Louis Pergaud, deux femmes, trois territoires, un chat…

Vivant en Normandie, le journaliste et écrivain jurassien Dominique Gros donne la parole à la seconde épouse de l'auteur de la Guerre des boutons, mort au front, à Verdun, en 1915. Un livre sensible qui traite de littérature...

dominiquegros

Dans la vie de Louis Pergaud, deux femmes. La première, Marthe. La deuxième, Delphine, à qui Dominique Gros donne magnifiquement la parole.

Deux femmes et trois territoires. La Franche-Comté, Paris et les débuts du succès, les champs de bataille de Verdun, là où l’écrivain devenu soldat laissera sa vie le 8 avril 1915 … probablement sous le feu de l’artillerie française.

De longues années plus tard (Delphine, pendant ce temps, ne désespère pas de voir Louis revenir, et elle s’active à faire publier les manuscrits de son « Loup ») grâce à un colonel suisse, Willy Sunier, les circonstances dans lesquelles Louis Pergaud a trouvé la mort sont enfin dévoilées.

De Marthe, la première épouse, voici ce qu’en dit Delphine, dont Dominique Gros se fait le porte-parole :

L’autre, elle l’a rendu si malheureux. Lui a fait trop de mal. L’autre, et tant de gens aussi. Tant de méchants. Il était trop généreux. Il voulait faire la classe aux enfants pour qu’ils deviennent des hommes, de vrais hommes avec en tête cette belle devise de Liberté, Égalité, Fraternité. Les gosses de la campagne, il voulait pour eux les mêmes chances que pour ceux de la ville, les riches. Il les aimait, ces gamins, bon sang, et pour eux pas besoin de curé ni de prière à l’école.

L’autre, elle arrivait. Le traitait de fainéant. Il y avait tant de chose à faire d’autre que ces peccadilles : écrire pour des enfants qui sans doute ne jamais le liront. Elle se moquait, la garce. Lui confisquait ses écrits. Les jetait même à la poubelle.

Histoire d’un amour ou Le Roman de Pergaud, de Dominique Gros.
Éditions Le Vent qui passe.
165 pages, 16 euros
Le blog de Dominique Gros ici.

De Delphine, sa seconde épouse qui va l’accompagner jusqu’à sa mort, voici ce qu’en disait Pergaud, dans une lettre parvenue jusqu’à elle, qu’il appelle ‟ma gosse” un peu avant la mort de l’écrivain devenu soldat par devoir, et non par conviction.

« Nos deux noms flamboieront sur la couverture d’un livre »

Une lettre en date du 2 février 1915 :

Tu seras ma collaboratrice précieuse ; je t’apprendrai le métier d’écrivain et je serai heureux et bien fier le jour où nos deux noms, unis comme nos deux cœurs, flamboieront sur la couverture d’un livre. Si je dois passer à la postérité un jour, je veux, ma chérie, que tu sois avec moi …

Elle, elle l’appelle Mon loup.

Louis est un fauve. Un loup à la recherche de ses proies. S’il les attrape, c’est pour s’en repaître d’une manière spirituelle. … Il sent, il voit, il entend. … Mon Loup magnifique, qui sait, de ses amis, bâtir sa meute. Mon Loup n’est plus un solitaire. C’est un indépendant. Un irréductible, un rusé, un indomptable. …

Pergaud doit quitter la Franche-Comté et, bien que le divorce avec Marthe ne soit pas encore prononcé, Delphine rejoint Louis, à Paris.

Nous avions tous les deux vingt-cinq ans. Et j’allais passer l’hiver 1907 loin des neiges de Landresse. Dans une ville gigantesque aux milliers de visages inconnus. Mais blottie dans les bras de mon bel amour.

Les animaux et les enfants

Deux femmes, trois territoires, un chat, Toto qui vit avec eux dans leur appartement parisien et à qui Louis Pergaud parle quand il écrit. Il y a aussi tout le bestiaire si bien raconté dans De Goupil à Margot, dans La revanche du corbeau, dans Le roman de Miraut, … les animaux … et les enfants ! Avec sa première femme, Louis a eu une fille précocement décédée. Une blessure dont il ne parle pas. En revanche, qui a lu La Guerre des boutons, ou qui a vu LE film, ne pourra plus oublier les enfants de cette Comté que Pergaud aimait tant. Il raconte leur vitalité, leurs jeux brutaux et leur insolence. A cul, les Velrans !

