Marthe, ou les angoisses du modèle

Qui fut Marthe de Meligny, femme et modèle du peintre Pierre Bonnard durant toute sa vie ? Guillaume Dujardin met en scène un texte commandé à la dramaturge José Drevon pour le Festival de caves. Comment concilier le bonheur d'être désirée et l'enfer d'être sans cesse observée ? La comédienne Marie Champain, au jeu tout en retenue, nous explique son travail.

A Besançon jusqu'au 12 juin.

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Une cave voûtée où l'on accède par de raides escaliers. Une toile est tendue quelques mètres devant la vingtaine de sièges où sont assis les spectateurs. On évalue l'espace qu'elle masque quand un projecteur l'éclaire brièvement par le fond. C'est une vaste salle de bains. On a le temps d'apercevoir une baignoire, des carreaux de faïence recouvrent les murs sur l'un desquels est accroché un miroir ovale. Puis l'appareil projette un instant la vidéo d'un couple nu endormi à la respiration frémissante, les têtes sont enfouies dans l'ombre...

Cet univers installé, une silhouette féminine en contrejour émerge d'un rideau d'angle – en peignoir ou en robe de chambre, on ne sait trop. Elle parle. D'abord doucement. Elle parle à son homme, le peintre Pierre Bonnard tandis que des œuvres apparaissent sur la toile, la montrant en diverses occupations. Du canapé au jardin, de la cuisine à la chambre. Et, très souvent à la salle de bains.

Croquée, dessinée, poursuivie...

C'est Marthe, la compagne du peintre, sa muse, son modèle, son inspiratrice. Il l'a peinte, croquée, dessinée, poursuivie, partout, dans les recoins de la maison, à la fenêtre, dehors... Elle dit son plaisir d'être désirée, sa lassitude d'être sans cesse observée. Elle a un rêve. Elle s'enfonce dans un lac, croise des têtards qui se transforment en grenouilles énormes aux couleurs des toiles du maître. Elles vont l'engloutir. Elle crie. Elle ne veut pas se perdre dans la peinture. En a-t-elle assez d'être modèle ? D'être regardée ?

Voilà l'un des thèmes de cette courte pièce intime écrite pour le Festival de caves par José Devron. Mise en scène par Guillaume Dujardin, elle est interprétée avec retenue par Marie Champain. Dans une seconde partie du spectacle, elle passe de l'autre côté du miroir de la toile, joue des scènes correspondant à des tableaux du peintre. Le spectateur a alors deux propositions, deux angles de vue sur un même sujet - objet ? En même temps, Marthe évoque le « sarcophage » de la baignoire qu'elle décèle dans certains des nombreux tableaux la représentant dans sa baignoire...

Marie Champain, on entend rarement parler les modèles de leur condition de modèle...

Tout à fait. C'est particulier à Marthe qui était d'abord la femme de Pierre Bonnard avant d'être son modèle. Auparavant, elle n'avait jamais fait de nu. Elle était aussi malade, avait besoin de prendre de nombreux bains.

C'est elle qui a écrit le texte ?

Non. C'est dans les correspondances de Bonnard avec ses proches. Il y fait part de l'état de santé de Marthe. C'est là aussi qu'on apprend qu'elle disait ne pas être une femme à marier. Il l'a pourtant épousée après des années pour lui donner tort...

Comment avez-vous appréhendé ce rôle ?

Comme cette femme s'est posé la question : ça doit être beau d'être la muse d'un artiste, d'être désirée. Ils sont amoureux. Il ne porte pas seulement un regard technique sur elle. Ils sont restés ensemble toute leur vie. il a continué à la peindre après sa mort.

L'aimait-il ?

Oui. Guillaume est persuadé qu'il ne la désirait plus. Par sa correspondance, on sait qu'il a eu des maîtresses dont l'une s'est suicidée dans son bain !

Vous avez tout lu sur Bonnard ?

J'ai lu pas mal de choses. Cette création était une commande passée à José Devron qui est également comédienne, auteure... Tout le monde cherche à percer le mystère de cette femme. On n'a rien de personnel d'elle. On ne peut que faire des hypothèses...

Comment l'avez-vous appréhendée ?

Dans le rapport de travail, il y a le rapport de désir de travail et du regard, de la confiance qu'un comédienne peut avoir dans le metteur en scène qu'on pourrait rapprocher du modèle et du peintre...

Dans la pièce, Marthe rêve qu'elle se noie dans l'œuvre...

Oui... La disparition du modèle dans l'œuvre, de cette femme qui accepté tout. Elle ne posait pas, elle vivait et il la suivait partout. On se dit : quel enfer ! Elle devait admirer Bonnard.

C'est votre deuxième année de comédienne professionnelle après une année où vous avez présenté des travaux d'étudiante. Qu'avez-vous joué d'autre ?

Garden Scen, de François Rancillac, le directeur du Théâtre de l'Aquarium, à Paris ; 7, mis en scène par Jean-Michel Potiron, et trois créations cette année : Marthe, Lentement, de Julien Barbazin, et Guerre d'Elisabeth Barbazin...

Ça vous va d'exercer ce métier dans un cadre assez différent du théâtre institutionnel ?

Oui, mais c'est une sacrée prise de risque. Dans les créations, on est libre de tout proposer à Guillaume, on ne sait pas où ça va aboutir. On peut proposer des solos, des pièces à deux, à six, des adaptations de romans... Maxime a ainsi refusé qu'on regarde son travail avant la première ! Pour ma part, j'ai fait entièrement confiance à Guillaume. Il y a un an et demi de travail sur Marthe. Je ne connaissais pas Bonnard, j'ai vu beaucoup de tableaux, lu pas mal de textes théoriques sur le travail du comédien et du modèle. On a travaillé six mois avec José... C'est un spectacle lourd pour le festival de Caves, avec une salle de bains, une baignoire, un écran, de la vidéo... On a même pensé à faire du body-painting sur mon corps, mais ça aurait duré une heure et demi... On n'a pas repris l'idée.

 

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