Le retour du commissaire Morteau

En lisant L’Origine du crime, polar de Sébastien Lepetit sous-titré Deux enterrements à Ornans, le lecteur amateur de peinture, de Courbet tout particulièrement, va aller de découvertes en redécouvertes.

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En lisant L’Origine du crime, polar sous-titré Deux enterrements à Ornans, le lecteur amateur de peinture, de Courbet tout particulièrement, va aller de découvertes en redécouvertes. On avance dans ce roman avec le même plaisir que dans une exposition du grand maître natif d’Ornans.

Plus encore. Sébastien Lepetit, par petites touches de sa plume, crée, ou recrée, en mots, les magnifiques paysages d’Ornans et de ses alentours.

Où l’on retrouve le commissaire Morteau

Le guide, dans ce polar… pictural, c’est le commissaire Morteau. Il faut lire, où relire le roman où ce commissaire un peu à l’ancienne apparait pour la première fois, un roman au titre insolent et bien vu : Merde à Vauban !

Morteau n’est plus très jeune, il est alcoolique mais attention ! il aime les vins du Jura… et la bonne chair qui va avec. Pas toujours très propre, un chapeau marron vissé sur la tête, des moustaches… Seul. Très seul. Quand il rentre chez lui, c’est pour parler à un ours en peluche, Flocon, à qui il prête sa voix en bêtifiant un peu… et même beaucoup.

- Teuh ne t’emmerde pas, mon poteuh, fit Flocon ! Teuh n’envoies les jeunes faire le boulot chez les Suédois et toi, teuh ne passes un week-end peinard à Ornans. N’est un beau métier d’être le chef.

Comment passe-t-on de Besançon/Ornans à la Suède ?

Grâce à un tableau. Et à un peintre venu de Suède au motif de suivre les traces de ses ancêtres belliqueux, qui sévirent autrefois dans notre région. Il interprète (il n’est pas le seul) à sa façon, l’œuvre de Courbet.

Au départ de l’enquête menée par Morteau, un tableau.

Les paysans de Flagey revenant de la foire

Madame Montfort, dont le charme ne laisse pas Morteau insensible, prétend que son mari (assassiné dans Merde à Vauban), a acquis une autre version du célèbre tableau que l’on peut admirer au musée de Besançon.

- Êtes-vous sûre de ne pas vous tromper ? C’est un tableau très grand qui doit bien mesurer deux mètres sur trois…

- Non, reprit-elle, pas celui-là. Il est beaucoup plus petit. Courbet a fait plusieurs exemplaires de ce tableau. Le nôtre et celui du musée d’Ornans sont plus petits.

Alors, ce tableau ? Authentique ? Où serait-ce celui qui a été volé à Ornans ? Où un faux ? Combien de versions Courbet en a-t-il peint ? Avec cette paysanne au panier qui se déplace…

Sébastien Lepetit, afin que le lecteur ne soit pas trop dérouté, explique que Courbet a bien peint trois versions du tableau Les paysans de Flagey… Le premier a été détruit, le deuxième est celui que l’on peut voir au musée de Besançon, et le troisième a été virtuellement emprunté à un collectionneur privé, pour les besoins du roman.

Morteau commence à essayer de démêler le vrai du faux, afin que madame Montfort, qui décidément lui plait beaucoup, n’ait pas d’ennuis avec l’Office Central de Lutte contre les Trafics des Biens Culturels. Le tableau a été acquis dans des conditions illégales. 50.000 euros payés de la main à la main.

- À l’occasion d’une expertise légale opérée la semaine dernière, dans le cadre de la succession du sieur Montfort, poursuivit Poussignac, l’expert mandaté a repéré un tableau présent au domicile conjoint du défunt et de son épouse, mais qui n’entrait pas dans la succession. Ledit tableau étant semblable à un tableau volé, le 18 septembre 2005, au musée d’Ornans, l’expert nous a signalé sa découverte, conformément aux procédures en vigueur.

Trois peintres sans grand talent font partie du paysage de ce polar aux multiples rebondissements, fausses pistes… sans oublier deux meurtres.

Arthur Berthelange, dit Artus, Erik Eysson, un peintre venu de Suède, et Thierry Autechaux, dit Ocho…(prononcer Otcho).

