Le comité Maurice Audin de Besançon fut l’un des premiers de France

La petite université bisontine fut un foyer de résistance à la guerre d'Algérie. Les militants rencontrèrent des manifestations d'hostilité, dont celle du maire socialiste Jean Minjoz qui tenta d'interdire une conférence d'un journaliste de Témoignage Chrétien qui témoignait de la torture...

audin

L'assassinat de Maurice Audin, en juin 1957, eut un retentissement important dans le monde enseignant et dans la petite communauté universitaire bisontine qui comptait à l'époque environ 2000 étudiants, dix fois moins qu'aujourd'hui. Ce meurtre longtemps camouflé en disparition à la suite d'une évasion, fait monter de plusieurs crans le refus de la guerre d'Algérie par les mondes enseignants et universitaires, la mobilisation de leurs syndicats, parallèle à celle du mouvement ouvrier avec la CGT, de pans entiers de la CFTC puis FO...

Dans la foulée de la création, en novembre 1957 à Paris, du Comité pour la recherche de Maurice Audin, s'en créait un second début 1958 à Caen sous l'impulsion de l'historien Pierre Vidal-Naquet. Puis rapidement plusieurs autres dont un à Besançon, présidé par le doyen de la fac de sciences, François Châtelet, fils du président du comité national, le mathématicien Albert Châtelet. Ce dernier fut en décembre 1958 candidat à la première élection du président de la 5e république face au général De Gaulle. Il obtint 8,46% des voix des grands électeurs sous les couleurs de L'Union des forces démocratiques, qui regroupait la gauche non communiste opposée à la guerre d'Algérie, et constitua l'une des bases du futur PSU en 1960.

Un événement tournant ?

« La mort de Maurice Audin enclenche l'opposition des universitaires à la guerre d'Algérie en France », explique l'historienne bisontine Bénédicte Ponçot, auteure d'une thèse passionnante intitulée Besançon à l'heure de la décolonisation, soutenue en 2016. Il y a bien sûr l'émotion provoquée par le scandale de sa disparition après un interrogatoire par les paras du général Massu, la torture, les silences de l'armée... Mais cela fait-il de l'événement un tournant ? L'historien socialiste Joseph Pinard est plus nuancé : « ça a conforté et amplifié ceux qui s'étaient impliqués sur le dossier. Il y a surtout une forte implication en lettres. En sciences, Chatelet, dont je me souviens des interventions, était plus isolé... »

Dans sa thèse, Bénédicte Ponçot évoque une constance dans le pays : là où les sciences et les lettres représentent une majorité importante des étudiants d'une université, celle-ci est plus sensible à l'anti-colonialisme. Médecine ou droit, aux recrutements plus bourgeois, sont réputés plus réactionnaires. Or, 85% de ses étudiants bisontins sont alors en lettres ou en sciences. De fait, l'université bisontine représenta l'un des plus farouches foyers locaux d'opposition à la guerre d'Algérie : « l’opposition entre partisans et opposants à la guerre d’Algérie s’affirme et s’affiche plus précocement [dans l'université] que dans le reste de la société bisontine »., souligne Bénédicte Ponçot.

La contestation estudiantine prend également à Besançon du fait de la présence d' « étudiants d'outre mer » au sein de l'AGEB-UNEF, contrôlée localement par des militants de la JEC, la jeunesse étudiante chrétienne, dont beaucoup défendaient le droit à l'indépendance des peuples colonisés. Ils font sur ce point cause commune avec les étudiants communistes de l'UEC que présida un temps l'historien récemment disparu Jean Charles, bien qu'en raison de la guerre froide ceux-ci restent en dehors des instances. Bénédicte Ponçot forme l'hypothèse que les liens d'amitié entre communistes et cathos de gauche ont joué un rôle prépondérant.

Plus loin que les appareils de l'église et du PCF

Ensemble, ils mènent la bataille des arguments et de l'engagement concret, allant bien plus loin que les appareils de l'église et du PCF. Ensemble, ils s'affrontent, verbalement ou à l'occasion de manifestations, aux étudiants favorables à l'Algérie française qui réussissent à faire élire un des leurs à la tête du bureau de l'AGEB-UNEF pour l'année scolaire 1955-1956. Mais dès l'année suivante, les anticolonialistes reconquièrent la tête du syndicat étudiant, d'abord avec l'élection de Gaston Bordet à qui succédera Jean Ponçot. Le premier intégrera le bureau national de l'UNEF, le second une  responsabilité nationale à la JEC.

La presse est alors globalement peu favorable aux thèses anti-colonialistes. Mais les Bisontins les moins indifférents au sort des immigrés se souvenaient sans doute aussi qu'une décennie plus tôt, une division marocaine figurait parmi les armées qui libérèrent la ville en septembre 1944, que les Algériens étaient, depuis le début des années 1950, les plus nombreux (300 en 1954) parmi les travailleurs immigrés venus du Maghreb pour largement contribuer aux constructions accompagnant la forte croissance démographique de la ville.

Minjoz interdit une conférence, la police évacue le Kursaal...

