Que vient faire dans un journal franc-comtois un article sur l'exposition Ceux de la poésie vécue d'Ernest Pignon Ernest en Arles ? C'est un clin d'œil multiple. A l'internet qui permet à un journal d'être lu bien au-delà de son territoire, à Bien urbain qui vient de démarrer à Besançon, à la poésie et aux poètes résistants qu'il magnifie, aux Editions Actes Sud, non parce que Françoise Nyssen a rejoint le gouvernement, mais parce que l'ancienne chapelle du Méjan dont elle a fait un étonnant lieu de diffusion culturelle accueille justement des œuvres de l'artiste niçois.
Entre photo et intervention dans l'espace public, il montre son regard sur Ceux de la poésie vécue en divers lieux, révélant par leur multiplication l'effet de l'environnement sur l'œuvre. Il y a du déjà vu quelque part, comme cette piéta de Pier Paolo Pasolini portant son propre corps supplicié, comme ce portrait de Rimbaud répliqué, discret ou insistant mais toujours là, même dans nos mémoires. Du déjà vu car faisant partie d'expositions précédentes, dont des fragments sont ici rassemblés.
Cette exposition propose une réflexion sur la condition du résistant par les mots, de Pablo Neruda à Mahmoud Darwich, de Louis Aragon à Maïakowski, voire du torturé, de Jean Genet à Antonin Artaud. Ernest Pignon Ernest explore la marge et la réclusion, touche au coeur et à l'âme. La photo d'une simple clé demeurant à son clou dans une maison palestinienne détruite provoque une émotion inattendue. Il y a du cri dans l'œuvre de cet artiste considéré comme l'un des pionniers de l'art urbain.
C'est aussi un militant qui contribua à la lutte contre l'apartheid lorsque Jacques Médecin, alors très droitier maire de Nice, entreprit de jumeler sa ville avec Le Cap. On était en 1974 et il afficha des Noirs derrière un grillage pour qu'on ne les oublie pas (voir sur son site puis cliquer sur Interventions puis Nice-Le Cap).
Un court texte d'André Velter accompagne l'exposition arlésienne - dernier clin d'œil pour ceux qui ne la verront pas ! Il proclame que « la poésie a la vie dure, même si on l'annonce régulièrement à l'article de la mort ». Il lui rend justice en lui donnant un sens politique n'oubliant pas l'intime : « C'est que pour ceux qu'exaspère l'ordre meurtrier du monde, la poésie est question d'engagement existentiel (...) Elle s'impose comme le chant profond des vivants / qui ne renoncent pas aux effractions, / aux précipices, aux échauffourées, / ni aux enchantements de la vraie vie. »
Un lieu de culture de Franche-Comté essaiera-t-il de programmer un jour cette exposition ?