Il a écrit à son amie Rachilde, l’épouse du directeur du Mercure pour lui parler de son livre en préparation. Il lui a dit : « Onze ans ! Mais tudieu que ce sera vert ! Bien en deçà de la vérité et adouci de phrases. Je me demande si en ces temps châtré ce sera publiable. »

Une amitié forte avec Léon Deubel. Mais le poète est empêtré dans une profonde mélancolie. Il finira par se suicider. Une autre blessure pour Pergaud.

Le cordonnier chasseur

D’autres amitiés.

Celle avec le père de Delphine, Jules Duboz, cordonnier et chasseur, un homme près de la terre. Il sait tout sur les animaux qui partagent le même territoire que ces Franc-Comtois, fiers de leur sol. Pergaud s’inspire des longues conversations qu’il a avec cet homme enraciné dans son terroir.

Un jour il m’a dit, rapporte Delphine en parlant de Pergaud : « Ce que j’écris est neuf. On n’a jamais parlé de la nature de cette manière, en donnant voix à ceux qui l’habitent : les animaux. »

Il me parle, mon poète, de son Goupil malin et solitaire. Il me raconte Nyctalette, la petite taupe cachée dans son univers souterrain, ou Margot la pie joyeuse qui vole de branche en branche. …

« Une fripouille stupide a assassiné Jaurès »

La rencontre avec Jaurès dont il épouse les thèses et dont l’assassinat va le bouleverser.

Il n’y a bien que notre Jean Jaurès, (fait dire Dominique Gros à Delphine, et en s’appuyant sur une abondante correspondance) pour évoquer les hommes, la peine, la douleur. Pour comptabiliser les erreurs des dirigeants de toutes les nations, pris dans l’engrenage de leur haine et de leur orgueil. Notre Jaurès appelle à la raison. … Il parle de l’humain, ce grand homme. S’il était athée, je crois qu’il implorerait la loi divine, celle de la création, celle qui parle d’amour et de paix.

« Pour comble de malheur, écrit Louis Pergaud au père de Delphine, un misérable, un sale camelot du roi, une fripouille stupide a assassiné Jaurès hier soir en lui tirant trois coups de révolver par derrière. L’émotion est intense, car, avec ce grand citoyen qui était vraiment le meilleur des hommes et le plus éclairé des patriotes, disparaît un des meilleurs conseillers du peuple de France et un des plus vigilants gardiens de la paix du monde. C’est un crime sans nom qui me bouleverse et me révolte. »

L'amitié d'Alain Fournier

Celle avec Alain Fournier, l’auteur du Grand Meaulnes, mort à la guerre, lui aussi, et sans avoir eu le prix le Goncourt, ce que Pergaud espérait pour lui.

Louis découvre un mot plein d’affection d’un jeune auteur, Henri Alain-Fournier. Lui-même s’intéresse à l’enfance dans le livre qu’il est en train d’achever, Le grand Maulnes, Louis est touché par ces lignes enthousiastes et authentiques, comme il dit.

Au final, la rencontre avec la mort, qui fauche si jeune Pergaud, en passe de devenir un grand écrivain.

1910. Le prix Goncourt pour couronner De Goupil à Margot. Prix accompagné des habituelles « méchancetés » d’une petite partie du monde littéraire.

Le 8 décembre, le jury du prix a délibéré autour d’un repas au Café de Paris. Mon Louis a été choisi pour son De Goupil à Margot. Mon Loup, je l’ai entendu hurler de l’intérieur. D’une joie sans faille. … Son peuple des champs et des bois a convaincu les plus illustres littérateurs.

Mais aussi : … Jalousie. Méchanceté politique. … On lui reproche tout : son style, ses thèmes, son métier d’instituteur, sa jeunesse aussi …

Laïque, républicain, pacificiste...

Louis Pergaud est également un homme engagé. Laïque, Républicain, et pour la Paix. Pour la paix, ce qui ne l’empêchera pas, le moment venu, d’aller à la boucherie qu’a été la guerre de 14/18.

Il y a, dans le roman de Dominique Gros, de très belles pages sur les réalités de la guerre.

Dans une lettre découverte plus tard après sa mort par Delphine, Pergaud écrivait à son ami Lucien Descaves :

Vous savez avec quelle ardeur je suis parti. Pacifiste et antimilitariste, je ne voulais pas plus de la botte du Kaiser que de n’importe quelle botte éperonnée pour mon pays ; … je me battrai, certes, avec la même énergie qu’auparavant ; mais si j’ai le bonheur de revenir, ce sera, je crois plus antimilitariste encore qu’avant mon départ.

 

Louis Pergaud n’a pas eu le bonheur de revenir, et le monde des lettres a perdu un grand écrivain. Merci à Dominique Gros de le faire revivre d’une si belle plume.

 

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