crime en soi. Vous êtes coupable parce que pas mâle. Et vous êtes pute parce que fille.

Celle qui parle, c’est Sara.
Née le 15 juillet 1977 dans un quartier pauvre de Téhéran.
Assassinée le 24 septembre 2013 à Téhéran.

Elle a été étranglée avec son foulard. Son visage a été gravement amoché.

Dans ce roman, la frontière entre la réalité et la fiction est aussi fine qu’un cheveu de femme.

Et sa lecture fait froid dans le dos, parce que la frontière entre ce qui se passe là-bas ˗ un ailleurs pas si loin de nous ˗ et la frontière défendue par la pensée humaniste dans nos démocraties, pourrait bien, si l’on n’y prend pas garde, être aussi fine qu’un cheveu de femme.

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