Penser ensemble l'avenir de l'agriculture de proximité. Tel est l'objectif des premiers Rendez-vous à la terre qui se tiennent du 29 septembre au 3 octobre à Montain, entre Bresse jurassienne et Revermont. L'organisateur est le Colombier des arts, une association implantée dans un dynamique petit lieu culturel du village voisin de Plainoiseau et ayant « pour ambition de faire infuser la culture et les arts en milieu rural ».
Théâtre, musique, conte, balades guidées par les habitants, bonne chère, expositions, marché paysan sont au programme de l'événement dont la préparation mobilise depuis plusieurs semaines les habitants, des associations à l'Ehpad, du CPIE Bresse du Jura aux élus locaux en passant par la ferme à comté et les maraîchers du village. L'un d'eux, Arnaud Périnet, fait partie du collectif d'animation du Colombier des arts dont la coordinatrice salariée, Pauline Matteoni, est la cheville ouvrière de la manifestation. Celle-ci s'inscrit aussi dans le cadre du projet alimentaire territorial du pays lédonien qui a choisi de « travailler sur l’ancrage territorial des filières bio » et de « s'orienter vers la justice sociale et l’éducation alimentaire ».
S'interrogeant sur les liens que les humains entretiennent avec le sol, sur « ce qui se joue sur une parcelle agricole aujourd'hui en France », le spectacle France profonde de la compagnie bordelaise La Grosse situation, sera l'une des attractions des Rendez-vous à la terre. Il fait notamment entendre des points de vue « qui se frottent, selon qu'on soit futur jeune agriculteur conventionnel ou future cheffe d'exploitation en permaculture, comédienne ou fille de paysans ou les deux à la fois, artiste intervenant dans un lycée agricole ou proviseur dudit lycée... »
Du conventionnel extensif à la bio, une singulière histoire de paysans
Le spectacle sera montré dans la ferme à comté, le GAEC des Vignes. Ce nom fait référence à une production viticole qui a été cédée en 2017 lors du départ à la retraite de Jean Pernot, l'un des associés historiques. Reste la production laitière, récemment convertie en agriculture biologique à l'occasion d'un passage de témoin générationnel, Milène Racle ayant rejoint ses parents Isabelle et Christophe qui s'étaient installés hors cadre familial au tournant des années 1990.
Ecoutons Milène nous raconter avec son père cette singulière histoire de paysans et son inscription dans l'événement culturel de la semaine qui commence mercredi par un deba-péro sur le thème : « les paysans ont-ils besoin des artistes ? (Et vice-versa) ».
- « Je suis née en 1988 à Viriat, près de Bourg-en-Bresse. Mes parents travaillaient dans le contrôle laitier et l'insémination. Ils s'étaient rencontrés à Rambouillet dans une formation d'insémination. Mes grands parents étaient de Loulle [près de Champagnole] et mon grand-père a été directeur du contrôle laitier du Jura. »
- Quel a été votre parcours scolaire ?
- « Après l'école primaire à Montain, le collège Lasalette de Voiteur et le lycée Jean-Michel de Lons-le-Saunier où j'ai fait un bac S, j'ai intégré une école d'ingénieurs agronomes à Cergy-Pontoise, l'ISTOM, qui forme à l'agro-développement international en 5 ans. Il y a deux profils : cadres dans l'industrie agro-alimentaire et gestion de projet agricole que j'ai choisie. Je suis ainsi partie dans différents pays pour effectuer des stages, dont celui de fin d'études de 6 mois au Cameroun, financé par l'Agence française de développement. J'ai enquêté auprès des producteurs de coton... »
- Vous avez découvert ce qu'était la culture de rente (par opposition aux cultures vivrières)...
- « Oui... C'est un peu ça qui m'a fait changer de voie. Quand je suis entrée à 18 ans à ISTOM, je ne voulais pas changer le monde, mais presque. Le système des coopératives et des groupements de producteurs a plutôt bien fonctionné en France, et on essaie de calquer ce modèle sans prendre en compte les contextes locaux. C'est à côté de la plaque. Un exemple extrême, c'est l'achat d'énormes tracteurs qui restent au bord du champ à la première panne... J'étais avec une élève ingénieure camerounaise qui n'avait pas les moyens de financer ce stage, je pense qu'elle aurait été mieux à sa place que moi... »
« Je suis revenue dans le Jura car je ne me sentais pas aller dans l'industrie agro-alimentaire, chez Nestlé, Monsanto ou les produits phytosanitaires... »
- Et les autres pays ?
- « Je suis allée trois mois au Laos dans une entreprise de yaourts et de légumes pour qui j'ai fait des études de marché... »
- Pour les classes moyennes émergentes ?
- « Plutôt pour des sites d'accueil de touristes... Je suis revenue dans le Jura car je ne me sentais pas aller dans la voie où il y a le plus de postes, dans l'industrie agro-alimentaire chez Nestlé, Monsanto ou les produits phytosanitaires. Je n'étais pas prête à partir encore deux ans dans l'aide au développement. Je suis donc restée en France, j'ai répondu à une offre d'emploi du GIGC où je suis restée trois ans, à faire du développement à l'exportation. C'est beaucoup d'accueil de journalistes étrangers, du travail avec des agences de communication dans chaque pays... C'est intéressant de parler des arôme du comté, expliquer comment ils se développent... »
- Qu'avez vous appris sur la filière comté ?
