L’écriture est si forte qu’on y est, dans le wagon…

Dans « Dernier convoi pour Buchenwald », Roger Martin prend le relais de Primo Levi en proposant un roman sur l'univers concentrationnaire nazi où tout est fait pour réduire l'humain à rien, mais au sein duquel des hommes se redressent et s'organisent en mettant leurs ressources au service des autres pour continuer à penser. A espérer...

rogermartin

Roger Martin était présent au 17ème festival des littératures policières, noires et sociales, qui s’est tenu à Besançon, les 17 et 18 mai 2014. Le dimanche matin, il a joué à la traditionnelle partie de pétanque, à Granvelle, sous un beau soleil.

Il a surtout présenté son roman, Dernier convoi pour Buchenwald (Éditions du Cherche Midi) Le débat était animé par Frédéric Bertin-Denis, auteur de Viva la muerte !, un roman dont je recommande aussi la lecture.

Danièle Secrétant, qui publie sa première chronique dans Factuel.info, est écrivain et habite Besançon. Elle a notamment écrit Les Hommes des sous-bois.
Pour prolonger, lire en cliquant ici une interview de Roger Martin dans La Marseillaise.

La rencontre entre ces deux auteurs, leur entente, étaient inévitables.

Deux romans noirs, puissants, engagés, militants.

Convier le lecteur à monter dans ce Dernier convoi pour Buchenwald, n’est pas, on s’en doute, proposer un voyage plaisant. C’est, cependant, un voyage dont on ressort grandi, et un peu mieux éclairé sur la nature humaine, dans ce qu’elle a de grand, mais aussi de terriblement inhumain. L’écriture est si forte, le style si direct, qu’on y est, dans ce wagon. On a soif, on a faim, on a peur. Certains meurent. Une épouvantable odeur de corps pas lavés, de pisse, de merde et de vomi. Le corps à corps imposé avec d’autres corps.

Une entreprise méthodique, cruelle, perverse, de déshumanisation, orchestrée par les nazis et leurs nervis.

Pourtant, il importe de lire ce roman.

Dans ce convoi, des militants communistes, des trotskistes, des résistants, des juifs…

Parmi eux, un homme dont nous allons suivre l’histoire. Il sera le fil conducteur dans le récit de cette horreur qui a vraiment eu lieu.

Robert Danglars est instituteur. Pacifiste, il a participé, en Bretagne à des actions de propagande en direction des soldats allemands. Puis il s’est rapproché des trotskistes. Roger Martin se fait le fidèle historien des luttes fratricides entre communistes et trotskistes français. En 1943, le réseau est démantelé. Danglars et ses camarades sont arrêtés, et torturés.

En 1944, Danglars, emprisonné à la prison de Rennes, se voit proposer un marché. S’il veut sauver la vie de sa mère et celle de sa sœur, il doit tuer un dirigeant communiste déporté. Puisque cette mission est dite sur la quatrième de couverture, je peux la révéler ici. Les allemands et les français collabos savent que la fin est proche. Ils jouent sur les conflits entre communistes et trotskistes.

« Un vacarme infernal. Les portes viennent de se refermer. On entend le claquement sec des loqueteaux que l’on pousse. Le wagon est un modèle classique, bien connu des poilus de 14-18. Mon père a dû partir au front dans un de ses semblables. Hommes :40, Chevaux en long :8. Tout à l’heure, alors que nous roulerons dans la campagne, qu’un semblant d’organisation se sera mis en place, nous apprendrons que nous sommes cent vingt. Les langues se délient. Partout la même interrogation. Où allons-nous ? Des noms circulent. Auschwitz, Dachau, Mathausen…

J’ai failli crier. Je serre les dents. Je suis le seul à connaître notre destination.

Buchenwald. »

Au cours du récit, il y a ce qui s’est passé avant le camp. Puis il y a le camp.

Et voici pourquoi il importe de lire ce roman.

Dans cet univers où tout est fait et pensé pour réduire l’humain à rien, des hommes se redressent. Ils s’organisent, ils prévoient la victoire, la libération. Dans un endroit de l’enfer du camp où même les bourreaux n’osent pas mettre les pieds à cause du typhus, ils cachent des enfants juifs promis à une mort atroce. Ils mettent leurs ressources au service des autres. La culture. Le théâtre. La musique. Continuer à penser. À espérer.

« Hewitt joue lui aussi, et compose de mémoire, des savants viennent parler d’Einstein et de la relativité, d’autres font des conférences sur Pascal, Voltaire, Giraudoux, des peintres dessinent, sculptent, des poètes disent des textes et organisent même des concours. Une vie intellectuelle intense s’organise, qui, des Blocks français, gagne les autres.

Et moi, je passe mes nuits avec Alexandre Dumas et le Comte de Monte-Cristo.

Qui le croira ? Qui estimera un jour ce que nous devons à ces activités qui valaient, découvertes, arrêt de mort à ceux qui les initiaient et dont le Comité jugeait qu’autant que le pain et les colis partagés elles contribuaient à nous empêcher de devenir des bêtes ? »

De la pensée, de la culture, du courage, des principes… des armes aussi. Bricolées. Volées.

Si c’est un homme, a écrit Primo Levi. Ce poème :

Vous qui vivez en toute quiétude

Bien au chaud dans vos maisons,

Vous qui trouvez le soir en rentrant

La table mise et des visages amis,

Considérez si c’est un homme

Que celui qui peine dans la boue,

Qui ne connaît pas de repos,

Qui se bat pour un quignon de pain,

Qui meurt pour un oui pour un non.

Considérez si c'est une femme

Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux

Et jusqu'à la force de se souvenir,

Les yeux vides et le sein froid

Comme une grenouille en hiver.

N'oubliez pas que cela fut,

Non, ne l'oubliez pas :

Gravez ces mots dans votre cœur.

Pensez-y chez vous, dans la rue,

En vous couchant, en vous levant ;

Répétez-les à vos enfants.

Ou que votre maison s'écroule,

Que la maladie vous accable,

Que vos enfants se détournent de vous.

 

En 2013, avec son roman, Roger Martin prend le relais.

Et Robert Danglars, me demanderez- vous ? Il a exécuté son « contrat ?».

Réponse à la fin du roman.

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