Mon Lou, Apollinaire : un objet scénique époustouflant

Ce spectacle construit à partir des lettres et poèmes écrits de sa caserne par Guillaume Apollinaire à son amante Louise de Coligny-Châtillon, est porté par une remarquable Moana Ferré (photo). La dernière mise en scène du Jurassien Christian Pageault propose un étonnant glissement progressif vers l'émotion totale.

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Puissant hommage à Guillaume Apollinaire, Mon Lou commence dans l'allégresse et finit dans l'émotion tragique de la canonnade. Portée de bout en bout avec bonheur et maestria par Moana Ferré seule sur le plateau, le spectacle mis en scène par Christian Pageault et scénographiée par Isabelle Jobard, est un curieux objet théâtral. C'est aussi une anticipation bienvenue du centenaire de la mort du poète, deux jours avant l'armistice de 1918, à l'âge de 38 ans.

Probablement dans sa chambre, une jeune femme légère et joyeuse lit les lettres quotidiennes que lui envoie son amoureux de sa caserne. Cela la met de bonne humeur, elle rit, se réjouit, minaude, goûte le désir transporté par les mots, en apprécie l'effet, l'audace sensuelle... Elle se repait des compliments, s'offusque des reproches, installe peu à peu le public dans la relation du poète et de sa muse...

Il était dingue d'elle... Elle l'éconduit puis le rejoignit, elle en aimait un autre, d'autres... Leur liaison est brève et fusionnelle, physique puis spirituelle, leur correspondance durera une partie de la guerre. Nous qui assistons au spectacle savons qu'elle sera plus longue que prévu. Les lettres font référence à cette prise de conscience contrariante, aux permissions reportées. Les événements qui deviendront historiques apparaissent par touches, entre les mots que l'amant écrit à sa belle...   

Des Poèmes à Lou et des Lettres à Lou, il est resté deux livres et plus de 700 pages. Louise de Coligny-Châtillon, native de Vesoul, descendante d'un célèbre martyr du Massacre de la Saint-Barthélémy, a laissé six lettres dont l'irruption dans le spectacle est un moment de pur délice, d'invention sonore et scénique d'un dialogue épistolaire poignant qui fait découvrir une femme libre. Elle fut une des premières aviatrices françaises, divorça, portait des pantalons, s'engagea comme infirmière de guerre pour retrouver son autre amant...

Moana Ferré apparaît alors en peintre, mais est-ce Louise de Coligny-Châtillon ou Guillaume Apollinaire qu'elle joue ? On ne peut à cet instant que songer que ses énergiques coups d'aérosol et de pinceaux, de papier plié et froissé, préfigurent le mouvement artistique qui naît au cœur de la guerre, le dadaïsme qui donnera naissance au sur-réalisme dont l'auteur d'Alcools fut l'un des premiers à employer le mot...

La pièce - il faut bien l'appeler ainsi - avait démarré dans la frivolité, la voilà dans une tension montant vers son paroxysme, aidé par une bande son (Jean-Michel Trimaille) mêlant avec efficacité archives et musique contemporaine aux images de chaos et à l'émotion profonde des premiers vers de Si je mourrais là-bas : « Si je mourais là-bas sur le front de l’armée / Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée... »

A Lons-le-Saunier, lundi 4 décembre, le public du Bœuf sur le toit plein à craquer a salué d'une belle ovation la cinquième représentation de ce spectacle créé à Autun le 10 novembre.

 

 

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