Les enterrements à Ornans ne sont plus ce qu’ils étaient

Un tableau volé, peut-être un faux, l’éventualité d’un trafic d’œuvres d’art … tout cela ne serait pas bien grave si Artus (le premier mort dans ce roman) n’était pas mort dans des conditions étranges, et si son frère, le Docteur Berthelange n’avait pas signé lui-même le certificat de décès avant de faire incinérer rapidement la dépouille du peintre.

Qu’est-ce qu’une telle précipitation cache ?

Morteau se rend à l’enterrement.

[…] La cérémonie devait être terminée et la crémation en cours car quelques personnes discutaient à voix basse devant l’entrée. Debout contre leur propre voiture, Morteau et Monceau les observaient à une distance suffisante pour respecter le choix de la famille de préserver son intimité.

- Les enterrements à Ornans ne sont plus ce qu’ils étaient, lâcha Morteau.

Monceau sourit à la plaisanterie du commissaire. Il se remémorait « Un enterrement à Ornans », le tableau qu’il avait vu avec Lucie au musée d’Orsay. La foule recueillie autour du cercueil drapé de blanc, le prêtre vêtu d’une soutane noire et d’une étole aux côtés du maire laïc, les révolutionnaires, le juge franc-maçon côtoyant le Christ en croix, et le chien blanc à tête noire au bord de la fosse, avec en arrière-plan les falaises calcaires de la vallée d’Ornans. Il n’y avait guère que les falaises qui étaient toujours présentes aujourd’hui.

Où l’on retrouve aussi Fabien Monceau

Un flic parisien qui a été nommé à Besançon, au sortir de l’École Nationale Supérieure des Officiers de Police. Un duo de choc avec Morteau. Le vieux flic et le jeune flic. Des méthodes différentes, mais force reste à l’expérience.

Bien sûr, il ne pouvait pas dire qu’il y était malheureux, et il n’était pas peu fier de sa première enquête avec ce vieux soiffard de commissaire Morteau.

Première enquête à retrouver dans Merde à Vauban.

Pendant que Morteau commençait à se pencher sur l’énigme du tableau, Monceau était parti en vacances à Paris. Il y rencontre une belle Italienne, Lucia, amateur de peinture. Elle le presse d’écourter ses vacances, de revenir avec elle, à Ornans, où elle souhaite s’imprégner des beautés que Gustave a reproduites sur ses toiles.

- Eh bien, j’ai bien aimé les moments avec toi et tu m’as donné envie d’aller voir d’autres tableaux de Courbet. Et comme j’ai un peu de temps, j’ai pensé que je pourrais aller avec toi et que tu me fasses découvrir Ornans avant de rentrer.

Qui est véritablement Lucia ? Une simple touriste amateur d’art ? Un rouage dans un trafic de tableaux de grands-maître ? Pourquoi s’est-elle rendue chez le Docteur Berthelange, médecin à Ornans et frère d’Artus ?

On retrouvera le corps de Gérard Berthelange, au fond du puits de la Brême. Assassiné lui aussi. Deuxième mort !

Morteau n’est pas un spécialiste, mais tout de même, dans l’atelier d’Artus qu’il va « perquisitionner », il s’étonne devant une toile.

Morteau s’arrêta, médusé, devant un tableau visiblement récent et encore posé sur un chevalet.

- Quelle horreur, lâcha-t-il.

Monceau vint le rejoindre

- C’est quoi ce truc ?

- Tu ne le reconnais pas ?

Le lieutenant regarda plus attentivement. Soudain, une image lui revint en mémoire. Il avait vu un tableau ressemblant à celui-ci au musée d’Orsay, une immense toile très sombre représentant « Un enterrement à Ornans ». Ici, la toile était beaucoup plus petite et beaucoup plus claire. Tous les personnages étaient bien à leur place, dans la même posture que dans le tableau de Courbet, mais ils étaient remplacés par des femmes entièrement nues peintes en vert, tantôt vert pomme, tantôt vert d’eau. Certaines étaient coiffées d’un sac en plastique blanc tandis que celles qui figuraient les hommes du tableau de Courbet portaient une sorte de pot de fleurs renversé ou de cloche en guise de couvre-chef. Le pauvre enfant de chœur était quant à lui affublé d’un maillot de bain, de palmes et d’une bouée en canard. Le tout donnait une peinture criarde et même les falaises ornanaises en arrière-plan avaient été maltraitées, baignant dans une lumière verte tirant sur le jaune.