Plus d'un an avant l'assassinat d'Audin, le 11 février 1956, la JEC invite Robert Barrat, journaliste à Témoigne Chrétien, qui a publié quelques mois plus tôt dans France-Observateur un reportage intitulé Un journaliste français chez les "hors-la-loi" algériens qui lui a valu d'être arrêté puis relâché après une campagne de soutien. Soutien sans faille du président du conseil Guy Mollet, le maire socialiste de Besançon, Jean Minjoz, autorise, pus interdit la conférence qui doit se tenir au Kursaal. La salle sera évacuée par la police, mais la réunion se tiendra à l'aumônerie devant une soixantaine de personnes parmi lesquelles se trouve un militant ouvrier, alors à la CFTC, un certain Charles Piaget...

Peu après, le 7 mars 1956, les pro Algérie française de l'université rassemblent, selon la police 70 à 80 étudiants dans la rue, tandis que 40 à 50 contre-manifestants leur font face sur l'autre trottoir. Six semaines plus tard, la branche bisontine du Comité d'action universitaire, pro Algérie française, invite le président national de l'UNEF, le juriste montpelliérain Jean-Marc Mousseron, pour une réunion publique. La salle, occupée par des militants communistes et des syndicalistes, est évacuée par la police.

Des grands conférenciers viennent à Besançon

Le 16 février 1957, les étudiants d'outre mer, notamment animés par un certain Abdoulaye Wade, futur président du Sénégal, invitent avec l'AGEB-UNEF, à l'occasion des annuelles « journées anti-colonialistes » Léopold Sédar Senghor, très applaudi... Quand peu après Gaston Bordet invite l'islamologue Louis Massignon, professeur au Collège de France, le célèbre amphi Donzelot est plein à craquer. Il fera venir d'autres « grandes voix de l'opposition chrétienne à la guerre d'Algérie » comme André Mandouze ou Paul Mus...

Le début de l'année 1957 est aussi marqué par la rupture des relations entre l'UNEF nationale et l'Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA) que refuse d'entériner l'AGEB-UNEF à Besançon. Mécontents de cette décision, les pro-Algérie française réunissent les 200 signatures nécessaires à la tenue d'une AG extraordinaire, mais les indépendantistes remportent, de peu, le vote à main levée. Le nouveau président de l'AGEB, Gaston Bordet propose un vote à bulletins secrets de tous les étudiants, mais des étudiants en pharmacie volent l'urne... 

Les doyens de sciences et de lettres, François Châtelet et Lucien Lerat, se mouillent également. En mars 1958, le second témoigne en faveur de l'étudiant en médecine Mohamed Ben Abderrahamane qui passe en procès à Besançon avec Francine Rapiné, représentante des étudiants de lettres, pour atteinte à la sûreté de l'Etat ! Le 11 décembre 1957, ils avaient été arrêtés avec le pasteur Mathiot.

L'implication des syndicats enseignants puis ouvriers

Ils sont accusés d'intelligence avec le FLN, la jeune femme sera condamnée à trois ans de prison pour avoir transmis des messages et des fonds, puis graciée en mai 1959 via l'intervention de Geneviève Antonioz-De Gaulle auprès de son oncle président... Le pasteur écopera de huit mois, Mohamed Ben Abderrahamane prendra trois mois avant d'être interné au camp de Mourmelon, puis libéré après une mobilisation de l'AGEB.

La guerre d'Algérie fait également débat dans le syndicalisme salarié local, CGT, FEN et SNI en tête, mais aussi au sein du courant Reconstruction de la CFTC (qui sera le creuset de la déconfessionnalisation débouchant sur la création de la CFDT en 1964) et de son syndicat enseignant, le SGEN, qui a gommé le sigle CFTC de ses documents. En mars 1958, la FEN du Doubs publie un bulletin spécial guerre d'Algérie dont l'édito est titré « Halte aux tortures » et qui publie des témoignages d'enseignants torturés.

Les syndicats CGT, CFTC et FO de Peugeot, puis du bâtiment du Doubs écrivent en octobre 1959 à De Gaulle en faveur de l'autodétermination et de l'ouverture de négociations. Peugeot et les enseignants suivent largement la grève du 1er février 1960 en réaction à la Semaine des barricades à Alger. Des employeurs et des municipalités y souscrivent tant pour soutenir De Gaulle que pour défendre la république : Lip, Rhodia, ville de Besançon, Bourgeois où l'on compte 100% de grévistes !

En mars 1960, les étudiants commencent à défiler, bien plus nombreux que les années précédentes. Ils sont entre 700 et 1000 le 17 mars à marcher sur la préfecture de Besançon, menés par les dirigeants de l'AGEB et du SNESup qui préside aussi le comité Maurice Audin. Le 27 octobre 1960, le défilé initié par l'AGEB, soutenu par le SGEN, le SNESup, la CGT, FO et la CFTC réunit 1500 à 3000 personnes place Jouffroy malgré son interdiction par le préfet. Sur le pont Battant, les CRS chargent violemment, Jean Minjoz proteste...

Le 24 avril 1961, les Bisontins sont 5000 (selon la préfecture, 4000 selon L'Est républicain) place du 8 Septembre, pour « extirper les racines du fascisme » et exiger « l'ouverture immédiate de négociations pour en finir avec la guerre ».

Durant ces années qui voient croître régulièrement l'opposition à la guerre, le Comité Audin est signataire de tous les appels (rassemblements, manifestations, conférences...) au côté des syndicats et des mouvements politiques.

 

 

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