- « Il y a des coins où je n'étais jamais allée, notamment le Haut-Doubs. J'étais arrivée en ayant l'impression de connaître pas mal de choses sur le comté. J'ai découvert l'apport du Centre technique du comté, de l'INRA. Il y a plein de choses qu'on considère positives, mais il ne faut pas penser qu'elles sont immuables et que ce sera toujours comme ça. La filière s'est construite. J'ai vu des jeunes agriculteurs partir bille en tête, s'endetter beaucoup pour investir, en pensant que le prix du lait sera toujours le même... Pour ma part, je suis arrivée dans un GAEC sans reprendre de foncier ou de bâtiment, ce qui n'est pas fréquent... »
- Comment êtes-vous revenue ? Il se murmure que vous avez mis une condition : passer au bio...
- « L'exploitation était conventionnelle, mais plutôt extensive. J'ai dit que je ne m'installerais qu'en bio, et Christophe a entamé la démarche avant que j'arrive... Un truc m'énerve chez certains producteurs qui disent que le comté est presque bio... »
« Si Milène n'était pas revenue, je ne pense pas qu'on serait allé au bio car on était avancé dans la carrière... »
- Pourquoi ?
- « C'est par rapport aux consommateurs. Ceux qui disent cela ne savent pas ce qu'il y a dans le cahier des charges bio. J'avais envie d'aller plus loin. On n'achète pas d'intrants pour fertiliser. On n'achète pas d'azote minéral de synthèse. On ne met pas de produits phytosanitaires sur les céréales... Le passage en bio nous a amené à faire des méteils – ou mêlée –, c'est à dire qu'on sème plusieurs plantes, des céréales et des protéagineux. »
Christophe, qui vient d'entrer dans le petit bureau de la ferme où se fait l'entretien, intervient : « Si Milène n'était pas revenue, je ne pense pas qu'on serait allé au bio car on était avancé dans la carrière. Jean Pernot, qui était parti en 2017, avait une sensibilité pour le non intensif, le raisonnable – je ne dis pas raisonné... Le conventionnel a un avantage : on est toujours dans la sécurité avec des traitements préventifs. Pour nous, passer en bio n'était pas un chamboulement, plutôt une évolution. On était déjà quasiment dans l'autonomie. Sur 127 hectares, on a 100 ha d'herbe et 25 de céréales, pour 85 UGB. Avant, on vendait 10 ha de blé, 5 ha de maïs, et on achetait 20 tonnes de tourteau. Ce qu'on vendait sevait à acheter le soja. Maintenant, on ne vend plus rien et on n'achète plus rien.»
- Et sur le plan vétérinaire, qu'implique le bio ?
- Milène : « Trois traitements par an et pas vache au maximum. On va vers l'homéopathie. On n'utilise pas d'antibiotique systématique. On ne fait pas de tarrissement aux antibiotiques... »
- Christophe : « Les conventionnels en utilisent de moins en moins... »
- Est-ce difficile ?
- Milène : « Non. On s'est formé aux médecines alternatives... »
« Cela me fait plaisir quand les gens s'arrêtent à la ferme, discutent, posent des questions... »
- Quelle est l'articulation de tout cela avec les Rendez-vous à la terre ?
- Milène : « Tout de suite, ça nous a parlé : offrir de la culture dans un lieu non dédié. Dans les Rendez-vous à la terre, il y a l'idée de nous interroger, éleveurs et maraichers, sur le lien qu'on entretien avec nos voisins, pour vivre en bonne entente et cohabitation avec eux. Cela me fait plaisir quand les gens s'arrêtent à la ferme, discutent, posent des questions. C'est important que les éleveurs vertueux soient à l'écoute des consommateurs. »
- Christophe : « Si on transforme notre production en équivalent protéines animales, on nourrit 1500 personnes... »
- Milène : « ClimAOP, une étude de la Confédération paysanne et Interbio, vient d'être lancée pour voir qui émet le plus de gaz à effet de serre, les grandes ou les petites fermes. Mieux vaut exploiter des prairies qui sont des puits de carbone... On étudiera aussi avec l'effet des haies, on en a 10 km sur la ferme... »
- La ferme accueille un spectacle !
- Christophe : « Aujourd'hui [lundi], on ne sait pas où il sera... »
- Milène : « Il y a trois options : 100% à découvert, à l'abri, entre les deux... On va déjà vider le bâtiment du matériel... »
- D'où vient le projet ?
- Milène : « Depuis qu'Armelle Bidault [maraichère associée à Arnaud Périnet] est installée sur un terrain qu'on exploitait. Ce projet, c'est aussi une relation de collègues. Faire cet événement à Montain, c'était intuitif, facile. On a l'habitude de travailler ensemble, on partage pas mal de valeurs... »
- La coopérative fruitière de la haute Seille, à Lavigny, est en travaux et son magasin va enfin vendre du comté bio...
- Christophe : « Ça fait vingt ans qu'on fait du comté bio à la coop... »
- Milène : « ...mais ce n'est pas visible que 6 des 23 sociétaires font du bio. Il y en aura au magasin. Le discours des vendeurs devra évoluer, il faudra leur donner les arguments sans les mettre en difficulté... »
- Christophe : « La filière est tellement valorisante pour les conventionnels... Dans les années 1990, Jean-Jacques Bret [ancien directeur du CIGC] avait proposé une évolution du cahier des charges quasiment en bio... Ça avait été refusé... »
- Cliquer ici pour voir le programme des Rendez-vous à la terre