Non vraiment, les enterrements à Ornans ne sont plus ce qu’ils étaient !

Sous ces peintures hideuses - celles du Suédois ne valent pas mieux - ne trouvera-t-on pas des copies du peintre ornanais, copies qui alimenteraient un marché noir de l’art ?

Et Ocho ? Le troisième peintre est aussi l’ex-mari de d’Agnès Deluz, une collègue de Morteau qui l’ignore superbement… jusqu’à ce qu’elle se fâche. – Je ne suis qu’une femme à vos yeux, je ne mérite peut-être pas votre attention, mais je suis aussi un agent de police. Alors si l’homme que vous êtes méprise la femme que je suis, la moindre des choses serait que le commissaire de police ait un minimum de respect et de considération pour sa collègue même si je ne suis qu’un simple agent.

Morteau, un flic grincheux, très seul, un peu alcoolique, pas toujours très propre, un chapeau marron vissé sur le crâne, une moustache… et salement macho !

On l’aime quand même !

Sans le savoir, et sans le vouloir, Agnès Deluz lui donnera une indication pour le dénouement de l’enquête, alors qu’il l’a invitée au restaurant pour se faire pardonner sa goujaterie.

Et bien sûr, une galerie d’art

Elle se trouve à Besançon. La galerie d’art Gérôme, en hommage au peintre Jean-Léon Gérôme, peintre et sculpteur né à Vesoul en 1824. L’homme qui a vendu le tableau au mari de Béatrice Montfort prétendait être un descendant de Courbet, et légitime propriétaire de l’œuvre d’art.

- Il y avait peut-être une lointaine ressemblance avec « le fumeur de pipe » ou « L’homme blessé » mais Courbet était brun, et ses traits étaient très fins. Regardez « L’autoportrait au chien noir » ou « Le désespéré ». Il y avait quelque chose de féminin dans son visage. Le vendeur de mon tableau n’avait absolument rien de cela.

Courbet a bien eu un fils en 1847 avec Virginie Binet, précise Sébastien Lepetit en note de bas de page. Il ne l’a pas reconnu car, disait-il : “J’ai suffisamment à faire avec l’Art sans m’occuper de ménage, et puis un homme marié, pour moi, c’est un réactionnaire”. Ce fils est mort à 25 ans. Mais, pour les besoins du roman, pourquoi n’y aurait-il pas un descendant ?

Une galeriste sait, en général, beaucoup sur la vie des peintres.

Morteau coupa au travers de la Boucle jusqu’au pied de la Citadelle et remonta les premiers mètres de la rue de la Vielle Monnaie jusqu’à un portail donnant sur le cloître d’un ancien couvent. L’intérieur de la chapelle, entièrement aménagé sur trois niveaux de barres métalliques et de plaques de verre ressemblait à un de ces musées modernes froids et sans âmes.

[…]

Morteau s’arrêta devant un tableau dont le titre l’interpellait. Une sorte de coulée bleu électrique parsemée de taches vert pomme et jaune citron serpentait au milieu d’un entrelacs de tiges brunes et de plaque noires.

Une interprétation… fantaisiste ? … moderne ? … inspirée ? du tableau de Courbet Le puits noir ! Décidément, Morteau n’aime pas cette peinture …moderne ?

Valérie Gouhelans est la propriétaire de la galerie. Elle ne sait rien de ce tableau dont lui parle Morteau, le troisième exemplaire des Paysans de Flagey revenant de la foire. Ocho aura peut-être des informations.

Ocho devait avoir environ soixante ans, mais il cultivait un genre bohème qui seyait à son état d’artiste peintre en rébellion contre la société.

[…]

Une galerie d’art. Un tableau de Courbet dont l’origine est douteuse. Trois peintres médiocres dont l’un, Artus, est assassiné. Un peintre venu de Suède. Une touriste Italienne qui n’est pas tout à fait ce qu’elle parait être et dont s’est entiché le lieutenant Monceau. Le frère d’Artus, médecin à Ornans, assassiné à son tour.

Une bien étrange affaire entre les falaises calcaires de la vallée de la Loue, la Boucle de Besançon, l’Italie, la Suède… et un dénouement inattendu.

Flocon, l’ours en peluche, y gagnera un compagnon, Glaçon, un chat tout blanc et sourd.

