C’est absolument fascinant de se trouver dans les coulisses d’un théâtre pendant une représentation d’opéra. J’ai vécu cette expérience pour la première fois à l’âge de seize ans, alors que je ne connaissais rien de ce mode d’expression artistique total. C’est absolument fascinant et un peu inquiétant, car on se demande vraiment comment cette addition délirante de talents divers et variés, de modes d’expressions, va pouvoir, en un temps et en lieu, trouver une concrétisation satisfaisante.
Va-t-il vraiment réussir à entrer en scène au bon moment, et à chanter en mesure, ce chœur d’enfants. Cette soprano, que le chef d’orchestre tente de rassurer depuis la générale d’hier, tiendra-t-elle son rôle ce soir malgré un début de rhume ? Chaque soir de représentation, c’est un Titanic promis à de nombreux icebergs qu’il s’agit d’amener à bon port. C’est risqué, dangereux … et parfois magique.
Le public ne s’y trompe pas, qui en dépit des prophéties des Cassandre des avants garde du XXème siècle qui prédisaient la mort de ce genre « bourgeois », se bouscule dans les salles.
Productions d'exception et DVD d'exception
Ces moments magiques, ou le chant, l’orchestre, la construction dramatique font revivre le sens antique de la tragédie, ont trouvé avec le support du DVD une possibilité nouvelle de diffusion. Bien sur le film d’Opéra avait déjà connu quelques chefs d’œuvres, du Don Giovanni de Joseph Losey (1978), tourné dans la villa Rotonda de Palladio à Vincence, à La Tosca de Franco Zefirelli avec Maria Callas (1964). Mais le DVD offre bien d’autres perspectives avec une qualité sonore incomparable, un accès aux sous-titres large, des bonus utiles pour mieux aborder les oeuvres. C’est donc logiquement que certaines productions scéniques d’exception sont devenues des DVD d’exception.
La redécouverte des opéras du Vénitien Francesco Cavalli (1602-1676), digne successeur de Monteverdi, a été accompagnée de l’édition en DVD de la production inoubliable de la Calisto, mise en scène par Wernicke et dirigé par René Jacobs. Maria Bayo dans le rôle titre est à son meilleur.
L’esprit d’un opéra « à machine » dans lequel les dieux descendent vraiment des cintres, la magie du décor en forme de voûte céleste inspirée des globes de Coronelli émerveillent autant que les talents de chanteurs et de comédiens réunis sur le plateau et dans la fosse.
La déchirante déclaration de Tatiana Monogarova
Dans l’opéra Russe, Le même Wernicke réalisa en 1998 pour le festival de Salzbourg, un Boris Godounov aux résonances politiques d’une modernité absolue avec le regretté Claudio Abbado à la baguette . Mais c’est L’Eugene Onegin de Tchaïkowsky mis en scène par Dmitri Tcherniakov et dirigé par Alexander Verdernikov (DVD Bel Air Classiques) qui, dans ce répertoire, m’a le plus transporté récemment. La Tatiana de …Tatiana Monogarova est déchirante dans la scène de la lettre, quinze minutes où elle chante la déclaration qu’elle écrit à Oneguin.
Les opéras de Léos Janacek, chefs d’œuvres du répertoire du XXème siècle, ont eux aussi trouvé des versions inouïes que l’on peut ramener jusque dans son salon. L’affaire Makropoulos d’après la pièce du génial Karel Capek (auteur qui inventa le mot Robot) raconte l’histoire d’une femme immortelle. Il a été magnifiquement capté en 2011 dans l’interprétation de l’Orchestre Philharmonique de Vienne dirigé par Esa-Pekka Salonen et dans la mise en scène de Christoph Marthaler.
Le fabuleux opéra animalier, La petite renarde rusée, du même Janacek, est quant à lui disponible dirigée par Seiji Osawa et mise en scène par Laurent Pelly chez Arthaus Musik. Deux opéras à montrer à ceux qui croient le genre dépassé ou ringard !
La chère prouesse de l'opéra de New York en direct au cinéma
Une dernière évolution, véritable prouesse technique, a eu lieu en 2006 avec le lancement par le Metropolitan Opéra de New-York d’un cycle de représentations d’opéra en direct dans plusieurs centaines de salles de cinéma à travers le monde. La qualité sonore et la réalisation sont extrêmement soignées, les avant-spectacles et entractes également avec interview des artistes, caméra en coulisse pendant les changements de plateaux… bref un show à l’américaine. Les productions sont souvent magnifiques vocalement et orchestralement, les mises en scène souvent très conventionnelles.
Le bémol reste le prix des places, qui pour une représentation filmée, paraît bien élevé (34 Euros). A ce prix là, il faut aller voir un opéra en vrai, dans un théâtre et sentir, comme dans le formidable Rigoletto chanté à Besançon par Ludovic Tézier en 2011, dans tout son corps la vibration de la voix se mêler aux frissons de l’émotion.