Mille et une nuits au collège Albert-Camus

Rafik Harbaoui joue depuis plus de vingt ans La Nuit du bossu devant des élèves d'école primaire et de collège. Un conte oriental qui traite de la tolérance et de la joie de vivre. Jubilatoire et réconfortant.

bossu3

Assister à une représentation en collège de La Nuit du bossu après les attentats du début du mois, a quelque chose de réconfortant. Rafik Harbaoui joue depuis vingt ans cette adaptation d'une histoire des Mille et une nuits que son ami Mohamed Guellati a mise en scène. C'est un conte oriental, une histoire de parole, de justice, de vie et de mort. C'est une fable qui traite de la tolérance et de la vérité.

Conteur enthousiaste, comédien enjoué, Rafik Harbaoui a joué son bossu devant des sixièmes du collège Albert-Camus de Besançon. Situé dans le quartier excentré du haut de Saint-Claude, il scolarise des enfants et des adolescents de toutes origines sociales. Le conte met en scène un tailleur de Kashgar, ville située aux confins de la Chine où vivent diverses communautés sous l'autorité d'un calife qui s'ennuie sur son tas d'or et voudrait que personne ne fasse la fête...

L'étude des fables, de la mythologie, du théâtre...
« On étudie le conte occidental, africain, orioental, les 1001 nuits. En sixième, on traite des textes fondamentaux, de la Bible au Coran, des fables et des mythologies, du théâtre... », explique Fatima Elouaddaf, professeur de français au collège Camus.
Qu'attend-elle du passage de La Nuit du bossu ? « Du plaisir, être dans la magie, découvrir la technique, les élements du conte qui n'a pas le lieu, de temps, est oral... »

Pour échapper au risque d'une condamnation à la suite du décès accidentel d'un bossu raconteur d'histoires qu'il avait invité à passer la soirée chez lui, le tailleur transporte le corps chez un médecin juif alerté sous le faux prétexte d'une maladie. Accourant, il trébuche sur le corps que la nuit lui cache et le fait dévaler l'escalier. Craignant à son tour d'être accusé, le médecin juif dépose le corps dans le jardin de son voisin musulman qui croit à un voleur et le bastonne, croit-il, à mort. Apeuré à l'idée de devoir répondre de ce forfait, ce dernier porte le corps chez un chrétien qui tente lui aussi de s'en débarrasser et l'emmène au souk... Mais le jour se lève et c'est lui qui est arrêté.

« Encouragez-moi ! »

Il va être exécuté. Le bourreau, joué par Rafik Harbaoui qui interprète tour à tour tous les personnages, a besoin d'encouragement de la foule pour abattre son sabre : « ce n'est pas facile de tuer quelqu'un, encouragez-moi », lance-t-il à l'adresse des collégiens à qui il est demandé de jouer ladite foule : « A mort le Chrétien ! »

Mais il faut crier plus fort pour donner du courage au bourreau. La foule crie plus fort. Le Chrétien est à deux doigts d'être exécuté que le Musulman sort de la foule, pris par le remords de voir tuer un innocent : « c'est moi qui l'ai tué... » Le voilà à son tour la tête sur le billot et la foule hurle, les collégiens crient : « A mort le Musulman ! »

Vous l'aurez deviné, le médecin juif ne peut se résoudre à cette injustice et s'accuse à son tour. La foule crie « A mort le Juif ! », mais le tailleur sort de la foule et avoue être le responsable. La foule crie « A mort le tailleur ! » C'est alors que passe un sage qui se fait raconter toute l'affaire. Et par des rebondissements propres au théâtre, ressuscite le bossu qui n'était pas vraiment mort...

« Des milliards d'étoiles dans la tête »

Vient alors la seconde partie de la séance, un jeu de questions-réponses entre les élèves et le conteur. Il en profite pour faire passer quelques messages : « en tendant l'oreille, on entend, on écoute..., on apprend ».

Naowel ne comprend pas bien le calife. « Le calife a des milliards, s'ennuie et va voir ce que fait le peuple... Il ne comprend pas que qu'on dépense les 5 dinars gagnés dans le journée et décide d'empêcher la joie de vivre... Mais je sais que vous avez des milliards d'étoiles dans la tête... » Enzo demande d'où vient le conte : « j'en ai lu sept ou huit versions... Celle que vous avez vue est ma version d'une histoire de douze heures », répond Rafik Harbaoui. Mohamed voudrait savoir si c'est son métier : « c'est mon métier, ma passion, j'y consacre ma vie, je suis acteur, conteur, artiste... »

« Être comme on est »

Léo veut savoir comment c'est arrivé : « j'ai travaillé avec Madjid Madouche qui racontait des histoires d'ogres à des enfants qui écoutaient sans bouger. Je me suis dit : le conte a un pouvoir ! » Nicolas demande depuis quand : « j'ai commencé à monter sur les planches en 1981, à 21 ans, d'abord en amateur, ça m'a passionné... Le théâtre m'a permis de m'ouvrir sur mon monde intérieur, de voir qu'il existe avec les autres... Apprendre des autres, c'est bon... »

Les questions des enfants sur l'actualité sont absentes, comme souvent, explique le conteur qui les devine quand on lui demande le pourquoi de son choix. Il voit plutôt « la force du conte, de leur contenu ». Quand les élèves l'interrogent sur sa religion, il répond : « la religion de l'amour ».

Partage-t-il la peur qui a saisi, après les attentats, des personnes dont les parents ou les grands parents venaient d'Afrique ? « Cette peur est légitime, compréhensible, surtout quand la haine s'ajoute à la haine... Les religieux ont aussi leur part d'obscurantisme. Le sursaut des Français est positif... J'en ai marre d'avoir peur, il faut être comme on est... »

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !