L’éditrice graphiste et le prolo-peintre

Pascale Lhomme-Rolot et Henri Traforetti exposent ensemble à Besançon jusqu'au 29 décembre. Les créations de l'amoureuse des livres et de la liberté des femmes cohabitent parfaitement avec les toiles sensuelles et inspirées du militant de la dignité ouvrière.

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Plaisir des yeux, d’abord.

Des formes, des couleurs, un dialogue surprenant entre deux langages. En effet, si Pascale Lhomme-Rolot et Henri Traforetti n’explorent pas les mêmes territoires artistiques, leurs œuvres cohabitent parfaitement l’une avec l’autre.

Plaisir plus intérieur ensuite.

Devant chaque création de l’une et de l’autre, un écho résonne, cette vibration des sens qui déclenche un processus complexe d’émotions et de sentiments. De questionnement aussi. Qu’est-ce qu’elle a voulu dire, en utilisant ces rayures jaunes, par exemple ? Qu’est-ce qu’il a voulu dire en peignant cette descente de croix un peu iconoclaste ?

Pascale Lhomme-Rolot est une artiste plasticienne, née en 1966. Elle vit et travaille en Franche-Comté. Elle est diplômée de l’école des Beaux-Arts de Besançon. Pourquoi les Beaux-Arts ? À cette question, l’artiste répond qu’elle ne se voyait pas faire autre chose.

Aux Beaux-Arts, elle était en section graphisme, mais élaborait déjà son propre travail artistique en parallèle. D’elle, elle dit qu’à cette époque elle aime plus faire, qu’étudier. Elle va continuer à faire, mais aussi à étudier, à chercher dans la littérature par exemple, la littérature de femmes tout particulièrement, comment enrichir son travail. En effet, les livres, le papier, surtout le papier, sont des matériaux qu’elle utilise, pense, travaille, expose, fait vivre… certains objets aussi.

Elle a résidé et travaillé en Suisse pendant 10 ans. Revenue en Franche-Comté, elle a gardé des attaches avec ce pays frontalier du nôtre, en intervenant à la Haute École Pédagogique de Lausanne, lors du séminaire annuel consacré au thème du livre comme objet social. Elle s’attache à montrer le processus suivi par divers créateurs, (l’auteur, l’imprimeur, le diffuseur, le libraire…) et retrace un parcours, de la création à la diffusion de l’objet livre.

En 2013, elle a été la lauréate du Prix Tirage Limité, décerné sur le livre d’artiste, avec un texte du poète Bernard Noël, Le passant de l’Athos.

Le livre d’artiste fait partie des créations de Pascale Lhomme-Rolot, créations que l’on peut déguster des yeux, ou acquérir dans son actuel lieu d’exposition. Ils sont en tirage limité.

Collages, livres d’artiste, plateaux décorés… jeu de memory sur lequel on peut s’arrêter un moment. Pascale Lhomme-Rolot a repensé le Memory avec un ami photographe. Chaque carton du jeu est une œuvre particulière, avec des photos de dessins, de tissus, de scènes de la vie, des photos anciennes… photos prises par l’un ou l’autre des artistes.

Il a aussi des cartes postales éditées par les éditions Le Mécano, maison d’édition qu’elle a crée pour elle-même, dans le souci de la cohérence de son geste artistique. Pascale Lhomme-Rolot explore toute la chaine, de la création à la fabrication, la diffusion, jusqu’à l’exposition, la vente… Souci de cohérence, et aussi parce qu’elle se définit comme un être libre.

Elle a fui le travail en agence, et elle est maintenant maîtresse de son temps, indépendante, à son compte… mais ancrée dans une réalité sociale qu’elle participe à faire vivre mieux, en relation avec des associations culturelles, pédagogiques et sociales. Elle anime des ateliers en direction de personnes qui sont éloignées de l’art, parce qu’elle aime transmettre un certain savoir, une certaine façon d’être…

Pascale Lhomme-Rolot aime les gens, les femmes et le papier

Chez les femmes, elle aime celles qui créent, celles qui luttent… Elle aime aussi celles qui vivent une vie dite ordinaire, mais chez qui l’on découvre parfois des pépites d’humanité, d’ingéniosité, de soif de liberté.

Dans son panthéon personnel on trouve Virginia Woolf, Louise Michel la « Communarde », et une des contemporaines de cette dernière, André Léo, dont le prénom s’écrit au masculin. Son véritable patronyme étant Victoire Béra. Des auteures d’aujourd’hui aussi, comme Marie Darrieussecq et Emmanuelle Guattari.

Le papier, un être vivant.

Pascale Lhomme-Rolot parle du papier comme d’un être vivant, avec tendresse, respect et admiration. Ce choix premier est fondateur de son acte de création. Tout ce qui est papier l’intéresse, qu’il soit luxueux, ordinaire, vieux, recyclé… Elle le traque, le déniche dans des endroits inattendus, mélange l’ancien et le contemporain. Une histoire d’amour entre elle et le papier dont elle aime le côté tactile, les différents formats… Une fois qu’elle a trouvé celui ou ceux qui conviendront à ce qu’elle souhaite dire, elle travaille à la recherche d’une bonne adéquation entre le thème et le support.

Son propos n’est pas d’uniquement accrocher des toiles, mais d’installer un dialogue multiple avec de multiples supports. Supports qui peuvent être des objets de récupération, des photos, des tissus… ces différents supports étant mis en relation entre eux, mais également avec d’autres créations.

En ce qui concerne le livre d’artiste, elle s’applique à réaliser un travail tout en finesse sur le texte, l’image du texte… cela passe par une réflexion qui prendra en compte le format et la nature de la typographie. Rien n’est laissé au hasard, tout fait sens.

Un travail, un projet en cours : en lien avec l’essai de Virginia Woolf, Un lieu à soi, qui fut aussi traduit comme Une chambre à soi. L’essai, publié en 1928, se penche sur les raisons qui empêchent ou freinent les femmes, d’accéder à l’éducation et à la création littéraire. Virginia Woolf affirme qu’une femme doit disposer « De quelque argent et d’une chambre (ou d’un lieu) à soi » si elle veut écrire. On peut étendre cette affirmation au fait de peindre, de sculpter, de faire de la musique…

Ce projet en cours (et qui cherche une éventuelle aide financière pour sa réalisation) sera librement inspiré par l’essai de Virginia Woolf. À partir du texte, il s’agit d’installer un espace qui permettra à un public, même non averti, d’être touché par le thème de la condition de la femme artiste. Ce projet artistique mettra en scène deux espaces : le cabinet de curiosité composé de livres, gravures, collages, installations… et le salon de thé dédié à la dégustation, à la lecture et aux échanges. Il y aura des objets, des créations, du texte… et aussi des rencontres avec Marie Darrieussecq.

Espace mixant dessins, éléments textiles, balancement entre le jeu décoratif, confection tout azimut de textures, zones crayonnées, objets de pacotille, esquisses sous le mode de la note ou de la cartographie abstraite, Pascale Lhomme-Rolot développe un travail artistique constitué d’un assemblage d’objets fantaisie tenant du bricolage de formes avec l’idée du handcraft.

Elle aime reprendre une citation de Dick Hebdige, qui cite Max Ernst.

« Le bricoleur sous-culturel, tout comme l’auteur d’un collage surréaliste, « juxtapose deux réalités apparemment incompatibles et c’est là que la rencontre explosive a lieu. »

Henri Traforetti, un militant et un peintre

Henri Traforetti est né en 1941. Il vit et travaille dans un village proche de Besançon. Enfant, il aimait dessiner et il ne s’en tirait pas trop mal. Mais il n’a pas exploré cette voie, ou cette voix qui l’incitait à s’exprimer, crayon à la main. L’envie de peindre l’a de nouveau « titillé » à l’adolescence. Il n’a pas osé. Pas encore.

On peut dire que cette envie, ce besoin de peindre, sont restés enfouis dans quelques recoins de son esprit, n’attendant que le bon moment pour s’exprimer au grand jour. C’est aujourd’hui chose faite. Après bien des péripéties et nombre d’expériences qui alimenteront son art, Henri Traforetti fait enfin ce qu’il avait envie de faire : peindre.

Sa production est foisonnante, multiple dans les thèmes qu’il explore, colorée, parfois sensuelle, parfois iconoclaste.

Si l’on dit de certains écrivains qu’ils écrivent toujours le même livre, le peintre Traforetti ne peint pas le même tableau. À tel point que d’une exposition à l’autre, la question se pose parfois : c’est bien lui ?

Qui a suivi le peintre dans son parcours, note à quel point, aujourd’hui, sa technique s’est affirmée.

Avant d’être artiste peintre, Henri Traforetti a été ouvrier à La Rhodiacéta, à Besançon, un haut lieu de l’industrialisation, mais aussi un haut-lieu des luttes ouvrières qui se sont développées dans les années 70, sans parler des « événements » de 1968.

Militant syndical CGT, il est un des créateurs du groupe Medvedkine, de Besançon, une expérience militante qui utilisait l’audiovisuel pour donner la parole aux ouvriers. Aujourd’hui encore, Henri Traforetti s’emploie à perpétuer la mémoire de ce groupe, groupe qui a donné plusieurs films sur le monde ouvrier des années 1967/1974. Les films étant tournés par les ouvriers eux-mêmes. Il y a également eu un groupe Medvekine, à Sochaux.

Henri Traforetti, un militant avant d’être un artiste peintre

Avec son implication dans le groupe Medvedkine, Henri Traforetti était déjà dans un acte de création militant. Cette mémoire là ne l’a pas quitté. Elle continue à être une sorte de carburant dans sa création artistique d’aujourd’hui. D’ailleurs, il le dit lui-même, le monde tel qu’il le voit, l’analyse et le décrypte, ce monde en mouvement, en évolution, constitue la chair, les muscles et le sang de son travail d’artiste.

On ne peut pas dissocier la peinture d’Henri Traforetti, de sa vie d’homme engagé à défendre certaines valeurs. Dont celle de la dignité de l’Homme. Et sa peinture est à son image : tonique, ironique, sensuelle, iconoclaste, pleine de vie, jamais cynique. C’est une peinture d’espoir, une peinture chaleureuse. Le qualificatif de militant lui colle à la peau.

Avant de peindre, donc, une expérience avec le cinéma militant. C’est déjà une affaire d’image.

Après la Rhodia, et ce n’est pas un hasard, Henri Traforetti devient secrétaire général de l’union locale CGT, à Besançon. Dans ses temps libres, il s’amuse à faire des petits cartons sur lesquels il essaie de reproduire les œuvres des grands-maître. Il trouve difficile, voire impossible de se confronter à cette peinture-là. Mais il offrait ces cartons aux « camarades ».

Quand il « se démissionne », ainsi qu’il le dit lui-même, de son poste de secrétaire général de l’union locale, ces mêmes camarades à qui il donnait ses premiers cartons peints, lui offrent un coffret de peintures à l’huile.

Un beau cadeau. Une reconnaissance de son travail, même imparfait. Une invitation à continuer : vas-y camarade ! La peinture, c’est aussi pour toi, c’est aussi pour nous !

Mais il faut « gagner sa croûte », et la peinture remplit peu d’assiettes !

Pendant 10 ans, Henri Traforetti va travailler pour la municipalité de Besançon, chargé, entre autres, de la sécurité routière. Loin de l’art, donc ! Mais la boite de peintures à l’huile a re-entrouvert la porte vers l’univers de la création artistique. Alors, il peint un peu, un peu seulement.

En 2002, son « pot de départ » à la retraite, dans une des salles du Kursaal, donne lieu aussi à une exposition de ses œuvres. Aujourd’hui, il dit que ce qu’il a exposé, « c’était tout et n’importe quoi ». Une expression d’émotions, du ressenti, jetés sur le papier, sans réel travail de ces émotions et de ce ressenti. Il note la perplexité des premiers « spectateurs » de son travail qui suscite des réactions extrêmes, d’adhésion ou de rejet.

Lui-même n’est plus très sûr de qui il est en tant que peintre, et ne se sent pas dans un bon contexte pour continuer à travailler le dessin, la couleur... Et même, il abandonne l’idée de peindre pendant plusieurs années.

Il faudra une rencontre pour que l’homme et le peintre se remettent en marche. Une rencontre grâce au groupe Medvedkine, en quelque sorte. Une rencontre avec Michèle Tatu, spécialiste du monde du cinéma et chroniqueuse à Factuel. L’histoire des films du groupe l’intéresse, la passionne même. Elle rencontre Traforetti. Il lui donne toutes les infos voulues sur le groupe. Il lui montre aussi quelques peintures. Elle lit dans ce qu’il lui donne à voir, une véritable expression artistique, elle découvre un univers singulier, propre à Henri Traforetti, univers qui peut être partagé avec d’autres.

Une muse est née, doublée d’une impresario.

Henri Traforetti se remet à peindre. Presque avec frénésie. Qui a vu sa maison-atelier est impressionné par l’ampleur de son travail.

Toujours muni d’un carnet, il attrape au vol des silhouettes, des décors, des instants de vie… il s’inspire de tout ce qui se passe autour le lui. Ces premières esquisses donneront lieu… ou pas, à un tableau de moyen ou de petit format.

Il explore le thème du couple, celui de la foule, celui de la sensualité. Il n’oublie pas le monde animal, présent dans nombre de ses tableaux. On y trouve des chiens, des chats et des éléphants parce que, dit-il, l’animal est indissociable de l’humain.

Il est parfois un peu iconoclaste, en traitant, par exemple, la descente de croix d’une façon qui lui est très personnelle, ni vulgaire, ni agressive, mais qui peut choquer quand même.

Il absorbe tout, comme une éponge, avant de restituer ce qu’il a ingéré, digéré, sur la toile, sur le papier, sur le papier surtout. Il crée avec bonheur, et transmet du bonheur.

Comment qualifier sa peinture ?

Elle est… Traforettienne. Et ses tableaux n’ont pas de « titre », parce qu’il pense que c’est à l’acheteur de lui en donner un, que quittant son atelier, sa peinture ne lui appartient plus, que c’est bien que chacun se l’approprie à sa manière.

 

 

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