« Les vendeurs de robots se foutent de la réputation du comté »

Vétérinaire homéopathe, Paul Polis considère que le robot de traite modifie largement l'organisation d'une ferme, perturbe la vie sociale des vaches, altère la qualité du lait. Il estime complètement justifié le refus par la filière comté de cette technologie.

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Paul Polis est vétérinaire homéopathe, associé au GIE Zone verte dont le siège est à Arbois mais travaillant à bien plus vaste échelle et défendant « la philosophie humaniste de l'agriculture paysanne et biologique ». Il a participé à plusieurs reprises à des débats sur la filière comté. Nous l'avons interrogé peu après le grand rassemblement des producteurs de lait à comté du 7 mars à Vercel.

Que pensez-vous des robots de traite ?

Je prétends peu à la sagesse ultime... Mais au niveau social, les vaches sont sensées être bien en troupeau. Cela suppose une organisation sociale et un rythme d'occupation. Quand ça fonctionne bien, elles font tout ensemble : manger, ruminer, se faire traire. Il n'y a que les chaleurs qui sont un acte individuel. Donc, pour mettre en place un robot qui donne des possibilités aux vaches de se faire traire plusieurs fois, chacune leur tour, ça donne une file qui fonctionne plus ou moins bien, où les dominantes passent avant les dominées. Ça gène l'alimentation - elles ne mangent plus ensemble - et le comportement de troupeau car ça tire à hue et à dia au moment où la mamelle remplie provoque un effet de congestion désagréable. Surtout, elles vont au robot d'elles-mêmes mais pas gratuitement : seulement car elles ont droit à une distribution de croquettes appétissantes qui conduit à une surconsommation aboutissant souvent à un lait dénaturé, plus gras...

C'est quoi les croquettes ?

Les farines, les concentrés, les compléments...

A Pierrefontaine-les-Varans, le Gaec Jeanningros est passé de un à deux robots... C'est un expert qui l'a suggéré...

Ça n'a aucun sens. Quand un robot tombe en panne, c'est une catastrophe pour l'éleveur. Là, il y a deux places au lieu d'une, mais ça ne ressemble pas pour autant à une traite groupée, ça ne change rien au groupe. Et vu le coût de l'investissement, c'est très embêtant...

Un responsable de la filière comté parle des conséquences négatives sur l'effet troupeau. Qu'est-ce que ça signifie ?

C'est vrai que le robot rompt l'effet troupeau. Les troupeaux sont déjà acculturés et il y a une aggravation du phénomène. Il y a aussi le problème de la consommation des concentrés qui génère un changement de la qualité du lait. La caractéristique du comté, c'est d'avoir des laits peu refroidis avec deux traites mélangées. La première traite est à 11 ou 12° et l'on y rajoute la seconde traite. Ça donne des laits ayant travaillé avec les bonnes flores, utiles à la fabrication du fromage. Dans un tank où les laits arrivent irrégulièrement, on a un mélange de lait chaud et de lait refroidi. Ce changement de température à chaque traite peut poser des questions pour la flore. S'il y a une mammitepathologie inflamatoire de la mamelle,  ça pose des problèmes. C'est la raison pour laquelle on pasteurise les laits issus de traite au robot après les avoir refroidi à 4 ou 5°. Cette température détruit la flore lactique qui fait le fromage. Ce lait prélevé au bout de deux ou trois jours doit être pasteurisé car les flores ayant résisté au froid ne sont pas intéressantes.

Pourquoi ?

On peut y retrouve des listérias... C'est pour ça qu'en comté, le lait n'est jamais refroidi sous 12° pour avoir une bonne flore. Quoi que fasse un éleveur, une vache a un rythme chronobiologique. Elle dort la nuit et se lève avec le soleil. La répartition des traites au robot n'étant pas régulières, on peut se demander ce qu'il y a dans le tank : des vaches peuvent se faire traire peu après le ramassage et le lait rester longtemps... Par ailleurs, quand on travaille avec du lait à comté, on utilise de la laine de bois pour nettoyer les mamelles et éviter de détruire la flore des tétines. Dans un robot, les mamelles sont arrosées de produit antiseptique, ce qui pose la question de son effet sur le lait...

La coop de Pierrefontaine-les-Varans le collecte, mais ne l'intègre pas à la filière et le revend à l'Ermitage...

C'est très bien. Le problème, c'est le prix que l'Ermitage le paie, ce n'est pas un lait valorisé au prix du lait à comté. C'est un précédent important. Ces producteurs n'ont pas l'esprit de la solidarité du comté. C'est consternant, indéfendable... Il faut savoir qu'il se vend beaucoup de robots d'occasion, c'est une machine à emmerdements. Les vaches mangent davantage, digèrent mal, ça tourne en rond dans le mauvais sens. Tout ça ne résiste pas à l'analyse critique. Et que le tribunal s'en remette à de pseudo-experts... La qualité du lait aurait pu être traitée !

Le mensuel professionnel L'Éleveur laitier fait état du risque de lipolyse !

C'est exact. Souvent, il y a une voie haute pour la traite et les globules gras du lait éclatent dans les kilomètres de tuyaux, d'autant qu'il y a ensuite une agitation régulière dans le tank.

Les producteurs de l'AOP gruyère suisse ont renoncé au robot...

Ils ne sont pas les seuls, beaucoup ont renoncé, il y a beaucoup d'ennuis, mais la presse agricole en parle peu car les fabricants de robots sont des annonceurs.

Le robot détecte des maladies...

Un éleveur le fait...

La mise à l'herbe est-elle plus difficile avec un robot ?

Oui. Il faut que les animaux aillent au champ et reviennent au robot, ce qui suppose des terres au plus près de la ferme. Autrement, ce n'est pas pratique pour les vaches de se faire traire, elles perdent du temps en y allant. Le pâturage est typiquement une activité de groupe : quand on a fini, on se couche et on rumine. C'est en contradiction avec la traite en file.

Pour éviter le trajet vers le pâturage, le paysan en comté a droit à un affouragement vert par jour, c'est donc lui qui peut aller couper l'herbe et la ramener aux vaches...

Manger de l'herbe au pâturage et dans l'écurie, ce n'est pas la même chose. Quand les vaches mangent dehors, elles ont un comportement social, sont sans stress, digèrent bien. La même herbe donnée dans l'écurie, sans effort à faire, en étant avec les autres, fait qu'elles mangent plus vite, davantage, et ont plus souvent la chiasse.

A vous entendre, c'est un processus très complexe...

Oui. Il faut regarder les choses de près pour les comprendre. Il y a une surconsommation alimentaire de nombreuses vaches en comté quand on voit les productions de lait de 6500 ou 7000 litres par an. C'est dû aux concentrés, aux compléments qu'il faut donner après la ration de base afin qu'ils n'arrivent pas dans un estomac vide. Mais avec le robot, elles mangent quand elles y vont...

Vous pourriez témoigner au procès en appel au côté du CICG !

Je ne suis pas contre les soutenir là dessus ! Se battre pour la qualité du lait en comté, c'est la bataille d'aujourd'hui. Car cette qualité baisse : le lait est plus gras, fermente plus vite. On ne peut plus le mettre en cave chaude par peur que le fromage éclate. C'est la réputation du comté qui est en cause, mais les vendeurs de robots s'en foutent. Quand on a 800 ou 1000 éleveurs, il y a de quoi se poser des questions. C'est une bataille importante pour la qualité du comté. Il faudra sans doute revoir le cahier des charges...

 

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