Martin Luther King, l’enquête de l’écrivain Roger Martin

Cinquante ans après l'assassinat du leader de la lutte des Noirs pour les droits civiques, l'auteur de romans policiers et d'ouvrages historiques, militant communiste et enseignant, publie Le Rêve brisé, un livre en forme de contre-enquête trente ans après une série sur le Ku Klux Klan...

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I have a dream, célèbre discours du pasteur noir américain, Martin Luther King, discours prononcé le 28 aout 1963 à Washington, après la marche contre les discriminations raciales, rassemble près de 250000 personnes. King rêve d’une Amérique fraternelle, dans laquelle Noirs et Blancs jouiraient des mêmes droits. […]

Je rêve qu’un jour sur les collines rousses de Georgie les fils d’anciens esclaves et ceux d’anciens propriétaires d’esclaves pourront s’asseoir ensemble à la table de la fraternité. […]

Je rêve que mes quatre petits-enfants vivront un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés sur la couleur de leur peau, mais sur la valeur de leur caractère. Je fais aujourd’hui un rêve !

Je rêve qu’un jour, même en Alabama, avec ses abominables racistes, avec son gouverneur à la bouche pleine des mots “opposition” et “annulation” des lois fédérales, que là même en Alabama, un jour les petits garçons noirs et les petites filles blanches pourront se donner la main, comme frères et sœurs. Je fais aujourd’hui un rêve !

Le Rêve Brisé est le titre de l’ouvrage de Roger Martin, un homme et un écrivain engagé, dont on connait la force de ses convictions. Avec sa puissance d’écriture, sa colère contre les injustices passées et encore tristement présentes, il revient sur l’assassinat de Martin Luther King, le 4 avril 1968, à Memphis.

Les forces en présence

En début de l’ouvrage, Roger Martin dresse un état des lieux des forces en présence.

Il y a les organisations noires. Parmi elles :

SCLC : Southern Christian Leadership conférence (Comité des responsables chrétiens du Sud). Fondée en 1957 par Martin Luther King. Organisation non violente de lutte pour les droits civiques des Noirs, ouverte aux Blancs.

NAACP : National Association for the Advancement of Colored People (Association nationale pour la promotion des gens de couleur). Fondée en 1909, ouverte aux Blancs, très active, longtemps dirigée par William Burghart Du Bois, écarté en 1934 pour « sympathies communistes ». Devenue très modérée sous la direction de Roy Wilkins.

SNCC[…] CORE[…]

BPP : Black Panthers Party (Parti de la panthère noire). Fondé en 1967 par Huey Long et Bobby Newton. Mouvement marxiste-léniniste très actif. Sa popularité lui valut une entreprise sans précédent de destruction de la part du FBI, des procès, la prison et la mort par assassinat de nombreux dirigeants.

Mais aussi la NOI : Nation of Islam. Nation de l’Islam, véritable appellation des Black Muslims. Crée en 1930. Dirigée par Elijah Poole, dit Elijah Muhammad. Organisation nationaliste, confessionnelle, à l’occasion raciste et antisémite. Hostile à King. […]

On y trouve également un inventaire des agences gouvernementales américaines qui joueront un rôle dans l’affaire. Entre autres :

HSCA : House Select Committee on Assassinations (Comité d’enquête restreint de la Chambre des représentants sur les assassinats de John Fitzgerald Kennedy et Martin Luther King). […]

FBI : Federal Bureau of Investigation (Bureau fédéral d’enquêtes).

La haine pathologique d’Hoover envers King

Un chapitre entier, dans le dernier tiers de l’ouvrage est consacré à J. Edgar Hoover, le patron de l’époque du FBI. Un homme au fonctionnement dictatorial, craint par subordonnés… Hoover hait King qui non seulement se bat pour les droits civiques des Noirs, mais qui est aussi contre la guerre du Vietnam. La haine d’Hoover envers King est quasi pathologique. De plus, il en est persuadé, le pasteur est communiste ! Le communisme, la bête noire d’Hoover. Cette haine à l’encontre de Martin Luther King, Hoover la cultivera même après la mort du prix Nobel de la Paix.

Surtout, ce travail de recherche met en évidence que les services gouvernementaux, une partie de la police… sont un véritable marigot dans lequel pullulent des crocodiles aux dents acérées. Tout est bon pour fausser le travail de vérité, s’il va à l’encontre des objectifs recherchés par ces organismes, c’est-à-dire le maintien de la ségrégation, et la lutte contre le communisme.

Roger Martin n’est pas tendre avec la presse, ni avec certains écrivains, coupables de s’être faits les porte-paroles d’une vérité officielle, mais mensongère. […]

CIA : Central Intelligence Agency (Agence centrale du Renseignement). […]

MPD : Memphis Police Department (Police de Memphis).

Il y a aussi les différents protagonistes, acteurs ou victimes de ce Rêve brisé. Parmi eux :

Martin Luther King (1929- 1968)

James Earl Ray (1928-1998) : assassin présumé de Martin Luther King.

Est-ce bien James Earl Ray qui a assassiné King ?

