L’éphémère, le fugace et la découverte

Temple du commerce de l’art, la foire d’art contemporain de Bâle qui s'est tenue du 13 au 19 juin, s’est imposée comme un événement européen majeur avec plus de 4000 exposants. Destinée à un large public, on y croise chaque année des galeristes, des touristes français, italiens, des Bâlois. 220 galeries sélectionnées présentaient des artistes les plus cotés internationalement ainsi que la scène émergente.

koons_2015

Des masses imposantes de métal superposées créent une immense ruche de verre et de fer, chaque galerie est une alvéole qui détient les œuvres d’artistes les plus cotés de la planète. La visite de ce marché permet de voir des propriétés de galeries.. qui deviennent celles de collectionneurs. C’est le seul moment de l’année où vous pouvez avoir la chance de les observer.

L’espace est à la fois une foire de vente et un lieu de visite découpé en trois parties. Au rez de chaussée, l’art moderne dévoile des peintures et dessins, des Egon Schiele, Picasso, aux estampes de connaisseurs. Au premier étage, la peinture contemporaine se décline dans différentes représentations, de la peinture à la sculpture. Une peinture qui se regarde elle-même évoluer avec le temps, comme The wall de Eric Fischl, qui observe les personnages du manège du marché de l’art avec une ironie certaine.

Un espace particulier à ArtBasel est conçu pour les œuvres qui ne rentrent pas dans un salon (de collectionneur). Sans limites « Unlimited » a été créé en 2000, trente ans après la création de la foire, afin de pouvoir prêter un lieu aux œuvres de taille monumentale. 


The wall, d'Eric Fischl 

Il accueillait ces derniers jours 88 œuvres : installations immersives, dans des alcôves, et des sculptures géantes. Elles correspondent à une autre vision de la rencontre avec l’art : l’expérience de rencontre avec l’œuvre s’effectue dans une organisation totalement empirique. Il est question de savourer et d’entrer en contact direct de manière physique, en déambulant autour et à l’intérieur.

Le sentiment de « prouesse »

C’est un effet de grandeur, de triomphe de l’œuvre qui se crée et happe le regardeur.

Il faut voir que la grandeur est le fait des objets eux-mêmes, des éléments qui composent l’œuvre. Ces éléments sont assemblés et s’assemblent dans un rapport harmonieux, un équilibrage dans la structure technique, perceptible visuellement, créé le sentiment de « prouesse » lorsqu’on observe.

Tout ce qui fait le senti personnel d’une œuvre semble comme plus évident lorsque nous sommes face à elle.

Ces œuvres, contrairement au reste de la logique de la ruche, sont comme libérées de ces codes, s’élevant dans les hauteurs du grand hangar.

Vivante, « Mimed Sculptures » de Davide Balula est une œuvre invisible. Elle se meut, silencieuse, arrive jusqu’à nous, et rappelle cette sensation inaccessible de l’incompréhension, de la frustration et du vide. Les sculptures sont recréées par une dizaine de mimes mais il est impossible d’en capter la forme. Nous sommes perdus et fascinés dans la réinterprétation de chefs-d’œuvres, et l’artiste nous laisse deviner le sens de cette réappropriation.

Gli 2010, El Anatsui
Gli wall, El Anatsui

Gli (Wall) d’El Anatsui est intéressante car elle touche vraiment la phénoménologie des perceptions, et au concept de luxe. L’artiste ghanéen crée d’immenses tentures, à mi-chemin entre la sculpture, la toile et la fresque murale ornementale. Apparaissant comme des chimères, cousues de fil d’or flottant dans l’air, ce trompe-l’œil surprend par l’éclat des matériaux. Leur origine ? des capsules de bouteilles, coupées, torsadées, cousues. C’est le contraste de l'alchimie de sa création : transformant le métal en or, le déchet en une œuvre qui nous enveloppe de luxe, de rareté. L’œuvre est en adéquation et en contraste avec le monde doré de l’art contemporain.

Les murs sont des constructions, des barrières.

L’œil ne peut percevoir qu’une partie de ce qu’il y a à travers ces barrières.

Le visiteur partie intégrante de la vie des œuvres

La tendance à cette expansion montre que le marché de l’art s’ouvre à de nouveaux modes de communication et à de nouveaux publics. L’art contemporain est réellement devenu un centre d’intérêt de plus en plus accessible, par des expositions, des installations urbaines de plus en plus riches et variées.


L’immersion possible du public rend le visiteur partie intégrante de la vie des œuvres.


Certains artistes travaillent sur l'idée de la place du regardeur, comme Jeff Koons dont les sphères brillantes renvoient le reflet du spectateur, qui aime à se voir et à se reconnaître dans l’illusion d’un chef d’oeuvre. (Gazing Ball, 2015)

La foire met l’amateur d’art au centre de l'évènement, dans une dimension sociale très présente, et l’artiste est l’absent de cet orchestre. La jungle de galeries et d’œuvres empilées se neutralisant les unes par rapport aux autres. La rencontre avec les œuvres peut déboucher sur une appropriation matérielle (collectionneurs), ou sur une série de visions éclectiques (visiteurs-amateurs d’art), compositions d’un cabinet de curiosité. Cet univers, construit d’éléments disparates qui se font écho, a des airs de parc d’attractions singulier.

La valeur marchande semble annihiler
l’expérience d’immersion et
de compréhension d'une oeuvre

Le regardeur observe quelque chose d’éphémère, qu’il ne reverra sans doute pas dans un lieu public. Cet instant fugace de découverte est le plus précieux. L’exposition des galeries enchevêtrées change notre système de représentation des œuvres. Il est vraiment modifié et incite le regard du spectateur à se fier à d’autres critères, à l’interpréter différemment, tant la valeur marchande semble annihiler l’expérience d’immersion et de compréhension d’une œuvre.

Les œuvres paraissent à demi présentes, comme si une de leurs dimensions leur manquait, c’est une surface qu’on a envie de gratter pour voir plus en profondeur. Et elles sont là comme pour témoigner de notre époque en tant que phénomènes, reflet étrange ou familier de ce que nous sommes amenés à voir, connaître, et apprécier. Notre regard est ainsi panoramique, influencé et se doit de s’affranchir.

Ainsi, certaines installations échappent plus à la logique mercantile, et gardent une identité plus prégnante : Jungle Jam de Chelpa Ferro est une installation décalée dans laquelle le rythme sonore critique les technologies automatisées, la consommation de plastiques et la pollution sonore de notre vie quotidienne. 


Le dénuement de la salle et les sacs plastiques suspendus provoquent une magie qui opère par la superposition d’expériences s’articulant dans ce ballet de plastiques ; si ridicule, si simple et si chargé de sens, cette installation intelligente provoque le rire, et interroge sur les moyens de se libérer par l’imagination et la musique.

L’exposition de l’art questionne nos sociétés, l’ère dans laquelle nous vivons, nos goûts et leurs origines. Ce sont des centaines de milliers de points de vue sur des sujets différents, dans une mise en abîme où l’art s’observe lui-même. Des faits historiques, des courants d’artistes, qui sont réinterprétés, remis en question. Tout ce dont on se nourrit, et qu’on arrive à régurgiter d’une manière ou d’une autre, pour faire-œuvre.

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