Et Morteau ?

- Je crois que l’on va bien s’entendre, tous les trois, fit Morteau en prenant Glaçon sur ses genoux.

- Euh… ! N’en suis pas sûr, moi, ajouta Flocon…

Quand la plume se fait pinceau…

La Brême continuait son cours tranquille en direction de la Loue, tandis qu’un bras du ruisseau s’enfonçait dans la forêt. Les policiers le suivirent, entrant ainsi dans la pénombre à l’approche du puits de la Brême. Il ne restait plus guère qu’un mince filet d’eau qui venait se jeter dans le gouffre. Si Morteau avait cru aux enfers, c’est ainsi qu’il en aurait imaginé l’entrée. Au milieu d’une forêt dont toutes les pentes aboutissaient ici, la terre soudain disparaissait dans un cratère d’une dizaine de mètres de diamètre et de profondeur. Ça et là, quelques filets d’eau suintant de quelques sources ruisselaient également vers les eaux profondes qui stagnaient au fond du gouffre. En cette saison, le puits de la Brême était comme endormi, se contentant d’avaler le trop-plein du ruisseau et quelques eaux d’écoulement. Mais qu’il se mette à pleuvoir durant plusieurs jours, ou bien que les nappes phréatiques se gorgent de l’eau issue de la fonte des neiges sur les hauteurs du Jura à quelques kilomètres de là, et la rivière souterraine se mettrait à gonfler, à bouillonner au fond du gouffre, puis à monter et à vomir vers le cours de la Brême. Les eaux sorties tout droit de cet antre infernal emporteraient alors tout sur leur passage, branches, feuilles, terre et pierres, transformant le tranquille ruisseau estival en torrent noir et tumultueux, ne retrouvant le calme que plus loin, au moment de se glisser dans le large lit de la Loue.

Et quand La truite de Courbet s’enivre…

C’est le commissaire Morteau qui raconte. L’histoire est véridique.

Le dimanche 11 août 1901, la chaleur était lourde et l’on sentait bien que l’orage était proche. Il se déclencha brutalement un peu après midi. La foudre traversa le ciel de Pontarlier et s’abattit sur l’usine Pernod, une des plus grandes distilleries de Pontarlier. L’incendie fut terrible et dura quatre jours entiers. Fort heureusement, le pire avait pu être évité grâce à la réaction d’un ouvrier. Dès que les flammes commencèrent à mordre les premiers pans de l’immense bâtiment, il se précipita vers les cuves qui contenaient plus d’un million d’hectolitres d’absinthe et ouvrit les vannes pour éviter une immense explosion qui aurait sans doute détruit toute la ville. Le précieux liquide coula dans le Doubs et l’on raconte que certains se précipitèrent pour remplir des bouteilles d’absinthe directement dans la rivière. Même les soldats en garnison en remplissaient leur casque pour s’offrir une soirée d’ivresse.

[…]

Le plus extraordinaire ne se produisit que deux jours plus tard. La nouvelle se répandit dans toute la Franche-Comté et l’on en parle encore un siècle plus tard. La Loue dont la source coule pourtant à dix-sept kilomètres du Doubs, prit une couleur verte et se mit à embaumer l’absinthe dans toute la vallée. Grâce à cet incendie, on venait de découvrir que la Loue est en fait une résurgence du Doubs.

Et la Vouivre ?

La Vouivre ! C’est un personnage mythique immortel qui commande aux serpents depuis la nuit des temps. La plupart du temps, elle est elle-même un serpent ailé qui file dans les airs comme un trait de feu. Mais parfois, elle retire son escarboucle, un diamant énorme qu’elle porte sur le front, et la pose sur la berge pour aller se baigner dans les eaux de la Loue ou du Pontet. Mais malheur à qui voudrait lui dérober la précieuse pierre aux vertus extraordinaires pendant son bain. Nombreux ont essayé, et on le les a jamais revus. Le plus extraordinaire est que dès qu’elle pose son escarboucle, le serpent fantastique se transforme en femme, une femme nue et belle à en rendre les hommes totalement fous.

Rien n’interdit de penser qu’un soir, au clair de lune et lors de son bain, La Vouivre en ait bu l’eau et se soit livrée à une folle bacchanale avec Gustave, pour l’occasion ressuscité.

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