En ce qui le concerne, Roger Martin mène une enquête quasi policière. Est-ce bien James Earl Ray qui a assassiné King ?

Dans un long chapitre documenté, il retrace la vie de cet homme, un petit délinquant assez minable, issu d’un milieu très pauvre. Il suit son parcours, de prison en prison, son évasion dont on peut penser qu’elle a été organisée afin que l’homme soit utilisé pour de basses besognes. De lui, il dit que c’est un « branquignole », qui ne peut pas avoir ourdi le plan qui allait conduire à l’assassinat de King. En revanche, qu’il ait été instrumentalisé, c’est quasi certain. Par exemple, Ray a subi une intervention chirurgicale mineure (une pratique peu courante pour l’époque, chez un homme, et onéreuse) … peut-être destinée à le faire ressembler au véritable assassin, et ainsi, brouiller les pistes ? Le Rêve brisé, fourmille d’informations sur Ray et sa « cavale » jusqu’en Angleterre après le meurtre.

Le milieu des organisations noires est largement infiltré par des agents du FBI. Entre autres par James Harrison : indicateur noir infiltré au siège de la SCLC. Travaille avec l’agent spécial Alan G. Sentinella du bureau d’Atlanta du FBI. Fournit dates et lieux des déplacements de King.

Ernest Withers (1922-2007) : célèbre photographe noir, considéré comme le photographe officiel du mouvement, très lié à King et à tous les dirigeants de la SCLC. Jouissant de leur confiance totale, il avait une complète liberté de mouvement au sein de l’organisation. En 2010, un journaliste du Commercial Appeal de Memphis rend public un dossier interne du FBI. De 1958 à 1972, ME338-R, son code confidentiel, s’est montré un « informateur prolifique ».

Après la distribution des organisations et des individus, qui composent ce drame en plusieurs actes, Roger Martin lance un avertissement. […]

Le Rêve brisé : l’assassinat de Martin Luther King n’a pas la prétention de l’exhaustivité. Il a fallu élaguer, simplifier, rendre clair. Mais ce qui va suivre ne doit rien à la fiction.

Qui ? Comment ? Pourquoi ? Incohérences ? Faux ?
Mensonges et questions sans réponses...

Sa force d’évocation des jours et des événements qui ont précédé la mort de King, pourrait faire croire que Roger Martin y était. Qu’il était à Memphis, aux côtés des éboueurs noirs, en grève et en colère contre le sort indigne qui leur est réservé. Qu’il était dans l’ombre de King. Qu’il a assisté aux débats parfois houleux entre les tenants d’une action pacifique, et les tenants d’actions plus musclées.

Le rythme d’écriture est soutenu, il a la force de la colère de ces éboueurs noirs, à Memphis, appelés parfois « les vautours marchant ». Mille trois cent d’entre eux, dont plus de 95% sont noirs – les 5% blancs constituant le personnel d’encadrement, entament leur troisième semaine de grève.

Les éboueurs vivent dans la hantise permanente des maladies, d’une jambe, d’une main ou d’un bras arraché, voire de perdre la vie, avalés par la broyeuse et transformés en ordure. C’est ce qui est arrivé à Ecol Cole et à Robert Walker. […]

C’est dans ce contexte que s’inscrit la décision de King de se rendre à Memphis. N’a-t-il pas martelé dans tous ses discours depuis une année que le combat des droits civiques en faveur de la minorité noire ne devait pas se mener plus longtemps sans être étroitement lié à une lutte plus globale contre la pauvreté et la misère qui associerait les Blancs pauvres, les Indiens et toute minorité victime de l’injustice sociale ? La Marche de Memphis sera la première concrétisation de cette nouvelle orientation.

Une première marche, le 21 mars 1968, est ajournée, parce que Memphis est ensevelie sous la neige.

Une deuxième marche tourne au fiasco. Des agents provocateurs ont œuvré pour que la violence seule s’exprime. 80 blessés, un mort, 282 arrestations, des dégâts considérables…

« Frères, nous avons dû quitter Memphis en proie à la violence. Nous allons y retourner et mener une marche immense et non violente… »

Ensuite, un récit haletant nous fait partager les derniers jours, privés mais surtout politiques de Martin Luther King.

Des débats tendus avec les partisans d’une action dure, telle que la défendent Les Envahisseurs, de la fatigue accumulée, trop de cigarettes et trop de café, la mort qui rôde autour de lui… font que King est presque au bout du rouleau. Mais s’il tombe, la foi de ses supporters qui le voient comme un nouveau messie, le fait se relever. Repartir au combat. Tenir meeting. Comme celui qu’il tient à Memphis, quelques heures avant la marche prévue. Quelques heures avant son assassinat.

« J’ai atteint le sommet de la montagne »

« … Je ne sais pas ce qui va m’arriver à présent. Des journées difficiles nous attendent. Mais peut importe ce qui va m’advenir, car j’ai atteint le somment de la montagne… »

4 avril 1968.

