Le dernier maraîcher de Beure va fermer ses serres

Alors que les affaires marchent plutôt bien pour Pierre Petetin, le dernier maraîcher de Beure, il se voit contraint de mettre la clé sous la porte. A la suite de différends familiaux et d'impayés, son père, propriétaire des lieux, lui a intenté un procès. Pierre a perdu. Le maraîcher a fait appel mais il devra vraisemblablement quitter les lieux à la fin de l'année, mettant un terme à plus de 100 ans de savoir-faire familial. Un triste symbole pour le village, qui voit ainsi disparaître les dernières serres maraîchères de son territoire.

Sous les serres de Pierre Petetin, épinards et persil sont déjà bien montés. Le maraîcher s’affaire, entre coups de fil, tracteur à réparer et clientèle. À côté de lui, quelque 5 000 pieds de tomates attendent sagement d’être mis en terre. Rien ne semble présager l’arrêt de son activité. Et pourtant, les serres familiales connaissent probablement leur dernière année d’exploitation.

Pierre a 37 ans et connaît le maraîchage depuis toujours, « C’est toute ma vie, je suis né là-dedans », reconnaît-il. Il faut dire qu’il représente la 4e génération de maraîchers de sa famille. Son arrière-grand-père travaillait dans une usine de parqueterie à Beure, et a acheté petit à petit des parcelles au bord du Doubs. Quand la culture de légumes devient assez rentable, il abandonne l’usine et devient maraîcher à temps plein.

Le maraîchage familial à Beure

L’activité connaît en effet au début du XXe siècle un grand essor. Beure était auparavant un village de tradition viticole : les coteaux étaient recouverts de vignes. Mais à la fin du XIXe siècle, le phylloxéra ravage tout. Le maraîchage devient alors très important sur les bords du Doubs, terre d’alluvions par excellence.

Le grand-père de Pierre reprend ainsi les parcelles, s’agrandit également. Le père de Pierre va quant à lui considérablement augmenter l’entreprise familiale. Il rachète quelques parcelles, se lance dans l’horticulture et ouvre un véritable magasin proposant fleurs, légumes, bibelots. Une affaire qui marchait bien se rappelle Pierre, « on était jusqu’à 6 employés ». Lui, après avoir fait un lycée agricole et travaillé en tant qu’ouvrier agricole dans l’exploitation familiale, rachète l’affaire quand son père part à la retraite, en 2010.

L'une des parcelles de Pierre, dernier vestige du maraîchage beurot, est située entre un magasin de matériaux de construction et une casse automobile. (carte Géoportail)

Les déboires d’un héritier

Il signe pour 300 000 €, comprenant le magasin et les deux hectares de terres réparties en trois parcelles. Il emprunte à la banque pour acheter des tracteurs, des rampes d’arrosage et les légumes, pour une somme d’environ 80 000 €. Les deux premières années étant difficiles financièrement à cause des prêts, il s’arrange avec son père pour lui rembourser ce qu’il lui doit un peu plus tard, et ne paie donc pas ses deux premières années de loyers.

Le rythme est effréné pour Pierre, qui doit gérer le maraîchage, l’horticulture et le magasin : « tu te retrouves à être un commerçant, alors que moi à la base je suis un maraîcher. » Il prend alors la décision d’arrêter les fleurs et de réduire drastiquement les heures d’ouverture du magasin. Aussi, depuis quelques années, Pierre ne fait plus que du maraîchage, et travaille seul. Il vend ses légumes au marché de la place de la Révolution à Besançon, et fait de la vente directe dans son magasin à Beure. Il n’a aucun problème pour écouler ses produits, « Je ne jette jamais rien en fin de marché », assure-t-il.

Pourtant, les activités maraîchères ont drastiquement ralenti dans le village. Après une époque florissante pour le maraîchage, Beure ne compte plus que sur l’héritier Petetin désormais. « Quand j’étais jeune, il y avait encore 7 maraîchers dans le village » compte-t-il « Maintenant, je suis tout seul ». Les manières de faire, elles, ont bien évolué. Le maraîcher a rompu radicalement avec les manières de produire de son père. Si ce dernier avait selon lui une tendance à « produire beaucoup et vite », lui se revendique de l’agriculture raisonnée. Pas de traitement, pas d’insecticide, « Mais dans la tête des gens, si tu n’as pas le logo bio, c’est que tu utilises des traitements » déplore Pierre.

Malgré le succès de son activité, le maraîcher devra bientôt quitter les serres. En effet, suite à des désaccords familiaux, le père de Pierre a intenté un procès à son fils pour les deux années de loyer impayé. « Tu te dis c’est dans la famille, ça va aller, et bien non » ; livre-t-il, amer. Pierre a perdu son procès en début d’année. Il doit quitter les lieux, qui ne lui appartiennent légalement plus. Il a décidé de faire appel « pour gagner du temps, j’avais déjà commandé tous mes légumes. Là je vais pouvoir finir l’année 2021 et, j’espère, me retourner. »

Un siècle de savoir-faire qui disparaîtra bientôt.

Des serres condamnées à la ruine

Pierre a encore des pieds de tomates à mettre en terre ainsi que tous les légumes d’été, et beaucoup de travail en perspective jusqu’à la Toussaint. Après ça, s’il ne gagne pas en appel, ça en sera terminé pour les dernières serres maraîchères de Beure. Quand on l’interroge sur le dépit que doit générer l’arrêt de son activité, Pierre tempère. Selon lui, à Beure, il ne manquera pas à grand-monde. Il sait en revanche que son absence sera remarquée au marché place de la Révolution à Besançon. Les habitués s’inquiètent de l’avenir du maraîcher, s’enquièrent de la pertinence de faire une pétition.

Pierre espère trouver rapidement un terrain de trois ou quatre hectares pour se réinstaller, pas trop loin de son village natal. Il sait que les terrains agricoles sont saturés sur le plateau par la filière Comté et son regard se tourne plutôt du côté de Quingey. Pour ce qui est des serres beurottes, elles sont invendables selon Pierre. Construites dans les années 1950, elles sont en verre, donc fragiles, et dures à entretenir et à chauffer. Personne ne se portera acquéreur selon lui, « Surtout pas entre une casse et Point P ou entre deux stations-service », là où se trouvent actuellement ses parcelles. « Ça va finir en ruines » prédit-il. Faisant allusion à une serre abandonnée dans un vieux quartier de Beure, Pierre remarque, désabusé : « je me souviens ado, je passais devant et je me disais à quel point c’était super con de laisser ça pourrir. Et bien, ça va être la même chose ici. »

Des serres abandonnées au cœur du village.

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