Son frère cadet Alfred Daniel Williams King, dit A.D est arrivé vers une heure du matin. Avec lui, Le « Sénateur », qui est une sénatrice. Georgia M. Davis, première noire et première femme à avoir été élue, quelques mois plus tôt, dans le Kentucky. Un symbole qui a galvanisé tous les Noirs de l’État, et au-delà. […]

4 heures, chacun va se coucher. Une rude journée les attend tous. Pourtant, King rejoint le Sénateur dans la chambre 201. Il en repartira à 5 heures… […]

Il est 18 heures, précises. Du parking, Solomon Jones, son chauffeur pour l’occasion, hèle Martin Luther King, penché au-dessus de la rambarde : « Docteur King, il commence à faire froid, il vaudrait mieux prendre un manteau. » Jones et Chauncey Eskridge se tiennent à gauche de la Cadillac, Andrew Young à droite. King, légèrement incliné, hoche la tête.

« Tu as raison, Jonesey, je vais prendre mon manteau… »

Ce sont les derniers mots de King.

Un bruit terrifiant se fait entendre.

Sur le balcon Martin Luther King s’effondre. Il est 18 h 01.

Des journées d’émeutes à Memphis, mais aussi dans d’autres villes, d’autres états, suivront l’assassinat de Martin Luther King, qui avait reçu le prix Nobel de la Paix en décembre 1964.

Le 11 avril, un bilan à peu près définitif fait état de 43 morts, dont une écrasante majorité de Noirs, de 3000 blessés et de plus de 20.000 arrestations.

L’Amérique est en guerre. C’est un séisme qui secoue le pays tout entier.

Une enquête bâclée, des procès qui le sont tout autant…
Des contre-enquêtes, dont celle de Roger Martin.

Roger Martin s’appuie sur une somme de documents considérable.

L’assassinat de Martin Luther King ne peut se comprendre qu’en s’immergeant dans le cœur de cette Amérique raciste, ségrégationniste, dans laquelle le Ku-Klux-Klan sévit en toute impunité, ou presque. Une Amérique dans laquelle un policier blanc peut s’adresser à un homme d’âge mûr comme on s’adresse à un enfant. « Allez tire-toi, mon garçon, casse-toi, garçon ! »

Une Amérique où plus d’un policier, et même au sommet de la hiérarchie, parle de King comme du « Négro », du « Singe », de « Blanche-Neige » …

Une Amérique où l’on brûle les églises réservées aux Noirs, et où l’on brûle les Noirs.

Au fil de ce travail immense, les ombres de ces hommes, de ces femmes et même de ces enfants noirs tués de façon ignoble ne peuvent que nous hanter.

Et Roger Martin décortique d’une plume vraiment en colère (une colère contagieuse) le système qui cautionne, justifie… ces horreurs.

Des hommes noirs, des femmes noires luttent contre les oppressions qui leur sont faites.

Et c’est aussi cette Amérique qui lutte que Roger Martin ressuscite. Il ressuscite Martin Luther King, en cherchant à savoir, cinquante années plus tard, qui l’a réellement assassiné.

Il reprend l’enquête qui a conduit à la condamnation de James Earl Ray. Il en montre les incohérences, il revient sur la scène du crime. L’hôtel-Motel Lorraine dans lequel King a passé sa dernière nuit. Le balcon sur lequel il se tient. En face du Lorraine, un motel minable, une sorte d’asile de nuit dans lequel Ray prend une chambre… Un changement de chambre pour King… Un manque de protection évident alors que King est pisté, suivi, espionné… depuis des années… et qu’il y a des forces de police considérables dans les environs. Des pompiers noirs, favorables à King, déplacés vers une caserne plus lointaine que la leur, proche du Lorraine… Deux Mustang blanches… un « colis » qui contient l’arme du crime… des empreintes… et même une baignoire bancale qui ne tient pas sur ses pattes, dans laquelle Ray est censé s’être tenu pour tirer droit au but… Sans oublier un taillis rasé dès le lendemain, et duquel des témoins qui ne seront pas écoutés diront qu’ils ont vu un homme en sortir après le coup de feu… Faux témoignages… calomnies… alibis inconsistants… un certain Carlos Marcello qui meurt d’une overdose alors qu’il ne se droguait pas…

Tout est repris, analysé, décortiqué, démonté, remonté jusqu’à ce qu’une amorce de vérité semble enfin donner une idée juste de qui a brisé le rêve de Martin Luther King. Certainement pas un homme isolé… certainement pas ce « branquignole » de Ray.

Mais dans son ombre, à la manœuvre, le FBI ?…

Et Roger Martin de presque conclure : Dans les assassinats qui ont marqué l’Amérique et, au-delà, le monde, il en est quatre qui continuent d’entretenir une grande part d’ombre et de mystère.

John Fitzgerald Kennedy, Malcolm X, Martin Luther King, Robert Kennedy.[…]

Et de conclure : Comme l’écrivait Harold Weisberg, ni Roy Wilkins, ni Witney Youg, des dirigeants noirs modérés - voire conservateurs -, ni Richard Nixon, ni Barry Goldwater, des dirigeants qui avaient prospéré sous le maccarthysme et la ségrégation, ne furent assassinés…

 

 

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